Nucléaire : le casse-tête du démantèlement pour EDF
Boursorama avec AFP le 12/01/2018
La tâche est immense pour réformer les réacteurs les plus anciens en service en France, 2e producteur mondial d'électricité nucléaire. EDF s'affiche confiant malgré les retards et l'explosion des coûts.
EDF affiches des ambitions internationales en matière de démantèlement nucléaire. Mais la filière doit encore faire ses preuves en France, deuxième producteur d'électricité nucléaire au monde, où la tâche reste immense et les retards nombreux. "On démantèle neuf réacteurs en France. On considère que notre savoir-faire peut nous mettre en très bonne place pour gagner de vrais belles parts de marchés à l'international", assure à l'AFP Sylvain Granger, directeur des projets de déconstruction chez EDF.
Une ambition "sidérante" pour l'ex-députée PS Barbara Romagnan, auteure d'un rapport parlementaire qui soulignait, début 2017, les coûts "sous-évalués" et les retards croissants de ces chantiers. "Aucun de ces réacteurs français n'a encore été totalement démantelé alors qu'ils ont été arrêtés entre 1985 et 1997", argumente-t-elle. Ailleurs dans le monde, 17 cuves de réacteurs (de plus de 100 mégawatts, MW) ont été démantelées, aux États-Unis, en Allemagne, et en Espagne, selon l'Institut de radioprotection et de sûreté (IRSN).
À CHOOZ, EDF "EST EN AVANCE" SUR LE PLANNING
À Chooz (Ardennes), le chantier le plus avancé d'EDF, le démantèlement de la cuve, étape ultime et la plus délicate, a débuté en 2017. Mais la découpe de ses composants internes a été suspendue après la contamination, en juin, d'un employé suédois de Westinghouse, à qui EDF a sous-traité cette opération. Cet incident de niveau 1 sur l'échelle Ines (International nuclear event scale, qui classe de 0 à 7 les événements nucléaires), n'a "aucun impact sur le planning", assure pour EDF Sylvain Granger.
La cuve elle-même ne sera découpée que de mi-2019 à fin 2020, pour une fin de chantier en 2022. Mais près de 4.500 tonnes de déchets radioactifs ont été évacuées, soit près de 60% des déchets radioactifs de cette démolition, et EDF est "en avance sur son planning", ajoute l'entreprise. Quatre-vingt personnes travaillent sur ce chantier sous-traité principalement à Westinghouse (poids lourd du secteur), Nuvia (Vinci) et Polinorsud (New Areva). La facture devrait s'approcher des 500 millions d'euros, selon EDF. Avec ses 300 MW, "Chooz A" était trois à cinq fois moins puissant que les réacteurs actuels.
L'EXPÉRIENCE SUPERPHÉNIX
EDF met aussi en avant l'expérience acquise avec Superphénix, le surgénérateur au plutonium de 1.200 MW situé à Creys-Malville, à 70 km de Lyon. "Les Japonais sont très intéressés", se félicite Sylvain Granger. Sur ce chantier, près de 6.000 m3 de sodium ont été évacués du réacteur entre 2010 et 2014, transformés en soude et emprisonnés dans 70.000 m3 de béton. Une opération extrêmement délicate car le sodium s'enflamme au contact de l'eau et de l'air.
Lors du démantèlement d'un réacteur beaucoup plus petit (30 MW) mais ayant, comme Superphénix, la spécificité de fonctionner avec du sodium, et baptisé Rapsodie, une explosion avait fait un mort en 1994 à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Mais le démantèlement de la cuve géante (25 m de diamètre pour 20 m de haut) de Superphénix ne doit débuter qu'en 2020 pour s'achever en 2026, avec six ans de retard sur le calendrier de 2006.
EDF ÉPINGLÉE TROIS FOIS EN 2017
Et EDF, qui avait été condamné en 2016 pour non respect d'une mise en demeure de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), s'est encore fait épingler à trois reprises en 2017, année marquée par un "incendie ayant affecté des déchets pollués au sodium dans la nuit du 4 au 5 juillet". Le gendarme du nucléaire soulève des problèmes d'étiquetage des déchets, un manque de surveillance de sous-traitants, et des "dysfonctionnements" lors d'un exercice de crise. Sur ce site, la facture du démantèlement est évaluée de 1 à 2 milliards d'euros, selon un rapport parlementaire. 350 personnes travaillent sur le surgénérateur dont 80 salariés EDF.
Par ailleurs, l'un des sous-traitants du chantier Superphenix New Areva a été épinglé en décembre, sur le chantier de La Hague (Manche), où près de 600 personnes travaillent à la démolition d'une ancienne usine de retraitement des déchets nucléaires, pour "des défaillances", classées incident de niveau 1. Là, environ 7.000 m3 de déchets ont été évacués, selon New Areva. Il en reste 43.000 m3. Les activités principales de démantèlement sont évaluées à environ 4 milliards d'euros d'ici à 2035. Un chantier qui accuse un retard d'une quinzaine d'années, selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
VIEILLISSEMENT DES STRUCTURES
Autre retard majeur, pour six réacteurs de la génération dite "Uranium naturel graphite gaz" (UNGG), EDF a "reporté la fin globale du démantèlement au début du XXIIe siècle", selon l'ASN. Ces réacteurs à Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), Bugey (Ain), et Chinon (Indre-et-Loire). En 2000, EDF promettait un démantèlement achevé à l'horizon 2020-2025. Ce report, qui "pose la question du vieillissement des structures de génie civile des caissons réacteurs", est lié à des "problèmes de faisabilité technique", relève l'IRSN, précisant qu'"il n'y a pas de stockage aujourd'hui disponible pour le graphite".
Environ 17.000 tonnes de graphite radioactif doivent sortir des six centrales concernées, selon EDF, alors que le sort des déchets nucléaires les plus radioactifs n'est par ailleurs pas réglé. Le volume des déchets issus des démantèlements est évalué à plus de 2,3 millions de m3, selon le rapport parlementaire.
79 MILLIARDS D'EUROS POUR DÉMANTELER TOUS LES RÉACTEURS
Autre chantier très en retard, le démantèlement de Brennilis (Finistère), "d'une grande complexité" selon EDF, est aujourd'hui annoncé pour après 2030, soit plus de 45 ans après l'arrêt de ce réacteur de 70 MW qui a fonctionné 18 ans. Ce retard est lié à des recours en justice, mais aussi à des incidents, comme un incendie dans l'enceinte du réacteur en 2015.
Quant au démantèlement des 58 réacteurs en fonctionnement, EDF se veut "confiante" : leur technologie est la même que celle de Chooz A (réacteurs à eau pressurisée). Mais en attendant, faute de calendrier, la filière industrielle du démantèlement nucléaire, déjà confrontée à des problèmes de recrutement, tarde à se structurer. EDF évalue à 79 milliards d'euros le coût de démantèlement de tous ses réacteurs en France, a estimé, jeudi 11 janvier, l'entreprise qui parlait en 2000 de 16 milliards d'euros.
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