Mondialisation: dommages collatéraux

Dans son documentaire intitulé  » Le cauchemar de Darwin « , Hubert Sauper montre comment la mondialisation devient l’ultime étape de l’évolution humaine, et comment la loi du plus fort, appliquée au système économique et social, engendre des catastrophes écologiques et humaines.

Tanzanie, rive du lac Victoria, fin des années 50. C’est dans cette région jusque-là préservée que les occidentaux décident d’introduire la  » perche du Nil « , poisson très apprécié des consommateurs européens et japonais mais qui va se révéler être un redoutable prédateur, transformant un des plus riches éco-systèmes du monde en une zone de mort. Ce prédateur a en effet éliminé les 200 espèces de poisson présentes à l’origine dans le lac Victoria, laissant des eaux sans oxygène et sans espèces vivantes. Les espèces de poisson qui se nourrissaient d’algues ayant peu à peu disparu, les algues s’accumulent, meurent et provoquent des chutes de teneurs en oxygène, tandis que la perche du Nil finit par se nourrir de ses propres petits, faute d’autres ressources…Sur-exploitée par des pêcheurs de plus en plus nombreux -en 1970, 4.000 bateaux ramenaient 15.000 tonnes de poissons, en 1980 leur nombre est passé à 6.000 et la pêche a produit 100.000 tonnes de poissons-, la perche du Nil a, en quelques décennies, transformé un lac vieux de 500 000 ans en eaux eutrophiées.
A Mwanza, ville riveraine du lac Victoria, entre 500 et 1000 tonnes de poissons arrivent chaque jour dans les usines et sont transportés ensuite en Europe par des avions-cargos russes. Mais les avions ne transportent pas que du poisson : ils arrivent en Afrique chargés d’armes, vendues par les européens aux protagonistes des guérillas qui sévissent dans la région -Rwanda, Congo, Burundi…- Hubert Sauper montre le ballet incessant de ces avions, dont certains -comble du cynisme- apportent de l’aide humanitaire aux camps de réfugiés de l’ONU en même temps qu’ils leur apportent les armes qui vont les tuer.  » Sans être totalement ignorées, les innombrables guerres sont souvent qualifiées de  » conflits tribaux « , comme ceux du Rwanda et du Burundi. Les causes cachées de tels troubles sont, dans la plupart des cas, des intérêts impérialistes pour les ressources naturelles « , souligne l’auteur, qui a réalisé un précédent film en 1998 sur le Rwanda.

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 » Le capitalisme a gagné « 

Parallèlement à ce spectacle funeste, le réalisateur montre l’arrivée d’une délégation de la Commission européenne, venue se féliciter, avec les industriels locaux, du succès économique de la perche du Nil. 34 millions d’euros ont été versés par l’Europe pour développer cette filière, dont la production est destinée uniquement aux consommateurs occidentaux (2267 tonnes en 2004 pour le seul marché français). La population qui survit aux abords du lac ne se nourrit, elle, que des déchets de poisson impropres à la vente. Car cette industrie n’a pas détruit que la richesse écologique de la région, elle a également mis en pièces le système économique et social local, les petits pêcheurs locaux exclus de l’industrie de la perche du Nil n’ayant plus d’autres espèces à pêcher.  » L’éternelle question qui consiste à se demander quelle structure sociale et politique est la meilleure pour le monde semble avoir trouvé une réponse, constate l’auteur. Le capitalisme a gagné. Les sociétés futures seront régies par un système consumériste perçu comme  » civilisé  » et  » bon « . Dans le sens darwinien, le  » bon système  » a gagné. Il a gagné en convainquant ses ennemis ou en les éliminant « . Chômage, familles détruites, communautés éclatées : dans cette démonstration implacable du darwinisme biologique et social, Hubert Sauper montre, sans misérabilisme, les ravages du capitalisme sur les êtres humains. Prostitution, alcoolisme, prévalence aiguë du sida, enfants des rues qui sniffent le plastique fondu des emballages de poisson…la destruction de la vie locale est bel et bien un cauchemar darwinesque.  » J’ai essayé de transformer l’histoire du succès d’un poisson et le  » boom  » éphémère autour de ce  » parfait  » animal en une allégorie ironique et effrayante du nouvel ordre mondial, explique Hubert Sauper. Mais la démonstration serait la même en Sierra Léone et les poissons seraient des diamants, au Honduras, ils seraient des bananes, et en Irak, au Nigeria ou en Angola, ils seraient du pétrole brut « .

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Le cauchemar de Darwin (Darwin’s Nightmare), film de Hubert Sauper est sorti en salles le 2 mars 2005. Le film a reçu 8 prix dans des festivals internationaux, dont celui du Prix Europea Cinémas au Festival international du Film de Venise 2004.

Véronique Smée

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