Allons-nous manger de la viande brésilienne chargée d'antibiotiques, des cultures utilisant des pesticides interdits ou valoriser du soja OGM dont la culture est interdite en France ? C'est ce que craignent les agriculteurs français, farouchement opposés à la signature de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur. Emmanuel Macron a promis que les normes sanitaires et environnementales seraient respectés, mais le manque de traçabilité et de contrôle laisse planer le doute. Face à la contestation, le Président pourrait ne pas ratifier le traité.

"N’importons pas l’agriculture et l’alimentation que nous ne voulons pas chez nous". Ce credo est porté depuis longtemps par Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le premier syndicat agricole français. Et il prend tout son sens depuis la signature, le 28 juin, de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Venezuela).
Sur le papier, cet échange est bénéfique à tous. D’un côté, le Mercosur va exporter ses produits agricoles dans l’UE, à un taux préférentiel. De l’autre, il ouvre ses portes à l’industrie européenne, ses voitures, ses produits pharmaceutiques, sa chimie… Problème : l’agriculture sud-américaine est bien moins réglementée que l’européenne. Et les producteurs du vieux continent dénoncent une distorsion de concurrence.
Soja OGM, antibiotiques et feedlots
"À quoi bon demander en France et en Europe une montée en gamme en termes de qualité et de respect de l’environnement si c’est pour importer des produits contraires à cet effort", se demande le syndicat Jeunes Agriculteurs. Il faut dire que la situation est critique. Au Brésil par exemple, depuis l’élection de Jair Bolsonaro, près de 200 pesticides ont été homologués. Et le pays est déjà le plus grand consommateur de glyphosate au monde. Or les agriculteurs français devraient normalement se passer du glyphosate d’ici deux ans.
La viande est également concernée. L’Union européenne a concédé l’arrivée sur le territoire de 99 000 tonnes de bœuf par an à un taux douanier préférentiel de 7,5 % ainsi que 100 000 autres pour les volailles. Une ouverture qui pourrait fragiliser les filières européennes, qui sont déjà en crise. Mais qui posent surtout question quant à la qualité de la viande importée.
"Qu’y a-t-il de "durable" à mettre en péril nos élevages paysans, majoritairement nourris à l’herbe, en abaissant les droits de douane sur l’importation de 99 000 tonnes de viande bovine issus d’animaux entassés dans des feedlots (des parcs dédiés à l’engraissement intensif des bovins, NDR)", s’interroge Confédération paysanne. Cela pose un enjeu en matière de bien-être animal, un sujet de plus en plus sensible sur le vieux continent, chez les consommateurs, les entreprises sur les investisseurs. 
Les ONG et les agriculteurs européens dénoncent également l’usage du soja OGM résistant au glyphosate, dont la culture est pourtant interdite en France. Mais surtout l’emploi des antibiotiques, suremployés dans les élevages intensifs alors que l’Europe interdit l’utilisation de ceux destinés à favoriser la croissance des animaux. 
"Il n’y a aucune traçabilité au Brésil"
Emmanuel Macron lui, assure avoir négocié des garde-fous. "Cet accord est bon à ce stade, il va dans la bonne direction mais nous serons très vigilants", a-t-il déclaré le 29 juin, affirmant avoir imposé des critères, le deuxième étant "le respect de nos normes environnementales et sanitaires". Un vœu pieux pour beaucoup d’opposants à ce traité. "Il n’y a aucune traçabilité au Brésil, nous serons incapables de contrôler la qualité de ce qu’on importe", a déclaré au Monde le député LRM et agriculteur Jean-Baptiste Moreau, "Quand le bœuf arrivera au port de Rotterdam (Pays-Bas), on ne sera pas s’il a reçu des antibiotiques, des hormones, un certain nombre de farines animales… ".
Il faut dire que l’histoire ne joue pas en faveur du Brésil. En mars 2018, l’Union européenne, qui importe déjà 500 000 tonnes de poulets chaque année, a décidé d’interdire l’importation de volailles à deux groupes agroalimentaires brésiliens après une énorme fraude sanitaire. Des tonnes de viande avariées, certaines contaminées à la salmonelle, ont été vendues en Europe avec la complicité de services sanitaires brésiliens corrompus.
"Notre salut viendra des consommateurs à qui nous demandons de soutenir les produits", a déclaré Christiane Lambert. "Nous n’avons aucune confiance en une police de l’alimentation mondiale qui nous préserverait des risques sanitaires". Reste que la France n’est pas encore sûre de ratifier l’accord. Face à la levée de boucliers, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a indiqué que Paris allait "regarder dans le détail et en fonction de ce détail décider". 
Marina Fabre, @fabre_marina

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