Nos centrales nucléaires sont terriblement vulnérables : la preuve

Nos centrales nucléaires sont terriblement vulnérables : la preuve
La centrale nucléaire de Saint-Laurent-du-Pont, en septembre 2017 (image d'illustration). (JACQUES WITT / SIPA/SIPA)

Des terroristes pourraient-ils prendre le contrôle de réacteurs français ? La réponse est oui et les scénarios sont envisagés en haut lieu. Enquête.

Par Arnaud Gonzague
· Publié le · Mis à jour le
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Quand des militants de Greenpeace s'introduisent dans la centrale nucléaire de Cattenom (Lorraine) pour y tirer des feux d'artifice, comme ils l'ont fait ce jeudi 12 octobre, c'est "pour de faux". Mais est-il envisageable que de vrais terroristes prennent le contrôle d'une centrale française ? C'est bien ce que tente de montrer l'opération choc de Greenpeace. Et un problème sur lequel on planche depuis plusieurs mois au sommet de l'Etat.

Les centrales nucléaires face au risque terroriste : le rapport alarmiste de GreenpeaceTous les scénarios d'une attaque sont examinés au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Cet organe dépendant du Premier ministre et chargé de piloter les actions de l'Etat si des fous d'Allah passaient à l'acte, a classé les centrales nucléaires parmi les quelque 200 Opérateurs d'importance vitale (OIV), ces sites ultrasensibles sur lesquels il veille comme le lait sur le feu.

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Le fait est que les failles existent. Un ancien responsable du SGDSN a accepté pour "l'Obs" d'exposer les sept scénarios possibles et les réponses qu'y apportent les autorités.

1 L'arme lourde

Depuis les attentats de 2015, c'est la vision d'horreur qui hante tout le monde : un commando armé pénétrant dans l'enceinte d'une centrale. Pourtant, c'est… le scénario le moins plausible. Comme le décrit notre ex du SGDSN :

"Les zones les plus sensibles comme la salle des commandes sont protégées par trois enceintes bétonnées et des portes en acier qui se ferment automatiquement en cas d'intrusion."

Selon lui, les nombreuses intrusions de Greenpeace dans l'enceinte des centrales, censées démontrer qu'elles sont des passoires, ne prouvent rien :

"Passer le grillage est une chose, mais pénétrer dans une zone sensible en est une autre. Un sacré 'comité d'accueil' les attendrait !"

Outre les gardiens de la centrale, salariés d'EDF, chaque centrale dispose en effet, depuis 2009, d'un Peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG), un bataillon présent en permanence sur place. Selon l'ex du SGDSN :

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"Ils sont peu nombreux, mais surarmés et résolus."

En cas d'attaque, ils seraient par ailleurs vite épaulés par la gendarmerie, le GIGN, voire le Raid.

Comment on nous a dissimulé les dangers du nucléairePour autant, Yannick Rousselet, le "M. nucléaire" de Greenpeace, n'est pas convaincu :

"Sans avoir à pénétrer dans la centrale, des terroristes pourraient employer des lance-roquettes utilisés pour attaquer des fourgons blindés et viser les piscines de stockage."

Ces enceintes où refroidit le combustible nucléaire usagé, très radioactif, ne sont, en effet, que des hangars en béton ordinaire, comme le rappelle le tout récent rapport de Greenpeace sur la sécurité nucléaire. Yannick Rousselet décrit :

"J'ai vu de mes yeux dans certaines centrales des piscines placées en contrebas, tout à fait accessibles à un tir."

2Le crash aérien

Depuis le 11-Septembre, il est possible d'imaginer qu'un avion détourné par des terroristes s'écrase sur une centrale. Son béton y résisterait-il ? Pour Charlotte Mijeon, porte-parole de l'ONG antinucléaire Sortir du nucléaire : 

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"Clairement non. Ces installations ont été construites à une époque où cette menace paraissait inconcevable. Du coup, elles ne sont prévues que pour résister à de petits avions privés de type Cessna, pas pour de gros avions de ligne."

Un risque que reconnaît Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint pour les questions de défense et de sécurité à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'expert officiel des risques nucléaires et radiologiques français. Mais il nuance :

"Depuis le 11-Septembre, l'Etat a grandement modernisé sa détection des risques aériens, notamment en créant une patrouille opérationnelle. En cas d'alerte, cette patrouille d'avions de chasse peut intervenir en moins de dix minutes et neutraliser tout avion menaçant."

De plus, explique doctement notre ancien du SGDSN : 

"Il faut savoir que viser un site au sol comme une centrale est techniquement bien plus difficile que de percuter une tour."

Difficile… mais pas impossible, comme le prouve le crash du Boeing 757 sur le Pentagone, le 11 septembre 2001.

3 Les drones

Ces petits engins volants téléguidés sont encore aujourd'hui difficiles à repérer, et plus encore à neutraliser. Deux programmes scientifiques, "Angelas" et "Boréades", ont testé en 2016 la validité de plusieurs solutions technologiques – on n'en sait pas davantage. Reste une question : un drone chargé d'explosifs pourrait-il faire sauter l'enceinte d'un réacteur ou d'une piscine de stockage ? Georges-Henri Mouton de l'IRSN écarte l'hypothèse :

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"Non. Même un drone de plus d'un mètre d'envergure ne peut pas faire de dégâts significatifs."

Un constat rassurant, que ne partage pas Greenpeace, s'appuyant sur un rapport remis en 2014 à Manuel Valls et rédigé par l'expert indépendant britannique John Large. Comme l'explique Yannick Rousselet : 

"Il démontre qu'un ciblage des piscines de combustible pourrait avoir de graves conséquences."

L'expert estime aussi que des drones pourraient faire sauter facilement des pompes d'alimentation en eau de la centrale, pièces vitales puisqu'elles servent à refroidir le cœur du réacteur et l'eau des piscines. Faciles d'accès pour un drone, ces pompes, si elles étaient mises hors-service, pourraient provoquer un très dangereux réchauffement du combustible radioactif.

Drones et nucléaire : "L'Etat français est dans le déni"Certes, les pompes seraient remplacées rapidement par des pompes de secours, présentes sur toutes les centrales. Charlotte Mijeon s'emporte :

"Encore faudrait-il qu'elles fonctionnent !"

Elle cite une enquête du "Journal de l'Energie", qui révèle qu'en interne, EDF juge l'état de ses groupes électrogènes de secours "à surveiller", "dégradé", voire "inacceptable", car mal utilisés ou mal entretenus.

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Ses pompes de secours sont-elles dans le même état ?

4 L'attaque par l'eau

Une centrale a besoin d'eau pour refroidir ses réacteurs et ses piscines de stockage de combustible, voilà pourquoi elles sont systématiquement situées près d'une source aqueuse, à laquelle naturellement, des terroristes pourraient être tentés de s'attaquer. Yannick Rousselet propose un exemple qui fait froid dans le dos :

"Il existe une centrale en France où il suffirait d'ouvrir deux portes d'une simple écluse pour que les systèmes de pompage n'aient plus rien à pomper..."

Mais des esprits mal intentionnés pourraient aussi opter pour le scénario "inondation". Comme l'explique Charlotte Mijeon :

"On sait que, par exemple, le Grand canal d'Alsace qui domine la centrale de Fessenheim ou encore le barrage de Vouglans dans le Jura, à proximité de la centrale du Bugey, feraient de grands dégâts s'ils étaient attaqués."

Si l'un ou l'autre était dynamité, les deux centrales se retrouveraient sous les eaux, et donc hors de contrôle – soit exactement ce qui est arrivé après le tsunami à Fukushima. De l'avis de notre ex du SGDSN :

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"C'est un scénario très improbable. D'une part, parce que la submersion ne serait pas aussi puissante que celle d'un tsunami. D'autre part, parce que les canaux et barrages dont on parle font évidemment l'objet d'une surveillance particulière. Un groupe terroriste ne pourrait pas y déposer des explosifs en toute impunité."

5Le "mouton noir"

Quelques heures après les attentats de l'aéroport de Bruxelles de mars 2016, quatre personnes, notamment un employé d'Electrabel (l'EDF belge), ont perdu leurs "habilitations sécurité", donc leur droit d'accéder aux zones sensibles de la centrale de Tihange. Leur profil était, soudain, jugé suspect…

En 2014, à la centrale de Doel, toujours en Belgique, un réacteur a été volontairement vidangé de 65.000 litres d'huile par un individu qui n'a toujours pas été identifié.

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Cette infiltration de personnel malveillant serait-elle possible en France ? "Il faut rester prudent, mais nous nous appuyons sur un système de 'criblage', c'est-à-dire une sélection des personnes", explique notre ex du SGDSN.

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"Chaque agent EDF de la centrale est ainsi soumis à une véritable enquête policière."

Sauf qu'EDF emploie parfois sur ses sites jusqu'à 7 niveaux de sous-traitants, lesquels ne sont pas tous contrôlés avec cette méticulosité.

Quand plusieurs milliers d'intérimaires travaillent dans une centrale, la liste de leurs noms est simplement adressée à la préfecture qui n'a évidemment ni le temps ni les moyens de les cribler en détail. Georges-Henri Mouton concède :

"Le criblage est une technique limitée quand elle concerne autant de monde."

Mais il met en avant d'autres garde-fous dans les zones les plus sensibles de la centrale, notamment le fait qu'un employé ne puisse pas seul enclencher certains dispositifs dangereux, mais qu'il faille être plusieurs. Pour autant, le "mouton noir" reste une grande crainte.

6 La cyberattaque

En 2016, la centrale de Gundremmingen, en Bavière, a été frappée par plusieurs virus informatiques, dont l'un aurait pu permettre aux hackers de prendre son contrôle – les autres pouvant sérieusement endommager les installations.

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Une opération censément impossible avec des réseaux informatiques des centrales qu'on dit air gapped, c'est-à-dire complètement isolés du réseau internet et ne fonctionnant qu'en circuit fermé. Mais Caroline Baylon, auteure pour le think tank Chatham House d'un rapport alarmé sur la cybersécurité dans le monde, s'inquiète : 

"Le problème, c'est que même si les mentalités des exploitants de centrales ont évolué, beaucoup vivent encore dans la culture du déni du risque."

Elle considère toutefois que "l'Etat français est plutôt en avance sur ces questions par rapport à ses voisins". Un satisfecit partagé par David Grout, directeur technique chez FireEye, entreprise de sécurité informatique qui protège de nombreux sites sensibles tricolores :

"Oui, l'air gap français est bien respecté… même s'il reste techniquement toujours possible de le contourner en introduisant une clé USB infectée par un virus."

En effet, si un ordinateur ne peut pas se connecter dans le système interne des centrales sans autorisation, les clés USB infectées, elles, le peuvent.

Les centrales nucléaires de plus en plus exposées au risque de cyberattaquesAutre point faible : les logiciels utilisés pour piloter certaines installations d'une centrale datent souvent des années 1980-1990, époque où les fabricants se montraient bien moins précautionneux qu'aujourd'hui en termes de sécurité. David Grout alerte :

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"Ces logiciels présentent de nombreuses failles qui ont été peu ou pas corrigées. Or, certaines personnes sans foi ni loi gagnent des fortunes en détaillant ces failles à des groupes terroristes."

Un point rassurant cependant : ces vulnérabilités ne peuvent pas mettre K.-O. le réseau informatique par une attaque de l'extérieur. Il faut qu'un individu à l'intérieur de la centrale soit complice.

7Les convois radioactifs

Deux ou trois fois par semaine, des camions quittent le centre de retraitement de la Hague (Manche) pour rejoindre le site nucléaire de Marcoule (Gard). Soit 1.000 kilomètres à travers la France avec, à leur bord, de la poudre d'oxyde de plutonium issue de la combustion des centrales. Yannick Rousselet de Greenpeace rappelle :

"C'est le plus grand radiotoxique qui existe sur Terre. Une seule poussière ingérée peut provoquer un cancer de l'estomac en moins de six mois !"

On imagine alors ce qui se passerait si un convoi était visé par un lance-roquettes ou incendié. Ou encore, si son contenu était dérobé pour fabriquer une "bombe sale", capable d'irradier tout un quartier. Rousselet estime :

"Ce ne serait pas difficile, car le convoi emprunte un itinéraire autoroutier classique, bordé par des aires d'autoroute et enjambé par des ponts. Les terroristes n'ont qu'à attendre qu'il arrive à eux !"

Un risque très limité, selon Georges-Henri Mouton de l'IRSN. D'abord parce que ledit convoi est dûment escorté par des pelotons de gendarmerie.

"Ensuite, parce que naturellement, l'itinéraire est sécurisé avant chaque voyage : chaque aire, chaque pont sont observés, le renseignement est mis à contribution, etc. Ce sont des méthodes militaires éprouvées."

On a très envie de le croire.

Arnaud Gonzague

Arnaud Gonzague
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