Fred Vargas - La troisième révolution

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Christophe
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Fred Vargas - La troisième révolution




par Christophe » 21/02/09, 09:25

Une petite lettre qui devrait plaire à la plupart d'entre vous/nous.

Fred Vargas, de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau, est née en 1957 en France. Elles est Archéologue mais aussi auteur de romans policiers à succès

Lettre de Fred Vargas - La troisième révolution

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Nous y sommes !

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.

Nous avons chanté, dansé.

Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles : faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

Franchement on s'est marrés.

Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.

C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.

La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.

De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.

Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi, ou crevez avec moi.

Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix,

On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.

D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer. Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire. Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.

Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

*Fred Vargas*
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Ahmed
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par Ahmed » 21/02/09, 14:03

En peu de mots beaucoup de choses sont dites et bien dites: c'est là un des intérêts de la littérature.

Plusieurs remarques:

- les trois révolutions dont il est question englobent chacune une durée de plus en plus brève : le paléolithique, c’est du début de l’humanité jusqu’au néolithique (un bail !), le néolithique n’a duré que 6000 ans environ et la révolution industrielle, c’est à peu près 200 ans.
Chacune de ces périodes se caractérise par un accroissement du peuplement humain, mais surtout par un accroissement exponentiel de la puissance énergétique mise à sa disposition : c’est ce qui explique en grande partie le raccourcissement de ces cycles.

- l'auteur parle de "révolution", au sens de changement radical, et non de "crise" pour qualifier la période actuelle. Cela me semble important car l’idée de crise, partout sciemment répandue, évoque l’idée d’un dérèglement passager, comme une sorte de maladie dont il suffirait d’attendre la fin ou d’y apporter quelque remède.

Ici, il est clairement question d’un changement historique majeur. Face à l’ampleur de cette mutation, on mesure que le fait d’utiliser une scie à denture plus fine pour scier la branche sur laquelle nous sommes installés ne résoudra rien.

- la conclusion est intéressante, car loin des poncifs qui proclament que si nous renonçions à la sainte croissante, nous serions condamnés à une cruelle déréliction, à un retour à une caverne originelle éclairée à la bougie (curieux anachronisme), Fred Vargas affirme que le futur proche sera différent mais pas triste et que ce ne sera probablement pas si difficile que cela.

- elle nous met cependant en garde, rien n’est joué et nous devons rester vigilants : "…à condition que nous contenions le retour de la barbarie…".
Il existe une alternative à cette troisième révolution, soit la solidarité assurant une répartition juste de ressources amoindries, soit un éco-fascisme* permettant à une minorité de s’attribuer la part du lion au détriment des autres.

*j’emploie ici le terme "fascisme" au sens commun et non dans son acception historique précise.
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"Ne croyez surtout pas ce que je vous dis."

 


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