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Didier Pittet chargé d'apporter un "regard extérieur et neutre" sur la gestion du Covid-19 en France

Didier Pittet, épidémiologiste et chef du service de prévention et contrôle de l'infection aux HUG. [RTS]
Didier Pittet: "J’apporte en France mon regard extérieur et neutre" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020
Le spécialiste suisse des épidémies Didier Pittet, connu pour avoir généralisé le gel hydroalcoolique, a été nommé en France à la tête de la mission d'évaluation de la gestion de coronavirus. Interrogé par la RTS, il explique le rôle qu'il entend tenir dans cette fonction.

La France a donc choisi un Suisse, le professeur Pittet, pour examiner comment le pays a géré la crise du Covid-19. D'une durée de six mois, cette "mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de crise du Covid-19, et sur l'anticipation des risques pandémiques" sera chargée de rendre un premier rapport à l'automne sur le premier volet et un autre d'ici la fin de l'année sur le deuxième.

L’épidémiologiste, qui a été reçu jeudi à l'Elysée par Emmanuel Macron, précise dans une interview accordée à la RTS que sa mission sera de coordonner un groupe dont "les moyens sont encore en train d’être discutés. C’est une équipe multidisciplinaire, Il y aura des représentants de l’économie, de la philosophie, de la sociologie, de l’éthique, de la cour des comptes et évidemment du domaine sanitaire, c’est une approche extrêmement large. C’est une grande responsabilité que je vais essayer d’assumer au mieux."

"J’espère amener en France un peu de sérénité helvétique"

"L’avantage d’être suisse, c’est qu’on est externe, estime Didier Pittet. Cela donne une valeur particulière à l’approche". Le Suisse, qui s'est souvent vu confier des missions à l’étranger, juge que "la suissitude permet la neutralité et un regard différent".

Didier Pittet se rappelle avoir effectué par exemple des mandats pour l’OMS: "En Afghanistan, quand j’étais en mission pour l’OMS, je mettais mon passeport dans la poche de ma chemise, pour qu’on voie bien la croix blanche sur fond rouge."

Le médecin suisse envisage une approche aussi indépendante et neutre sur le terrain politique français: "Je ne fais pas de politique, l’idée est de faire un examen le plus transparent possible. Ensuite, certaines choses seront peut-être vues et reprises politiquement mais ce n’est pas mon affaire."

Conscient du climat polémique qui règne en France, par rapport à la situation en Suisse depuis le début de l’année, il "espère" amener un peu de sérénité helvétique: "En tout cas, c’est un plaisir et un honneur qu’on m’ait confié cette mission."

"À qui la faute, c’est une mauvaise approche"

Interrogé sur les controverses et les menaces de plaintes y compris pénales dans la gestion de la crise du Covid, Didier Pittet juge que l’on "ne peut pas refaire complètement le match. Mais il faut bien comprendre le match pour se préparer à une prochaine fois parce qu’il y en aura une".

Dans cet esprit, le médecin suisse conteste l’approche consistant à demander qui est fautif: "La faute à qui, c’est une mauvaise approche. Comme toujours, on pourra trouver des éléments multiples qu’on pourra améliorer. Et c’est sur ces éléments multiples qu’il faudra travailler."

Didier Pittet se montre critique sur une judiciarisation du débat: "À l’exception de certaines situations, il ne faut pas aller dans le judiciaire. Il faut rester raisonnable."

>> Didier Pittet et la recherche de coupables :

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Didier Pittet: "À qui la faute, c’est une mauvaise approche" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020

"La France est probablement parmi les 10 meilleurs pays"

Selon le spécialiste suisse, la France figure "parmi les 10 ou 12 pays qui ont le mieux géré la crise du Covid. C’est un très grand pays, qui a eu des problématiques régionales très différentes. Il y a eu de bonnes réactions. Ils ont manqué de masques, de tests à un moment donné, mais qui n’en a pas manqué?"

Didier Pittet est particulièrement favorable à la différence par régions que la France a mise en oeuvre dans le traitement de la crise. Il juge que la "réponse de la France n’était pas facile mais bien efficace. On le voit maintenant sur les chiffres".

>> Didier Pittet et la gestion de la France :

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Didier Pittet: "La France est probablement parmi les 10 meilleurs pays" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020

La politique différenciée selon les régions était selon lui "courageuse": "Les gens se plaignent. Ce n’est pas facile. Il y a eu des règles qui étaient discutables comme toutes les règles. Par exemple, cette règle des 100 kilomètres. Mais il fallait mettre des règles."

Didier Pittet appelle aussi à "être très modeste" dans son évaluation et dans la gestion de cette crise: "On va un peu à tâtons. On parle de science exacte. Non, la science est d’abord un art. L’intuition a compté pour les dirigeants politiques. J’ai vu des équipes qui changeaient de direction après quelques conférences téléphoniques. C’est le fruit de l’intelligence humaine. On est toujours plus intelligents à plusieurs."

"La pénurie de masque a frappé la France comme d’autres"

Questionné sur le cas emblématique des masques, Didier Pittet attend des compléments d’information mais considère qu’il n’y a pas eu a priori de particularité française par rapport à ses voisins: "Je n’ai pas encore tous les détails, ce sera intéressant de revenir sur tous les détails, mais à mon avis il n’y a pas eu en France de pénurie de masque particulière. La France a été victime de cette pénurie de masques mondiale. Ensuite, dans la distribution il y a eu des règles différentes selon les régions. Il faudra y répondre dans les rapports."

De façon plus générale, le médecin réfute le terme "d’imprévoyance" étatique: "Imprévoyant, on ne peut pas le dire, parce que personne ne prévoyait cette situation. Ceux qui prévoyaient des modèles horrifiants se sont lourdement trompés par rapport à l’impact des modèles. Mais personne n’avait prédit qu’on aurait des ruptures de masques parce qu’on vit dans un flux tendu imposé par l’économie."

"Il faut attendre un an complet pour juger de la surmortalité"

Didier Pittet explique qu’il est impossible à ce stade d’établir l’efficacité réelle du confinement et du nombre de morts évitées. Selon lui, on passera même peut-être "par une phase de sous-mortalité. C’est ce qu’on appelle l’effet de moisson. Des personnes de plus de 80 ans qui seraient peut-être décédées en octobre de la grippe sont peut-être décédées du Covid avant."

Le bilan ne pourra être établi qu’en juin 2021: "Il faudra attendre juin prochain. On aura alors le cycle complet d’une année, pour avoir les chiffres. C’est triste à dire mais c’est un effet de fauchage. Si grand-papa n’est pas décédé au mois d’avril du Covid, il serait de toute façon décédé au mois d’octobre, novembre ou décembre. C’est seulement quand on aura passé toute cette période et la grippe suivante que l’on pourra juger de tous ces chiffres réellement."

>> Didier Pittet et la surmortalité :

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Didier Pittet: "Il faut attendre un an complet pour juger de la surmortalité" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020

"On verra les effets négatifs du confinement aussi"

Répondant à ceux qui s’inquiètent d’un confinement qui aurait été trop strict en France, causant des morts par le fait des opérations reportées ou des difficultés économiques, le professeur Pittet concède qu’il s’agit d’une interrogation légitime mais qu’elle ne peut être encore tranchée.

"C’est une vraie question, bien entendu. Mais on n’a pas encore les données pour y répondre. Je vous rappelle qu’il faudra compter une année pour bien comprendre l’impact de l’épidémie et de l’arrêt de l’activité, qu’elles soient médicales ou économiques et sociales."

>> Didier Pittet et les effets du confinement :

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Didier Pittet: "On verra les effets négatifs du confinement aussi" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020

"La médecine préventive ne devrait rien coûter"

Epidémiologiste, infectiologue et spécialiste de la prévention, Didier Pittet est mondialement connu pour avoir généralisé le gel hydroalcoolique. Tout est parti d'une observation scientifique, une formule alcool-eau-glycérine. Une formule qui a finalement été donnée à l'OMS en 2006.

"Le don était évident. J’avais eu la chance de voir des tas d’hôpitaux dans le monde. Quand vous imaginez que ce produit peut sauver des vies, sachant que le potentiel est immense. Des millions par année. Vous n’alliez pas penser différemment. Il fallait que ce produit soit disponible partout dans le monde. C’est de la médecine préventive. La médecine préventive ne devrait rien coûter. Les vaccins ne devraient rien coûter!"

>> Didier Pittet et le gel hydroalcoolique :

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Didier Pittet: "La médecine préventive ne devrait rien coûter" / L'actu en vidéo / 2 min. / le 25 juin 2020

Anobli par la reine, il a "cru à une blague"

Didier Pittet, honoré déjà par d’autres missions et récompenses, commente son anoblissement par la reine Élisabeth. "C’est une reconnaissance civile extrême d’être anobli par la reine Elisabeth. C’est quelque chose qui touche beaucoup."

Et d'ajouter: "Au premier téléphone à ce sujet, j’ai cru à une blague."

La réussite de Didier Pittet est-elle celle de la méritocratie? Il raconte comment ses parents, d’origine modeste, ont dû vendre la voiture pour acheter une poussette à sa naissance. "Cet anoblissement je le dois à mes parents. J’ai eu des parents exceptionnels, ils m’ont tout appris."

>> Didier Pittet et son anoblissement :

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Anobli, Didier Pittet a "cru à une plaisanterie" / L'actu en vidéo / 1 min. / le 25 juin 2020

"J'ai même imaginé le monacat"

Fils d’un électricien, Didier Pittet revendique ce qu’il doit à ses origines: "J’ai appris l’importance du travail avec les mains, mais aussi du travail en équipe."

Ancien scout, ancien enfant de choeur, bénévole dans les colonies de vacances, il commente: "J’aime beaucoup la vie en équipe, en famille, le volontariat, les conseils de paroisse, le sport."

Le médecin révèle par ailleurs avoir été tenté par la prêtrise. "Vers 12 ans, j’étais enfant de chœur, j’allais beaucoup à l’Eglise. Mon parrain est devenu moine. J’ai aimé cette vie spirituelle. J’ai même imaginé le monacat. Mais je suis là."

>> Didier Pittet et la vie spirituelle :

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Didier Pittet: "J'ai même imaginé le monacat" / L'actu en vidéo / 2 min. / le 25 juin 2020

Darius Rochebin/Frédéric Boillat

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