[Témoignage] www.glyphosate.gouv.fr
«Au contraire de ce qui est suggéré, je ne m’engage pas à sortir du glyphosate»

Semis direct sous couvert - image d'illustration
Semis direct sous couvert - image d'illustration (©Gilles VK)

Comme bon nombre d’agriculteurs, Guillaume Joubert a découvert le site www.glyphosate.gouv.fr lancé à « l’initiative du président de la République » - comme l’indique le site – et destiné à la fois aux agriculteurs et au grand public. Le site, qui fait suite à l’engagement d’Emmanuel Macron d’interdire le glyphosate d’ici 2020, est censé permettre le « partage de bonnes pratiques » entre agriculteurs et, pour tous, de « suivre en temps réel la dynamique collective de la mise en œuvre de cet engagement ».

Guillaume Joubert, céréalier dans le Haut-Var, exploite 113 ha de maïs, soja, blé, féveroles, pois chiches et d'autres cultures, ainsi que 2 ha en maraîchage bio.
Guillaume Joubert, céréalier dans le Haut-Var,
exploite 113 ha de maïs, soja, blé, féveroles,
pois chiches et d'autres cultures, ainsi que 
 ha en maraîchage bio. (©Rémy Kulagowski CA04)

Céréalier et maraîcher dans le Haut-Var sur une exploitation de 115 ha (113 ha de cultures en conventionnel, 2 ha de maraîchage en production biologique), Guillaume Joubert a eu la mauvaise surprise de voir son témoignage cité dans la rubrique dédiée. « Contrairement à ce que sous-entend le site, je ne suis pas sorti du glyphosate. Et tant que je peux en utiliser, j’en utiliserai », explique le producteur joint par la rédaction de Terre-net.

Cela fait 10 ans que l’agriculteur a stoppé tout travail du sol sur ses parcelles. Il fait partie du réseau de fermes Dephy, dans le cadre du programme Ecophyto. En décembre 2014 déjà, il mettait cartes sur table dans une communication du ministère de l’agriculture en témoignant de ses expérimentations agronomiques, chiffres à l’appui, pour réduire son usage de produits phytosanitaires.

« Je déconseille de se lancer dans l’agriculture de conservation et de renoncer d’emblée au glyphosate », explique-t-il. « Il faut d’abord maîtriser son système en contrôlant bien le salissement des parcelles. Ce n’est que lorsqu’on arrive à limiter dans la durée le stock de mauvaises herbes que l’on peut passer éventuellement passer en bio. Pour ma part, les contraintes de mon exploitation ne me le permettent pas. »

Une reprise détournée, et donc « mensongère »

En fait, son court témoignage sur le site consacré au glyphosate a été repris à l’identique d’une page du site du ministère de l’agriculture sur la « réduction des pesticides ».

L’amalgame entre « réduction des pesticides » et « sortie du glyphosate », qui résulte de cette reprise, relève-t-il d’une méconnaissance des questions agricoles – et du sujet traité – de la part des responsables de la « start’up » anti-glyphosate ? Un détournement malhonnête ? Ou une simple erreur involontaire doublée d’une absence de vérification ?

« La façon dont c’est présenté, c’est mensonger », estime l’agriculteur. « Outre le fait de faire croire n’importe quoi aux citoyens, ce qui me dérange, c’est le compteur affiché sur la première page. Six jours après le lancement du site, ce compteur ne décolle pas. Quel relais vont faire les médias grand public si le compteur reste proche de zéro dans un mois ou deux ? Ce site va stigmatiser encore davantage le monde agricole et faire croire aux citoyens que les agriculteurs ne veulent pas faire d’effort. Alors que c’est totalement faux. »

C’est mettre de l’huile sur le feu. C’est encore diviser un peu plus l’agriculture bio et l’agriculture conventionnelle.

« Que se passera-t-il le jour où l’État publiera une carte communale des agriculteurs utilisateurs de glyphosate ? Jusqu’où ira-t-on dans la stigmatisation des agriculteurs », s’inquiète l’agriculteur.

L’agriculteur a même contacté sa chambre d’agriculture pour expliquer que l’Elysée avait « pris leur boulot pour en tirer des conclusions inverses ». « Ce site dénigre indirectement le travail des instituts techniques, des instituts de recherche et des chambres d’agriculture. »

« Que l’État utilise mon témoignage pour un tel site, c’est un peu choquant », poursuit le céréalier. « S’ils ont utilisé mon accord donné dans le cadre du réseau Dephy, ils auraient quand même pu me prévenir, ça aurait éviter une boulette. »

Gérant ses 113 ha de cultures en conventionnel mais aussi 2 ha de maraîchage en bio, Guillaume Joubert s'inquiète par ailleurs de l'opposition entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique entretenue par certains élus et associations.

« Que veut-on de plus ? »

Samedi 24 novembre, soit deux jours après le lancement du site, l’agriculteur a contacté le support du site pour, dans un premier temps, demander des explications. « J’attends leur retour. » Lundi 26 novembre au soir, l’agriculteur attendait toujours une réponse.

Ce n'est que mardi 27 novembre dans l'après-midi que le témoignage de Guillaume Joubert a été retiré du site. Mais mardi en début de soirée, l'agriculteur n'avait toujours pas été contacté. 

En attendant, l’agriculteur dresse le bilan de sa pratique du semis direct sous couvert et de l'absence de travail du sol. « J’ai divisé par trois la traction dans mes champs, et donc ma consommation de fuel. J’utilise deux fois moins d’engrais azoté et je n’utilise plus d’engrais de fond. Je n’ai plus de problème d’érosion, j’ai des lombrics dans mes champs, ça nourrit les oiseaux et ça alimente la biodiversité. Je stocke davantage de carbone. »

« Que veut-on de plus ? », réagit-il. L’État va me mettre dans une impasse. J’utilise le glyphosate seulement si je ne peux pas faire autrement. Mais si on me l’interdit, je tire un trait sur dix ans de pratiques et je devrais recommencer le travail du sol. Peut-être pourrais-je tenter de passer en bio. Mais si tout le monde s'y met, n'y a-t-il pas un risque de tirer les prix à la baisse alors que les aides à la conversion ne sont pas au rendez-vous ? »

Dès le lendemain de son lancement, de nombreux agriculteurs ont critiqué le site lancé par l'Elysée. Les syndicats agricoles ont, de leur côté, dénoncé l'absence de concertation de la profession.

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