Santé

Essais cliniques "sauvages" : l'Ordre des médecins poursuit le Pr Joyeux pour "charlatanisme"

Charlatanisme, risque injustifié, recherches illégales : le conseil de l'Ordre des médecins poursuit Henri Joyeux, qui a mené un essai clinique clandestinement sur 350 personnes.

Le Pr Henri Joyeux, vice-président du Fonds Josefa, à Paris le 7 novembre 2017

AFP - STEPHANE DE SAKUTIN

Le Conseil national de l'Ordre des médecins a engagé des poursuites disciplinaires pour "charlatanisme" contre le professeur Joyeux et sept autres médecins membres de la structure qui a organisé des expérimentations sur des malades d'Alzheimer et Parkinson, a-t-il annoncé vendredi 4 octobre 2019.

Poursuivi pour violation de 3 articles du code de la déontologie

Le Conseil de l'Ordre les poursuit "pour violation notamment des articles 15 (recherches impliquant la personne humaine), 39 (charlatanisme) et 40 (risque injustifié) du code de déontologie", précise-t-il dans un communiqué. Cette procédure peut aller jusqu'à la radiation. Par ailleurs, le Conseil de l'Ordre a "pris la décision de se constituer partie civile dans le volet pénal de cette affaire". Révélée le 19 septembre 2019 par l'Agence du médicament (ANSM), qui avait alors dénoncé un "essai clinique sauvage", cette affaire fait l'objet d'une enquête de la justice.

Un essai clinique "sauvage"

Les huit médecins que le Conseil de l'Ordre poursuit devant ses instances disciplinaires appartiennent à la structure organisatrice de ces expérimentations, le fonds Josefa, du nom d'une religieuse espagnole du début du XXe siècle. Trois sont membres de son conseil d'administration, dont son vice-président, Henri Joyeux, 74 ans, contesté par la communauté médicale notamment à cause de ses positions anti-vaccins. Les cinq autres sont membres de son comité consultatif. Le Conseil de l'Ordre ne peut en revanche pas engager de procédure disciplinaire contre le président du fonds Josefa, Jean-Bernard Fourtillan, car celui-ci n'est pas médecin mais pharmacien. 

Il fait "déjà l'objet d'une plainte pour exercice illégal de la médecine portée en juin 2019 par le Conseil départemental de la Vienne de l'Ordre des médecins", rappelle le Conseil de l'Ordre. Le pôle santé publique du parquet de Paris a ouvert le 27 septembre une information judiciaire au sujet de ces expérimentations, notamment pour "tromperie", ou "abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnérable". L'expérimentation concernait plus de 350 malades et consistait à appliquer aux patients des patchs contenant deux molécules aux effets inconnus, appelées valentonine et 6-méthoxy-harmalan, dans l'espoir de traiter plusieurs maladies neurologiques (Parkinson, Alzheimer) ainsi que des troubles du sommeil.

Science et religion mêlées

"Quand ils découvriront le système Veille-Sommeil, tel qu’il m’a été « dévoilé », les scientifiques du monde entier voudront bien reconnaître l’Œuvre de Dieu", écrit Jean-Bernard Fourtillan sur le site du fonds Josefa, dénotant un surprenant mélange de science et de foi religieuse. Selon l'ANSM, l'expérimentation a d'ailleurs eu lieu en partie dans une abbaye près de Poitiers. Le Conseil de l'Ordre a décidé de se porter partie civile dans le volet pénal pour "avoir accès au dossier", a-t-il souligné. Il "se réserve le droit, en fonction des avancées de l'enquête, d'entamer de nouvelles procédures disciplinaires à l'encontre de médecins dont il s'avérerait qu'ils seraient liés directement ou indirectement à ces essais cliniques". 

Le 30 septembre 2019, dans un communiqué, Henri Joyeux avait assuré qu'il n'y avait "rien d'illégal" dans ces expérimentations. La découverte de la valentonine est revendiquée par Jean-Bernard Fourtillan, mais ce produit n'a fait l'objet d'aucune évaluation scientifique. MM. Joyeux et Fourtillan ont récemment ouvert un autre site où ils publient ce qu'ils présentent comme des témoignages de malades ayant participé aux expérimentations.

Henri Joyeux, régulièrement dans le viseur de la justice

Indépendamment de cette affaire, le Pr Joyeux fait déjà l'objet d'une autre procédure devant l'Ordre des médecins, pour deux pétitions anti-vaccins qu'il avait publiées sur internet en 2014 et 2015. En première instance, le 8 juillet 2016, il avait été radié par la chambre disciplinaire de Languedoc-Roussillon. Mais en appel, le 26 juin 2018, il avait été blanchi par la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins, une instance indépendante du Conseil national. Ce dernier s'était alors pourvu devant le Conseil d'Etat, qui a cassé l'annulation de la radiation le 24 juillet. M. Joyeux devra donc être rejugé devant l'Ordre, à une date qui n'est pas encore fixée.