La privatisation de l’eau

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Selon Riccardo Petrella « la logique actuelle des rapports entre les Etats et les Multinationales réduisent le premier à un vaste système d’ingénierie juridique, bureaucratique et financière mis au service de la performance commerciale de l’entreprise. L’Etat n’est plus l’expression politique de l’intérêt public collectif; il devient un acteur parmi d’autres, chargé de créer les conditions favorables à la compétitivité des entreprises. L’intérêt général est en passe de se résumer à celui des firmes géantes se disputant les marchés mondiaux. Et l’eau devient une marchandise comme une autre »

Il devient de plus en plus intéressant pour les entreprises d’investir des sommes importantes dans le commerce de l’eau, celle qu’on achète en bouteille se vendant déjà plus cher que le pétrole, à quantité équivalente; les coûts d’extraction sont minimaux et les coûts de raffinage sont nuls.

Quelques transnationales et leurs filiales se partagent le gâteau de la distribution privée de l’eau potable ; dans les « pays du Sud », elles marchent main dans la main pour organiser le marché de l’eau et remplacer la sphère publique. Leurs intérêts sont totalement communs. Leur revenu a suivi le rythme de leur croissance. Ces multinationales figurent parmi les 100 sociétés les plus riches du monde, avec un revenu combiné de presque 160 milliards de dollars en 2002 et un taux de croissance annuel de 10%, plus rapide que celui de l’économie de plusieurs des pays où elles opèrent.

Mais la libéralisation de l’eau a provoqué des problèmes graves dans bien des pays, où l’intervention de multinationales étrangères a notamment entraîné une facturation de l’eau bien au de là de ce que peuvent payer les démunis.

L’Afrique, c’est chic

Au Zimbabwe, Biwater s’est finalement retirée d’un projet de privatisation d’eau parce que la population locale ne pouvait payer les tarifs qui auraient assuré un profit suffisant. Un peu partout, la politique de recouvrement total des coûts a fait flamber les prix à la consommation.

En Afrique du Sud, la situation est devenue très préoccupante: depuis 1994, près de 10 millions de ménages se sont faits couper l’eau, incapables de payer leur facture ,et on a noté un retour du choléra.

Le Ghana a vu le prix de l’eau augmenter de 300 % en trois ans. Des robinets sont « déconnectés » parce qu’un nombre croissant de familles n’arrive plus à payer leur facture d’eau qui grimpe en flèche.

Au Kenya, la facturation de l’eau a été privatisée par le Conseil municipal de Nairobi, sans appel d’offres, laissant 3 500 travailleuses et travailleurs sans emploi. Ces personnes ont été remplacées par 45 cadres surpayés. Les consommateurs ont assumé les coûts d’un nouveau système de facturation. La population à Nairobi, paie cinq fois plus pour un litre d’eau qu’un citoyen nord-américain.

Alors qu’au Botswana, la Société publique de distribution d’eau est reconnue pour l’augmentation du nombre d’usagers, qui est passé de 30 000 en 1970 à 330 000 en 1998. Sa politique de péréquation protège l’accès à l’eau pour les ménages à faible revenu.

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Amérique Latine

Au Brésil (20% des réserves d’eau douce mondiale) , Nestlé a procédé à de véritables privatisations rampantes en rachetant des terrains où se trouvent des sources et des nappes phréatiques ; Nestlé ne s`intéressant qu`à l`eau de table, a pompé 30 000 litres d`eau par jour qu`elle s`empressait de déminéraliser, une pratique que la loi brésilienne interdit pourtant, car elle empêche de soigner l`anémie à moindres frais. Avec l`appui de Coca-Cola l`entreprise a d’ailleurs tenté, avant les élections de 2002, de changer la loi brésilienne qui empêche la déminéralisation de l`eau. Deux sources se sont taries et l’écosystème est complètement bouleversé. Nestlé ayant de plus infiltré toutes les universités au Brésil , les recherches sur la question de l’eau y sont tronquées.

Dans la province uruguayenne du Maldonaldo, les tarifs de l’eau ont énormément augmenté et les réserves ont été contaminées lorsque Uruqua, une filiale de la société des eaux Aguas de Bilboa, a obtenu le droit de distribuer l’eau sur une base lucrative de « pleine récupération des coûts. » La Banque Mondiale a déclaré la privatisation de Buenos Aires comme un succès. Mais une enquête d’ICIJ montre que la privatisation de l’eau de Buenos Aires a été vérolée par l’avarice, la duperie et les promesses échouées. Son succès s’est avéré être principalement un mirage. La privatisation de l’eau a enrichi un groupe de chefs des syndicats, de capitalistes copains et de fonctionnaires du gouvernement de l’ancien Président Carlos Menem. Plusieurs fonctionnaires font l’objet d’enquêtes pour corruption.

Dans les maquiladoras mexicaines, l’eau est parfois tellement rare, que les bébés et les enfants en sont réduits à boire du Coke et du Pepsi. En plus des tarifs de facturation injustifiés, on coupe souvent l’eau aux habitants qui n’arrivent pas à payer leurs factures et les responsables les font souvent attendre longtemps avant d’examiner leurs réclamations. Les inondations sont beaucoup plus fréquentes, résultat d’une absence d’entretien de la tuyauterie et des canalisations. Les gros distributeurs d’eau se sont montrés peu désireux d’investir en vue de l’amélioration des infrastructures. Mais l’idée d’endetter toujours plus lourdement les municipalités semble par contre les enthousiasmer.

Le gouvernement bolivien a concédé son eau pour 40 ans à Aguas del Tunari, une filiale de Bechtel. Un an plus tard, des milliers de familles ont du payer jusqu’à 20 % de leurs revenus pour obtenir leur eau quotidienne. La grève générale a éclaté et l’armée a du intervenir violemment, faisant 5 morts, selon Amnesty International. La population a exigé la fin du contrat avec la société privée et le gouvernement a cédé.

Le gouvernement uruguayen a commencé à offrir des concessions dans les villes et les quartiers riches. Le prix de l’eau a été multiplié par 10, l’eau a été coupée à ceux qui ne payaient pas, familles ou institutions. Lagunes et autres zones où ces sociétés puisaient l’eau se sont asséchées, tout cela pour que certaines villes comme Punta del Este (qui utilise autant d’eau que le reste du pays) puissent arroser leurs jardins privés. Mais les Uruguayens ont réussi à programmer un référendum national, à valeur législative : en octobre 2004, plus de 60% des citoyens Uruguayens ont forcé à inscrire dans la constitution l’inaliénable appartenance de l’eau au domaine public et l’interdiction de sa privatisation.

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A Porto Rico, où Suez est mandaté pendant 10 ans à fournir les services de l’eau par un contrat d’un montant de 4 milliards de dollars, le « Solicitor » général Carlos Lopez a vivement critiqué la multinationale Française, qui a consacré beaucoup d’énergie à perfectionner les méthodes de facturation et d’encaissement, mais n’a apporté « aucune amélioration » à la distribution d’eau potable aux consommateurs.

Grands progrès aux Philippines.

Faible pression au robinet, très peu d’heures dans la journée où l’eau coule : les familles de Manille se lèvent à minuit ou aux aurores pour faire des réserves car le service n’est pas assuré en continu, spécialement dans les quartiers populaires. 10% des revenus des ménages est désormais consacré au paiement de la facture d’eau. Ce sont les gens sans l’eau courante qui souffrent le plus de la privatisation : ils l’achètent à des prix trois voire cinq fois supérieurs à des revendeurs. Le choléra a même refait son apparition à Manille, alors qu’aucun cas n’avait été déclaré depuis cent ans.

Inde : l’imbécillité des projets privés

En Inde, Suez a essayé d’ acheter l’eau du Gange, afin de vendre 635 millions de litres par jour à Delhi. L’argument de Suez était classique:  » sans leur argent, on n’ arriverait pas à réorganiser la distribution d’eau.  » Mais pourquoi l’eau pure du Gange devait-elle abreuver Delhi, qui se situe à des centaines kilomètres de là, alors que la rivière Yamuna passe juste à côté ? Nettoyer la Yamuna semble plus économique et plus rationnel. Chacun des agriculteurs qui sera privé d’eau – car elle sera vendue à Delhi – perdra des montants énormes suite à la chute de sa récolte.

Un autre énorme projet de privatisation des rivières hindoues, vise à relier les cours d’eau entre eux, à les faire couler dans des directions opposées, à les diriger dans les zones où il y a de l’argent. Il coûte 200 milliards de dollars; mais une évaluation scientifique a montré que c’est totalement inutile, que ça causera un dommage énorme à la société, à l’éco-système, aux forêts, et que cela déplacera les populations à une échelle historique inimaginable.

Ces méga-projets représentent des opportunités en or pour les multinationales de l’eau, pour les entreprises occidentales et pour les bureaucrates. Tout cela, dans un contexte où la corruption gangrène le monde politique et juridique à tous les échelons. Mais t oute cette privatisation risque de mettre à mal l’avenir collectif de l’approvisionnement en eau.

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Merde in France

Corruption, fraude, surfacturation et j’en passe font partie du dossier des multinationales Suez et Vivendi. Les villes qui avaient privatisé leurs services d’eau ont vu les tarifs augmenter jusqu’à 400 % pendant que la qualité descendait au point d’entraîner des poursuites pour empoisonnement. Seul pays au monde où la distribution de l’eau soit privatisée à 80 %, la France connaît des écarts de prix considérables. Les PDG de Bouygues, de la Lyonnaise et de la Générale des eaux ont à tour de rôle été mis en examen dans des affaires de corruption. De nombreux cadres supérieurs ont été accusés d’abus de biens sociaux. Ils sont soupçonnés d’avoir versé des contributions occultes à des maires, des députés, des partis politiques en échange de contrats publics. Alain Carignon, ex-maire de Grenoble, a pris 5 ans ferme.

Grande Bretagne: par ici la monnaie

Les contribuables anglais se sont trouvés à défrayer 9.5 milliards de dollars pour brader leurs sociétés d’État de traitement et de distribution de l’eau. À la suite de la privatisation, le prix de l’eau a substantiellement augmenté, afin notamment, de couvrir les investissements requis pour mettre les réseaux à neuf. Ce sont les consommateurs, et non les entreprises, qui ont financé en bout de ligne ces investissements. La privatisation a provoqué un transfert de la richesse des usagers vers les détenteurs de capitaux., les frais exceptionnels venant diminuer artificiellement le bénéfice et le rachat d’actions permettant de dissimuler une rentabilité jugée gênante par les administrateurs.

Alors que les bénéfices ont augmenté de 600 millions de dollars ou de 35% de 1992à 1996, l’emploi a constamment régressé au cours des cinq dernières années, l’emploi a diminué de 4 084 postes ou de 17%. Si les salariés et les usagers ont fait les frais de la privatisation, les cadres supérieurs n’ont évidemment pas eu à se plaindre.

Comme c’est l’entreprise privée qui s’occupe du recouvrement, la situation devient intenable pour de nombreuses familles défavorisées, obligées de payer des tarifs excessifs sous peine de se voir interdire l’approvisionnement en eau potable. En Grande-Bretagne, les grandes compagnies privées ne se sont pas gênées pour couper l’eau à plusieurs milliers de ménages pour cause de non-paiement.

Est-ce que ce monde est sérieux?

En voulant « réformer la distribution d’eau », réforme présentée comme technique, les acteurs touchent en fait à une certaine manière d’organiser la redistribution des revenus dans les pays concernés, à un certain équilibre entre la société civile et le politique, à des modes de vie. Accès à l’eau à deux vitesses selon les revenues des ménages, livraison d’eau impropre, dégradation des normes de qualité (les sociétés privées préférant minimiser les coûts), augmentation faramineuse des prix, scandales et condamnations en cascade, activation du déséquilibre Nord-Sud, rentrées nettes pour les états négligeables, voire négatives : les biens publics ont été bradés à vil prix, le pillage étant maquillé en réforme nécessaire supposée pallier aux manques des services publics, médiatiquement lynchés et décrétés a priori incompétents et corrompus.

Frank Swalt

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