François Roddier, thermodynamique et société

Débats philosophiques et de sociétés.
Ahmed
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par Ahmed » 20/03/19, 13:43

Je comprends parfaitement tes réticences à l'égard du marxisme et elles sont pertinentes. J'ai moi-même nourri une répulsion durable à cet égard et elle était fondée sur les discours de certains qui l'utilisaient pour avoir réponse à tout de façon religieuse, tel un Exnihiloest version stalinienne (la Raison étant remplacée par le Peuple!).
Ce n'est que bien plus tard que j'ai exploré les sources originelles et compris la complexité du message et comment les déviances que nous connaissons ont pu advenir (et conduire, par exemple à un capitalisme d'état). Depuis l'époque de la rédaction beaucoup de choses ont changé et le prolétariat n'existe plus au sens qu'il revêtait chez Marx: une masse de travailleurs qualifiés grandissantes dont les patrons étaient tributaires pour faire tourner les usines. La division du travail en tâches simplistes ne requérant aucune qualification (taylorisme) réduisait drastiquement la capacité d'obtenir des réformes, l'automatisation ensuite ainsi que la croissance de la classe moyenne et, in fine, le ralliement de la gauche à la société de consommation allait faire le reste. Aujourd'hui, ce dernier point est remis en cause, mais la capacité d'analyse disparue au cours de cette évolution doit être reconstruite à nouveaux frais, sans renier l'héritage marxiste, mais en l'interrogeant, ce qui est précisément conforme à l'esprit de son rédacteur. Les rapports de force subsistent sous d'autres formes, mais plutôt que de ce focaliser sur des aspects vieillissants du "Capital", mieux vaut étudier les outils d'analyse critique qui n'ont rien perdus de leur pertinence.
Enfin, pour conclure sur Roddier, il faut comprendre que les déterminismes qu'il décrit sont pertinents sur le long terme, alors que ceux évoqués par Marx ne sont valides que pour un type de société particulier et que les extrapolations qu'il en fait à d'autres époques sont assez hasardeuses... Les deux analyses se complètent donc parfaitement. Pour ce qui est de l'aspect prédictif, il ne fut pas se leurrer: les déterminismes peuvent s'exprimer de diverses manières et la vision du futur ne concerne que les grandes tendances. Par ailleurs, les deux auteurs nous exhortent à ce qu'il n'en soit pas ainsi et à choisir librement une voie qui ne se s'abandonne pas à cette forme de fatalité.
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par Ahmed » 20/03/19, 19:57

Je corrige la phrase suivante pour une meilleure lisibilité:
La division du travail en tâches simplistes ne requérant aucune qualification (taylorisme) réduisait drastiquement la capacité d'obtenir des réformes, l'automatisation ensuite ainsi que la croissance de la classe moyenne
devient:
La division du travail en tâches simplistes ne requérant aucune qualification (taylorisme) réduisit ultérieurement de façon drastique cette capacité d'imposer des réformes, l'automatisation ensuite ainsi que la croissance de la classe moyenne...

L'illusion de la "dictature du prolétariat" était toutefois principielle: comment une catégorie interne au capitalisme pouvait-elle dépasser son cadre constitutif?
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par sen-no-sen » 20/03/19, 21:01

être chafoin a écrit : Au contraire, je vois dans ces analyses le même biais déterministe qui permet de prédire l'avenir de l'homme puisque l'histoire est comme dictée par une source de vérité, source extérieure à l'homme et source de nature scientifique.


Au vu des travaux de Peter Turchin et Serguei Nefedov* sur les cycles historiques,il apparait que les analyses de François Roddier dépasse largement le cadre de l'hypothèse.
Il est indéniable que les sociétés humaines obéissent ,comme tout le reste, aux déterminismes physique.
Cette idée que les sciences humaines serait imperméables au science dure me parait une habile mythification. Mythification ayant pour but de promouvoir des idéologies comme l'économisme ou le culte du progrès.
Les auteurs ne prétendent pas faire de la précognition mais de la prédictions (nuances!). Aucun caractère prophétiques dans leurs projection,mais uniquement des analyses fondés sur les forces de l'histoire.




*In Secular cycles.
http://peterturchin.com/secular-cycles/
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par Ahmed » 20/03/19, 21:18

Plus prosaïquement, les analyses que l'on peut faire sur des événements présents expliquent de façon pertinente les raisons profondes des évolutions. Ceci est à mettre en balance d'avec les dissertations purement phénoménologiques habituelles qui sont le lot fréquent de la sociologie et d'autres sciences humaines un tantinet frileuses...
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par sen-no-sen » 20/03/19, 21:54

Les sociologues ne font vraiment plus leurs boulots.
La sociologies actuelles est principalement une sociologie de marché qui tends à expliquer(inviter...) les pratiques de consommations plutôt qu'a analyser les moteurs des transformations sociales.
Pour l'aspect humain,il est toujours de bon ton d'inviter un pseudo-philosophe sur un plateau pour venir nous raconter que l'être humain ne peut pas être réduit à des explications scientifiques...alors que dans le même temps,la société marchande utilise sont rouleau compresseur et ses méthodes de psycho-marketing pour nous transformer en simple consommateurs.
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par être chafoin » 22/03/19, 03:50

sen-no-sen a écrit :Il est indéniable que les sociétés humaines obéissent ,comme tout le reste, aux déterminismes physique. Cette idée que les sciences humaines serait imperméables au science dure me parait une habile mythification. Mythification ayant pour but de promouvoir des idéologies comme l'économisme ou le culte du progrès. Les auteurs ne prétendent pas faire de la précognition mais de la prédictions (nuances!). Aucun caractère prophétiques dans leurs projection,mais uniquement des analyses fondés sur les forces de l'histoire.

Les forces de l'histoire, selon moi, ne sont pas contraintes par les déterminismes physiques au point de pouvoir faire des prédictions de cet ordre : "centré sur 2023". Cette technique de découpage biaisé du passé pour décalquer des cycles sur l'avenir me fait penser à François Gervais qui tronçonne comme ça l'arrange les courbes des températures passées, lance des recherches de fréquences de cycles sur son ordi et une fois qu'il trouve une courbe mathématique régulière qui se calque, la duplique sur l'avenir !
Foncièrement, on ne peut pas prévoir ce qui naîtra de l'imaginaire social, même à court terme. Tu vois que cela n'a rien à voir avec les idéologies de l'économisme ou du progrès. En effet, ce dernier est aussi une structure artificielle déterministe du temps, placée à priori sur le déroulement de (l'ensemble de) l'histoire humaine. Il ne s'agit pas cette fois de cycles, ni de structure explicative sous-jacente de type scientifique, mais d'un vecteur montant où les évènements s'expliquent systématiquement en corrélation avec le développement des techniques et technologies, censées apporter un accroissement du bonheur et les solutions à nos problèmes. Comme toutes les analyses qui nient l'avancée chaotique et magmatique de l'histoire, cette idéologie est régulièrement démentie. Ainsi nous annonçait-on une énième fin de l'histoire après la chute du mur, dans les années 90. Le libéralisme, les joies de la vie moderne allaient pouvoir se répandre sans contrainte et en toute sécurité sur l'ensemble de la planète pour notre plus grand confort. Mais il y a eu : les attentats du 11 septembre, la crise de 2008, Daech...

Les forces de l'histoire humaine sont des forces de l'imaginaire social où survient toujours quelque-chose de radicalement nouveau. Peut-être que les sciences sociales ne sont pas imperméables aux sciences dures mais ce sont là quand même deux types de science très particuliers et très différents. Les forces physiques agissent bien entendu sur l'homme comme sur tous les corps mais elles ne subsument pas, loin de là, son histoire. A mon avis, elles ne sont même que de peu de secours pour comprendre l'histoire humaine...
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par sen-no-sen » 22/03/19, 10:58

être chafoin a écrit :mais d'un vecteur montant où les évènements s'expliquent systématiquement en corrélation avec le développement des techniques et technologies, censées apporter un accroissement du bonheur et les solutions à nos problèmes.
Le libéralisme, les joies de la vie moderne allaient pouvoir se répandre sans contrainte et en toute sécurité sur l'ensemble de la planète pour notre plus grand confort. Mais il y a eu : les attentats du 11 septembre, la crise de 2008, Daech...


Tu énonce là un vecteur montant(?) en corrélation avec un essor technologique(et donc économique) suivit d'une phase de crash(crise des subprime,Daesh etc...)
En somme tu dit qu'il n’y aurait pas de cycles historiques tout en décrivant par d'autre terme ses derniers... :?:

Personne n'a jamais parlé d'un déroulement strictement déterministe de l'histoire,cette dernière est comme la météo,elle se déploie via des déterminismes fondamentaux mais se déploie ensuite via des processus stochastiques*.
Hors toute la nature fonctionne ainsi et de façon fractale,il y du déterminisme dans l'indéterminisme et vice versa,tout est question d'échelle.
Il est donc parfaitement possible de parler de cycle historique(déterminisme) tout en gardant un contenu chaotique(indéterminisme).

Je peux par exemple affirmer que être chafoin est un humain(déterminisme),homme(déterminisme)qu'il a besoin de manger(déterminisme) qu'il va mourir(en étant capable de donner une fourchette d'espérance de vie) mais je suis bien incapable de dire ou sera être chafoin dans 10 jours 09 heures et 45 minutes...

Je le répète il ne faut pas confondre prédiction et précognition.


* Et pourtant le hasard à lui même ses lois!
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par être chafoin » 23/03/19, 00:45

sen-no-sen a écrit :Tu énonce là un vecteur montant(?) en corrélation avec un essor technologique(et donc économique) suivit d'une phase de crash(crise des subprime,Daesh etc...)
En somme tu dit qu'il n’y aurait pas de cycles historiques tout en décrivant par d'autre terme ses derniers... :?:
Quand je parlais de vecteur montant (ou montée irrémédiable si tu veux, je conviens que l'expression n'est pas terrible mais tu comprends je pense : il y a 150 ans on était des vermisseaux dans la fange, il y a 50 ans on était des ploucs, aujourd'hui on est bien confort, dans 50 ans on sera super class confort moumoute !) je parlais des croyances des promoteurs de l'idéologie du progrès, pas de ce qu'est réellement l'histoire, à mon sens.
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par Ahmed » 23/03/19, 21:49

J'ai achevé la lecture du petit dernier de Roddier sur l'économie et j'avoue être resté sur ma faim, car le contenu ne fait que reprendre les billets antérieurs en les réorganisant quelque peu...
La fin comporte une certaine hésitation: d'un côté il envisage la suite des événements comme une répétition mécanique du même, de l'autre la possibilité de l'effondrement...
Sa démonstration de l'intérêt de deux économies ago-antagonistes ne m'emballe pas, pas plus que sa dualité monétaire... Sur le dernier point, je ne perçois pas vraiment le côté "moteur thermique", d'autant qu'il n'explicite pas le rôle du taux de conversion entre ces deux monnaies ...
Autant il est à l'aise et clair en physique, autant il peine de plus en plus lorsqu'il se confronte à l'économie.
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Re: François Roddier, thermodynamique et société




par Ahmed » 29/04/19, 21:53

Nouveau billet de François Roddier:
140 – La théorie des équilibres ponctués -28 avril 2019

On doit au paléontologue américain Stephen Jay Gould et à son associé Niles Eldredge la constatation que l’évolution des espèces n’est pas uniforme dans le temps mais procède par sauts brutaux à des époques particulières. C’est la théorie dite « des équilibres ponctués ». Le physicien Per Bak a montré qu’elle est une conséquence du processus général de criticalité auto-organisée selon lequel les structures dissipatives s’organisent.

Cela signifie que l’évolution d’une société humaine suit un processus du même type que celui des espèces animales ou végétales. Il est intéressant de comparer leurs évolutions respectives. L’apparition d’une nouvelle espèce animale ou végétale serait l’équivalent de la naissance d’une société nouvellement organisée. Nous avons vu que cette dernière évolue en traversant quatre phases successives qualifiées de phase de dépression, d’expansion, de stagflation et de crises. Ce sont les phases des cycles de Turchin et Néfédov. Il semble qu’on retrouve effectivement ces mêmes phases dans l’évolution d’une espèce.

La phase de dépression correspondrait à la phase durant laquelle une nouvelle espèce apparaît et s’installe dans sa niche écologique. Suit une phase d’expansion durant laquelle les membres de cette espèce se multiplient rapidement. Après avoir atteint une certaine valeur la population se met à stagner. C’est la phase de stagflation durant laquelle l’espèce modifie l’environnement à laquelle elle est adaptée. On entre alors dans la phase de crise durant laquelle, devenue inadaptée, l’espèce finit par s’éteindre pour être remplacée par une espèce mieux adaptée au nouvel environnement.

La similarité entre les deux processus montre qu’ils sont de même nature. Dans le cas des espèces animales ou végétales, l’information est mémorisée dans les gènes. Il s’agit d’une évolution génétique. Celle-ci est très lente et s’étale sur des millions d’années. Dans le cas des sociétés humaines, l’information est mémorisée dans le cerveau et se transmet par la parole et l’écriture. Il s’agit d’une évolution culturelle. Beaucoup plus rapide que l’évolution génétique, elle s’accomplit en quelques siècles. Ce sont les cycles séculaires de Turchin et Néfédov.

Les progrès dans les transports et les communications font que l’évolution culturelle s’est encore accélérée. La France d’aujourd’hui vit dans une société dont la culture s’est développée à la fin de la première guerre mondiale et dont les phases n’ont duré que 30 ans. Marquée par la grande dépression de 1929, sa phase de dépression s’étend de 1918 à 1948. Suit une phase d’expansion, connue sous le nom de « 30 glorieuses », allant de 1948 à 1978, puis une phase de stagflation parfois qualifiée de « 30 piteuses ». Elle s’étend de 1978 à 2008. La crise bancaire de 2008 marque le début d’une phase de crise qui devrait logiquement durer jusqu’en 2038.

C’est durant sa phase de crise qu’une société s’effondre. L’effondrement correspond à ce que j’ai appelé la « falaise de Sénèque » une appellation suggérée par l’italien Ugo Bardi (voir la figure du billet 93). Cette falaise correspond au palier de condensation des thermodynamiciens. Elle se situe donc au milieu de la phase de crise. Si on applique ce résultat à la société française actuelle, on doit s’attendre à ce que celle-ci s’effondre en 2023, soit à la fin du présent mandat présidentiel. Je laisse mes lecteurs juger de la pertinence d’une telle prédiction.

À quoi doit-on s’attendre concrètement? La comparaison avec la fin des espèces végétales ou animales nous met sur la voie. Celles-ci s’éteignent lorsque leurs gènes ne sont plus adaptés à l’environnement. Dans le cas d’une société humaine, c’est sa culture qui n’est plus adaptée à l’environnement. C’est bien le cas de la société actuelle, société de compétition dont la principale source d’énergie, le pétrole, s’épuise et dont l’activité modifie le climat.

De même que la théorie des équilibres ponctués laisse prévoir une évolution rapide des gènes à des époques très particulières, de même elle laisse prévoir une évolution très rapide de la culture à des époques très particulières. J’ai suggéré que notre société actuelle allait s’effondrer en 2023. Cela implique une fin brutale de la culture dominante présente. On pourra alors espérer voir enfin rapidement s’étendre une nouvelle culture, beaucoup moins portée vers la croissance économique et beaucoup plus orientée vers la préservation de l’environnement.
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