par Did67 » 16/02/19, 14:17
Pas encore sortie, ma deuxième édition est déjà obsolète ???
Vu sur le site internet du journal Le Monde :
Des bestioles mobiles il y a 2 milliards d’années
Ces petits tunnels dans l’argile ont été creusés par des sortes de vers fouisseurs, à la recherche d’un film bactérien à manger… il y a 2,1 milliards d’années.
Un être vivant doté de mobilité autonome ? A quand cela remonte t-il ? Oh, les plus anciennes traces certaines, il y a environ 570 millions d’années, répondrait le paléontologue. Donc, une apparition nécessairement un peu (à 100 millions d’années près) antérieure, conclurait-il.
Et paf ! Article dans la revue PNAS – la revue de l’Académie nationale des sciences des USA – qui claque une nouvelle date : 2,1 milliards d’années (1). Un saut dans le temps phénoménal. Difficile à avaler pour les spécialistes de l’histoire de la vie très ancienne : auraient-il raté quelque chose ?
Réponse avec un coup d’œil sur l’article paru dans le PNAS. Le premier auteur n’est autre qu’Abderrazak El Albani. Le découvreur d’un écosystème qui a bousculé les manuels universitaires sur l’histoire de la vie. Une découverte remontant à 2008, publiée en 2010, à la Une de Nature tant elle bouleversait les connaissances.
Nichée dans des argiles gabonaises, près de Franceville, elle révélait des formes de vies macroscopiques, grandes comme votre main, avec des traces fossiles formidablement bien conservées. Des traces relatant l’histoire de l’éclosion, de la vie durant 200 millions d’années, puis de la disparition sans descendances directes, de formes de vies macroscopiques et pluricellulaires. Or, jusque là, pour les paléontologues, les êtres macroscopiques, et pluricellulaires, c’était beaucoup plus récent, il y a environ 600 millions d’années.
Gisement unique au monde
Abderrazak El Albani, de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (CNRS/Université de Poitiers), a su mobiliser une équipe internationale de grande qualité pour exploiter ce gisement unique au monde. Avec ce nouvel article, il prouve une fois de plus sa fécondité scientifique. Il y a plusieurs années déjà, il m’avait montré, sous réserve de confidentialité, ces argiles où se voyaient la trace de petits tunnels fossiles dont il a recueilli pas moins de 80 exemplaires lors de ses fouilles au Gabon. Sinueux, de quelques centimètres de long, il en était persuadé : «ce sont la trace d’animaux fouisseurs, comme des vers, qui se déplacent dans la vase, dans une mer peu profonde». Il en apporte aujourd’hui une preuve précise à l’aide d’une investigation poussée.
La micro-tomographie révèle la morphologie 3D des tubes reflétant la trajectoire des déplacements à travers le sédiment. Les tubes sont remplis de cristaux de pyrite (issus de la transformation de tissus biologiques par des bactéries) intercalés de minéraux argileux. Les couches horizontales parallèles sont des voiles bactériens fossiles. © A. El Albani & A. Mazurier / IC2MP / CNRS – Université de Poitiers
Micro-tomographie, sonde ionique, analyse spectrométrique (Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy), mesure des rapports isotopiques du soufre (révélateur d’une origine biologique et non purement géologique du soufre)… tout un arsenal a été mobilisé pour prouver au delà de toute critique possible que ces petits tunnels dorés, la couleur de la pyrite dont ils sont constitués, avaient bien une origine biologique. Qu’il s’agisse du mucus déposé par les êtres vermiformes sur les parois des tunnels ou de leurs cadavres transformés par les bactéries, c’est bien un matériel biologique qui est à l’origine de ces mystérieux tunnels.
Film bactérien
A l’époque de leur formation, raconte El Albani, il faut imaginer une vase peu profonde où vivent ces êtres. Les traces de mobilités sont manifestement provoquées par la recherche des films bactériens pour se nourrir, dont on observe également la trace, certains corrélés aux tunnels. Que sont ces êtres ? «Je voulais éviter toute spéculation susceptible d’être attaquée», souligne le géologue encore étonné des mouvements d’humeurs provoqués chez certains paléontologues par sa découverte. Aussi, les auteurs de l’article évoquent-ils parmi les possibilités un comportement connu chez les amibes actuelles, capables de se regrouper pour former une sorte de colonie en forme de ver afin de mieux se déplacer à la recherche de nourriture. Mais, remarque t-il un peu malicieux, «les amibes montrent des mouvements horizontaux, dans mes fossiles, il y a aussi des mouvements verticaux».
Fig. 3. (A and B) Volume rendering showing continuity between sheet and string morphologies in a single specimen. (Scale bars: 1 cm.) Image tirée de l’article des PNAS, traces d’un tunnel attaché à un film bactérien fossilisé.
Depuis la publication dans Nature de 2010, l’affaire est pourtant entendue. L’écosystème découvert recèle des sophistications biologiques déjà élevées, dont la mobilité fait partie. Quel que soit l’organisme à l’origine des tunnels fossiles, il ne peut être trop simple. Les auteurs affirment donc qu’il doit s’agir d’eucaryotes – autrement dit d’êtres dont le patrimoine génétique est enfermé dans un noyau, à la différence des bactéries et archées unicellulaires où il se trouve dispersé dans la cellule. Mine de rien, cela fait aussi remonter de plusieurs centaines de millions d’années l’apparition des eucaryotes dans l’histoire de la vie.
A gauche le bloc d’argile, à droite la micro-tomographie révèle la morphologie 3D des tubes reflétant la trajectoire des déplacements à travers le sédiment. Les tubes sont remplis de cristaux de pyrite (issus de la transformation de tissus biologiques par des bactéries) intercalés de minéraux argileux. Les couches horizontales parallèles sont des voiles bactériens fossiles. © A. El Albani & A. Mazurier / IC2MP / CNRS – Université de Poitiers
Quant au mystère de son apparition, de sa durée (200 millions d’années) et de sa disparition, il semble désormais mieux compris. C’est très probablement un « pic » – un plateau plutôt – dans la teneur en oxygène de l’atmosphère qui a permis l’apparition de formes de vies plus grosses et pluricellulaires, il y a 2,1 milliards d’années. Plus d’oxygène permet des métabolismes plus intenses et des êtres plus gros. Puis la diminution de cette teneur a provoqué la disparition de ces êtres macroscopiques, il y a environ 1,9 milliard d’années… Pour faire entrer la vie dans le « milliard d’années ennuyeux », les paléontologues qualifiant ainsi cette longue période où ne semblent vivre que des êtres unicellulaires. Et avant que la remontée de l’oxygène (ces yoyos sont provoqués par les bactéries marines qui consomment ou rejettent de l’oxygène) ne provoque « l’explosion cambrienne » à l’origine de la plupart des formes de vies actuelles, il y a 540 millions d’années.
Zéro soutien financier de l’ANR
L’équipe réunie autour de ce gisement fossile exceptionnel par Abderrazak El Albani continue donc son festival de premières scientifiques. Sans, pour l’instant, déclencher le soutien financier de l’Agence nationale de la recherche (le CNRS n’a plus de moyens financiers à la mesure de ses capacités et se contente de faire un communiqué de presse lorsqu’El Albani fait une publication marquante). L’ANR, comme raconté ici, a déjà refusé cinq demandes de crédits de recherche de l’équipe d’El Albani, qui doit avoir décroché le pompon de l’équipe française du nombre de publications prestigieuses (Nature, PNAS…) avec zéro soutien de l’ANR. Laquelle, il est vrai, repousse 90% des projets présentés par les chercheurs dans son programme non thématisé, faute de moyens.
Peut-être faut-il y voir le signe avant-coureur de ce que demande le Premier Ministre au CNRS : «choisir ses renoncements», lors d’un discours tenu devant les directeurs de laboratoire, sommés de désigner les recherches à enterrer faute de moyens financiers publics.
Sylvestre Huet
(1) Organism motility in an oxygenated shallow-marine environment 2.1 billion years ago, Abderrazak El Albani, M. Gabriela Mangano, Luis A. Buatois, Stefan Bengtson, Armelle Riboulleau, Andrey Bekker, Kurt Konhauser, Timothy Lyons, Claire Rollion-Bard, Olabode Bankole, Stellina Gwenaelle Lekele Baghekema, Alain Meunier, Alain Trentesaux, Arnaud Mazurier, Jeremie Aubineau, Claude Laforest, Claude Fontaine, Philippe Recourt, Ernest Chi Fru, Roberto Macchiarelli, Jean-Yves Reynaud, François Gauthier-Lafaye, Donald E. Canfield. PNAS, 11 février 2019.
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