Affaires Raoult : des "pratiques déviantes"... Le gouvernement enfonce le clou

Affaires Raoult : des "pratiques déviantes"... Le gouvernement enfonce le clou Sylvie Retailleau, ministre de la Recherche, a réagi sur Franceinfo à la perquisition effectuée à l'IHU de Marseille, fondé par le professeur Raoult, mené par le parquet de Marseille pour des soupçons "d'essais cliniques non autorisées".

[Mise à jour le 01 juin à 11h25] Le gouvernement a réagi. Après une nouvelle perquisition à l'IHU Méditerranée Infection, établissement médical fondé par Didier Raoult, la ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau s'est exprimée sur Franceinfo

"Je pense qu'il y a eu des problèmes de management, de harcèlement moral et d'essais cliniques avec des pratiques déviantes et non correctes", la ministre faisant ici référence à l'information judiciaire ouverte depuis juillet 2022 suite à des signalements de l'Agence du médicament sur les années de direction de Didier Raoult à la tête de l'IHU de Marseille.

Sylvie Retailleau estime "être très clair puisqu'en 2022, suite à une précédente enquête, nous avons démis Didier Raoult de ses fonctions de cet IHU." Elle conclut en enfonçant le clou : "Il est difficile de continuer à l'appeler 'grand scientifique' quand on a ces pratiques aujourd'hui."

La réponse de Didier Raoult 

Didier Raoult avait répondu sur BFM TV à la publication d'une tribune publiée dans Le Monde dimanche 28 mai. Des organisations médicales y dénoncent les agissements de l'IHU Méditerranée Infection de Marseille suite à la parution d'une étude sur un essai thérapeutique "sauvage' sur l'hydroxychloroquine contre la coronavirus 2019.

"Il n'y a jamais eu d'essai thérapeutique" à l'IHU de Marseille selon Didier Raoult. Le médecin précise qu'il s'agit d'une "étude observationnelle", selon lui. Il défend ici la méthode employée dans une étude pré-publiée (c'est un preprint : une étude non relue) fin avril. Plusieurs organisations médicales l'ont dénoncé de ne pas respecter le cadre réglementaire et éthique légal.

Lors de cette étude, menée entre 2020 et 2021, Didier Raoult était alors directeur de l'IHU et il a d'ailleurs co-signé ce travail. Selon ses chiffres, 30 000 patients se sont vu prescrire un traitement à base d'hydroxychloroquine et d'azithromycine. Le lendemain de la parution de cet article, l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a rappelé "que l'hydroxychloroquine, l'azithromycine et l'ivermectine ne constituent pas des traitements du Covid-19."

Jusqu'à 3 ans de prison

"Une tribune d'imbéciles ! Que les autorités de santé viennent faire leur enquête sur l'hydroxychloroquine" contre-attaque le médecin marseillais sur franceinfo. Il risque jusqu'à "un an de prison, une interdiction d'exercer et 15 000 euros d'amende'" selon le Code de la santé publique si le fait de pratiquer ou faire pratiquer une recherche impliquant la personne humaine sans autorisation est avéré. 

Didier Raoult risque gros si les auteurs de l'étude n'ont pas de preuves formelles du consentement libre et éclairé des patients : la loi indique que la peine peut alors passer à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende en complément d'une interdiction des droits civiques, civils, de famille et d'exercer sa profession pendant cinq ans. Interrogé sur ce consentement par Le Monde, M.Raoult n'a pas répondu à cette demande.

L'Ordre des médecins peut également sanctionner les auteurs de cette étude : "En cas de condamnation, la sanction peut être un avertissement, un blâme, une interdiction d'exercice avec ou sans sursis de la médecine pouvant aller jusqu'à trois ans. La sanction la plus forte étant la radiation du Tableau de l'Ordre."

Le professeur Raoult campe sur ses positions

Le professeur assure que son protocole est opérationnel et que les études internationales "ont été truquées". L'ANSM indique que "l'utilisation d'un tel traitement expose les patients à de potentiels effets indésirables qui peuvent être graves. Enfin, aucune autre autorité de santé au sein de l'Union européenne, ni l'Organisation mondiale de la santé, ne recommande d'utiliser ces traitements dans ces indications."

Pour Mathieu Molimard, professeur en charge du service de pharmacologie au CHU de Bordeaux, cité par franceinfo :  '"On n'est clairement pas dans du soin, on n'est clairement pas dans l'intérêt direct du patient. Par contre, il y a un intérêt à publier. L'intérêt de publier, c'est ce que cela rapporte de l'argent." Le professionnel de santé explique que le système Sigaps (Système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques) peur "ramener de l'argent vers leurs institutions" grâce à son fonctionnement.

Que dit le dernier rapport qui vise Didier Raoult et l'IHU de Marseille ?

La synthèse du rapport pointe notamment "des pratiques médicales et scientifiques déviantes répandues au sein de l'IHU." Il est ainsi mis en avant plusieurs dysfonctionnements médicaux, dont plusieurs peuvent faire l'objet d'une qualification pénale selon les chargés de la mission. Concrètement, sur le plan médical, il est reproché à l'établissement hospitalier :

  • D'avoir utilisé l'hydroxychloroquine et l'ivermectine contre le Covid, à l'encontre du protocole établi par l'Assistance publique – Hôpitaux de Marseille ;
  • D'utiliser des molécules non-recommandées contre la tuberculose, certains traitement étaient même "hors autorisation de mise sur le marché", et de ne pas prescrire des molécules à l'efficacité démontrée ;
  • Des manquements graves au regard de la réglementation de la recherche clinique : non-exhaustivité des consentements signés, mineurs inclus dans l'étude contrairement au protocole, consentement signé par des personnes non francophones et incluses, utilisation du consentement concernant d'autres recherches ;
  • De fournir à des cliniciens des kits de diagnostic syndromique (c'est-à-dire qui permettent de rechercher les causes d'une maladie) non validés ;
  • De travailler avec un guide de prescription des anti-infectieux, établi par l'IHU, présentant un certain nombre de non-conformités au regard des standards actuels et formalisant des prescription ne respectant pas le code de la santé publique.

Que répond Didier Raoult à ces accusations ?

Le professeur Didier Raoult, particulièrement médiatisé au cœur de la crise de Covid-19, fait l'objet d'un signalement auprès du procureur de la République de Marseille, lancé par deux ministres, celui de la Santé, François Braun, et celle de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau. Une saisie de la justice à la suite de la remise d'un rapport, publié lundi 5 septembre 2022, conclusion d'une mission de huit mois menée par l'Inspection générale de l'Education, du Sport et de la recherche (IGESR) et l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Le document "met en lumière des dysfonctionnements graves de l'IHU concernant la qualité de ses activités de recherche et de soins", ont annoncé les deux ministres dans un communiqué commun.

A toutes ces affirmations, Didier Raoult a répondu, comme le veut la procédure. Le désormais ex-directeur de l'IHU regrette "une mission à charge ne retentant qu'une toute petite partie des 3000 documents que la mission nous a demandé de lui adresser", remettant en cause la méthodologie et notamment les propos mentionnés dans le rapport, issus d'entretiens anonymisés.

Par rapport à l'administration d'hydroxychloroquine, Didier Raoult affirme d'abord ne pas avoir traité tous les patients touchés par le Covid-19 avec ce procédé et dit être couvert par la liberté de prescription dont lui a fait part le Directeur général de la Santé. Par ailleurs, le Conseil de l'Ordre n'a également retenu aucune faute à son encontre à ce sujet. Enfin, il précise que certains médecins, même sans contre-indications, n'ont pas souhaité en prescrire à certains patients.

Contre la tuberculose, Didier Raoult assure que les traitements proposés l'étaient en vue d'expérimentations notamment pour "évaluer pour permettre la réduction de la durée du traitement", dont l'un, à la clofazimine, a été "évalué favorablement" avant d'être "invalidé par l'ANSM sans explication."

Sur le sujet du consentement dans la recherche clinique, le professeur réfute les manquements décrits, et évoque, au sujet du mineur objet d'une étude, 'une "erreur isolée." Il affirme par ailleurs que des interprètes ont été utilisés pour demander le consentement des patients étrangers et que Google Traduction était même utilisé par les praticiens et infirmières.

Il défend par ailleurs le guide de prescription des anti-infectieux, estimant que "les recommandations d'experts ne sont par définition pas une vérité scientifique, cela étant illustré par le fait que les recommandations de traitement sont différentes dans quasiment chacun des pays européens et outre-Atlantique."

Didier Raoult déjà visé par Médiapart

En octobre 2021, une enquête de Mediapart et de L'Express révélait que plusieurs essais cliniques, réalisés à l'IHU de Marseille sous l'autorité du Professeur Didier Raoult, "bafouaient" la réglementation en matière scientifique. D'après l'enquête,  à partir de 2017 et jusqu'en mars 2021, l'IHU avait prescrit un traitement à base de quatre médicaments que l'Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) s'y était pourtant opposée car ce cocktail était toxique plutôt qu'efficace. "Les dernières révélations sont une tempête dans un verre d'eau" avait réagit Didier Raoult le 25 octobre.

Deux jours plus tard, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait diligenté une inspection et saisie le parquet de Marseille sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale comme l'a confirmé le procureur de la République de Marseille, Dominique Laurens. "Après des signalements réalisés en mai 2021, sur de possibles manquements de l'IHU Méditerranée Infection à la réglementation des essais cliniques (…), nous considérons que certaines études auraient dû être menées conformément à la législation encadrant les recherches impliquant la personne humaine. Ceci n'est pas admissible" avait expliqué l'ANSM. Mais en juin 2022, le rapport d'inspection publié par l'ANSM a blanchi Didier Raoult, ne mettant aucunement en évidence de la recherche impliquant la personne humaine non autorisée.

Sa fille décrit un homme qui "n'a jamais supporté la contradiction"

Dans un entretien accordé à l'Express, Magali Carcopino-Tusoli est revenu sur sa relation avec son père, Didier Raoult. Selon cette médecin au Centre hospitalier universitaire de Marseille : "Il est impossible de survivre avec lui si on n'est pas d'accord sur tout. Ce comportement l'a poussé à s'isoler, à se couper de toute critique et à s'enfermer à l'intérieur d'une sphère d'adoration." Une description qui fait écho aux accusations du parquet marseillais sur le management prôné par le professeur durant ces années de direction à la tête de l'IHU. "Cela fait plus de dix ans que nous ne nous parlons plus et, aujourd'hui, j'ai de la peine pour lui. Il se rêvait prix Nobel, il est devenu le leader des complotistes et des antivax", indique cette spécialiste en médecine vasculaire.