Vivre sans pétrole: analyses de l’émission

Analyse de l’émission : Vivre sans pétrole
présentée par Anne-Sophie Mercier et Matthias Beermann et diffusée le 11 Septembre 2004.

Les Européens se sont-ils préparés pour limiter leur vulnérabilité ? Les réponses de Jacques Attali.

I – L’IDEE GENERALE :

Nos économies et notre mode de vie dépendent stratégiquement de l’abondance d’un pétrole bon marché. Mais cette abondance est limitée dans le temps, les coûts d’approvisionnement vont inévitablement augmenter. Les Européens en ont fait l’expérience une première fois avec le choc pétrolier de 1973, en découvrant la douloureuse vulnérabilité de nos sociétés aux prix du baril de brut. Mais depuis ce choc, et en dépit de crises régulières sur le marché du pétrole, les hydrocarbures sont revenus à un prix bas, et l’Europe a oublié de se préparer à la fin du pétrole.
La nécessité de lutter contre le réchauffement climatique en limitant les émissions de gaz à effet de serre est une nouvelle motivation pour chercher des alternatives au tout pétrole. Pourtant, 30 ans après le premier choc pétrolier, peu de choses ont été faites : l’Europe dépend toujours vitalement de l’abondance d’un pétrole bon marché.

II – ELEMENTS D’INFORMATION

1- LE CONTEXTE DE CES DERNIERS MOIS :
LA TENDANCE DURABLE A LA HAUSSE DU PRIX DU BARIL DE PETROLE.

Les cours du brut ont franchi la barre des 40 dollars depuis plusieurs mois, et approchent des 50$­­­­­­­­ (47 $­­­­­­­­ le 24 août à New York). Le prix moyen depuis le premier choc pétrolier est de 20$­­­­­­­­ le baril. Avec un baril à 40$­­­­­­­­, en monnaie constante, on reste en deçà des prix des chocs 1973 ou de 1979 (80$­­­­­­­­ le baril pendant la crise iranienne).
Sur les 4 derniers mois, essence et gazole ont augmenté de 10 centimes d’€ à la pompe, soit environ + 10%
NB : Il est intéressant de noter que le prix moyen réel de revient d’un baril de pétrole est inférieur à 10 $­­­­­­­­.

Les raisons invoquées pour cette hausse des prix :

Augmentation exponentielle de la demande mondiale, qui ne diminue pas en Europe, augmente aux USA, et explose en Chine, avec la multiplication du parc automobile et la très forte croissance chinoise.

Instabilité de l’offre : crise en Irak (même si les exportations ont repris au sud du pays) et tensions au Moyen Orient, incertitude au Vénézuéla (résolue depuis la fin du mois d’août après le succès de Chavez au référendum), incertitude en Russie, avec les problèmes fiscaux, judiciaires (et politiques ) du numéro un russe Youkos, menacé de démantèlement et de faillite alors qu’il produit 2% de l’offre mondiale.

Insuffisance des infrastructures. A l’exception de l’Arabie Saoudite, les pays membres de l’OPEP n’ont pas optimisé leurs capacités de production. D’autre part, il y a des tensions sur les infrastructures de raffinage : le nombre de raffineries est insuffisant pour transformer tout le pétrole extrait, notamment aux USA, d’où la hausse des prix.

Tout n’est pourtant pas clair : certains s’étonnent de la pénurie actuelle de l’offre alors que tous les producteurs produisent au maximum de leurs capacités (notamment l’OPEP). Certains accusent les USA et les majors de dissimuler et de stocker une partie de leurs réserves.

D’autres mettent en avant la spéculation sur les cours : il semblerait que les spéculateurs, après l’explosion de la très profitable bulle internet-nouvelles technologies, se soient repliés sur le pétrole, l’un des derniers secteurs où l’on peut gagner beaucoup d’argent. L’évolution des cours du barril est donc très dépendante de la spéculation, très sensible au contexte économique et politique internationale, ce qui aggravent les tensions déjà existantes de l’offre de pétrole.

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Remarques :

1 – cette hausse est ressentie moins durement en Europe, du fait de la force de l’Euro par rapport au $­­­­­­­­.
2 – ce contexte de hausse des prix fait aussi des heureux.
Il est très profitable pour les grandes entreprises pétrolières : les résultats des majors sont en très fortes hausse ces derniers mois (d’autant que les marges de raffinage augmentent elles aussi) : + 30% pour Total, + 38,8% pour Exxon Mobil, + 16 % pour Shell.
Les pays producteurs en profitent aussi : l’Arabie Saoudite a prévu un excédent budgétaire de 35 Mds de $­­­­­­­­ pour l’année 2004. ( mais elle demande un prix plus bas pour le baril, à environ 30 $­­­­­­­­).
Selon l’INSEE, un baril à 50$­­­­­­­­ coûterait 0,24 point de croissance car investissement et consommation seraient pénalisés.
Logiquement, ceux qui pâtissent de ces prix sont les entreprises des transports, aérien, routier et maritime. Air France a augmenté ces prix de 2 à 12 euros selon les destinations.

2- A QUAND LA FIN DU PETROLE ?

LES RESERVES :

Nous produisons actuellement 75 millions de baril chaque jour. Chaque année, nous brûulons ce que la nature a mis un million d’années à constituer.
Personne n’est d’accord pour évaluer la réalité des réserves mondiales de pétrole.
Mais le débat, bien que limité aux professionnels du pétrole et aux experts, est virulent : quand passerons-nous le PEAK OIL, le début du déclin des réserves ? Certains disent aujourd’hui. Les plus optimistes avancent 2050. Le débat oppose schématiquement les scientifiques (pessimistes) aux économistes (optimistes).
Les estimations les plus courantes sont basées sur la méthode d’Hubbert. King Hubbert est un géologue américain qui, en 1956, avait précisément prédit pour 1970 la baisse de la production aux Etats Unis en observant l’évolution de la production comme une courbe en cloche.

D’une manière générale, l’évaluation d’un champ est un calcul de probabilité. Aucune certitude.

Nature (Novembre 2003) : selon une étude commandé par la major britannique BP, à consommation constante, il reste 40 ans de pétrole, 60 ans de gaz, 230 ans de charbon. Soit deux générations.

Il existe des « cousins « du pétrole qui sont déjà mobilisés comme les pétroles non conventionnels – sables asphaltiques du Canada ou bruts extra lourds du Venezuela. Ils représentent environ 25 ans de consommation. Mais leur exploitation est plus chère et surtout plus polluante que le pétrole.
Les réserves de pétrole conventionnel non encore découvertes sont estimées en moyenne à 3 000 milliards de baril (source US : Geological survey’s world petroleum assessment – 2000), soit 40 ans de consommation supplémentaire.
Les progrès techniques permettent une meilleure récupération des ressources en place. Aujourd’hui, en moyenne, seul un tiers des ressources en place est récupéré. L’accroissement de 1 point du taux de récupération moyen représente 2 années de consommation supplémentaire.
D’autre part, grâce à la hausse du baril , certains gisements jusque-là inexploités parce que trop chers redeviennent rentables.

L’un des acteurs les plus actifs du débat sur la réalité des réserves de pétrole est l’ASPO, l’Association for the study of the peak oil. Elle réunit des anciens hauts responsables de la prospection des grands groupes pétroliers et des géologues, et affirme que la falsification des données officielles sur les réserves est systématique. Selon l’ASPO, par exemple, les réserves de l’OPEP seraient surestimées de 46 % (parce que les pays de l’OPEP indexent leurs quotas de production sur leurs réserves déclarées : plus ils déclarent, plus ils peuvent produire).
L’ASPO estime qu’il rste 1000 milliard de baril de réserves.
L’affaire Shell l’a récemment prouvé : l’entreprise a été lourdement sanctionné sur les marchés boursiers pour avoir surévalué ses réserves propres.

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Remarque : il restera toujours du pétrole, mais le coût de son extraction sera trop important : on ne court donc pas à la panne sèche, mais plutôt à l’explosion des prix.

L’accroissement exponentiel de la demande

Un baril de pétrole = 159 litres. Nous consommons 29 milliards de baril par an.
Le pétrole représente toujours 42% de la production totale d’énergie, 23% pour le gaz naturel, soit 65 % d’hydrocarbures ( 8% pour le nucléaire).
Les transports dépendent encore 96 % du pétrole (selon OCDE).
Et le pétrole n’est pas qu’une source d’énergie : il est aussi indispensable pour l’alimentation, les produits chimiques, les médicaments, les vêtements, et tous les produits plastiques qui nous entourent.

Conséquence directe de la croissance démographique et de l’élévation progressive du niveau de vie, la demande mondiale en énergie primaire devrait continuer à progresser d’ici l’horizon 2030 ; elle pourrait atteindre 15 giga tonnes équivalent pétrole (Gtep) en 2030 (pour 9 Gtep aujourd’hui), soit un taux de croissance de 1,7 % par an (scénario de référence de l’Agence internationales pour l’Energie). Sur l’ensemble de la période, cet accroissement de la demande sera surtout le fait des pays en voie de développement qui connaîtront une augmentation de leurs besoins de 140 % contre seulement 34 % pour les pays de l’OCDE.

Aujourd’hui, 50 % du pétrole a pour utilisation finale les transports (contre seulement 36 % en 1973) et les produits pétroliers constituent 96 % de l’énergie utilisée dans les transports routiers. Les énergies alternatives existent (GNV, GPL, carburants oxygénés d’origine chimique ou agricole, etc.) et sont utilisées pour certaines depuis fort longtemps, mais elles représentent moins de 2 % du total de l’énergie des transports : il n’y aura pas de substitution au pétrole qui soit économiquement et massivement compétitive à l’horizon des 20 à 30 prochaines années.

Peu d’espoir avec les énergies alternatives actuelles.

Pour satisfaire l’accroissement de la demande, la mobilisation de toutes les sources d’énergies sera nécessaire, pour compléter le pétrole plus que pour le concurrencer ou le remplacer. Mais la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique mondial (hydraulique inclus) devrait rester relativement stable (autour de 5 % selon l’AIE) et ce, malgré une croissance forte de certaines filières comme le solaire photovoltaïque ou l’éolien.
La mise en place de politiques incitatives fortes pourrait sans doute augmenter la part de ces énergies, mais difficilement en faire, à l’horizon 2020-2030, un substitut massif aux énergies fossiles, notamment pour des raisons de coût.

Conclusion : la contribution des hydrocarbures à la satisfaction des besoins énergétiques mondiaux restera élevée (65 % contre environ 62 % aujourd’hui), la part du gaz naturel devenant plus conséquente.

3 – LA DEPENDANCE DE L’EUROPE

L’Union élargie consommera en 2004 20% de la production mondiale de pétrole.

L’économie européenne repose sur les combustibles fossiles : pétrole et gaz constituent 4/5 de notre consommation totale d’énergie. Nous en importons les 2/3. Et cette proportion devrait augmenter : avec l’épuisement progressif des ressources en Mer du Nord, la Grande Bretagne est redevenue importatrice nette de pétrole en août 2004.

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En 2030, selon le Livre vert européen pour l’énergie, le pétrole pourrait être importé à hauteur de 90 % de notre consommation. Faute de ressources propres, l’UE n’a pas d’alternative : elle doit agir sur la demande d’énergie (en la réorientant ou la maîtrisant, contrairement aux USA qui eux, dans leur plan énergie, ont décidé de compter sur une offre toujours accrue, ce que prouve leur politique internationale au moyen Orient et en Afrique occidentale).

L’action prioritaire pour les économies d’énergies : les transports, puisqu’ils représentent 32% de la consommation énergétique et 28% des émissions de CO2.
Or, pour l’instant, le seul objectif des gouvernements est de limiter la tendance à la hausse de la demande. L’arme fiscale pourrait être efficace, mais elle est déjà très utilisée.

4 – LES BIOCARBURANTS

Les biocarburants ont un double avantage : ils permettent de réduire la consommation de pétrole et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (la photosynthèse – le processus de croissance des plantes – absorbe du CO2). Mais ils ont surtout un gros handicap : ils sont toujours bien plus cher que le pétrole.

L’Union Européenne encourage l’utilisation des biocarburants.
Les dernières directives européennes de 2003 fixent comme objectif pour 2005 : 2% de biocarburants à incorporer dans les carburants existants (gasoil et essence) .
Pour 2010 : 5,75% de biocarburants.
Mais pour l’instant il n’est pas du tout certain que l’Europe aie les capacités de production agricole et de distribution pour remplir ces objectifs
Il faut distinguer deux familles de biocarburants : ceux qui sont utilisés mélangés aux hydrocarbures (diester et éthanol), et ceux qui s’utilisent seuls (les huiles végétales)

Le diester, plus connu sous le nom de biodiesel : en complément ou remplacement du gasoil. Il s’obtient par réaction entre de l’alcool (méthanol) et des huiles végétales ( colza, blé, tournesol, etc…)
L’éthanol en complément de l’essence : il s’obtient par fermentation de sucre (canne à sucre, betterave), blé ou maïs.
Tous les deux sont déjà distribués en large partie par les compagnies pétrolières car ils sont déjà mélangés au carburant. (à hauteur environ de 1% en France) et ne font pas l’objet d’une signalisation particulière à la pompe.

Le désavantage de ces biocarburants : leur coût de revient. Il faut procéder à une réaction chimique avant de pouvoir les utiliser. Leur coût de production est encore élevé. Ils ne peuvent donc se développer que s’ils sont encouragés par des incitations économiques (défiscalisation).

Les huiles végétales brutes (colza, blé, tournesol) :
Utilisées directement telles quelles dans le réservoir, elles posent encore nombre de soucis techniques ( pas sûrs que tous les moteurs les supportent, aménagements nécessaires, notamment pour les systèmes d’injection, pas plus de 10% en mélange dans le carburant, nécessite de mettre en place un nouveau circuit de distribution…)

Leur bilan énergétique est encore incertain : elles seraient une source de pollution atmosphérique selon l’ADEME. Mais elles réduisent sensiblement l’effet de serre.

Les enjeux des biocarburants :
– des risques de surproduction qui pourraient faire baisser la rentabilité de la filière
– la France n’aurait pas les capacités de production agricole suffisantes pour atteindre les 5,75 % de la directive européenne selon les spécialistes ( ADEME, UFIP et autres..).
– le développement des biocarburants pourrait redonner un rôle accru aux agriculteurs dans la production et peut être dans la distribution énergétique (doux rêve des Verts et autres exploitants agricoles…) pour résoudre les problèmes d’exode rural.

Source et liens

Source : Arte-tv.com

La Bibliographie et les liens…

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