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Vaccins contre le Covid et cycles menstruels : pas de lien établi à ce jour mais l’ANSM reste vigilante

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
L’Agence nationale de sécurité du médicament avait classé cet été les perturbations des cycles menstruels comme «signal potentiel» après une vaccination. Dans de nouveaux rapports, l’agence indique poursuivre ses études, mais pointe la difficulté d’établir une corrélation entre les deux.
par Maëlane Loaec
publié le 1er octobre 2021 à 12h14

Les témoignages avaient essaimé sur les réseaux sociaux dans le monde entier : cet été, de nombreuses femmes racontaient avoir vu leur cycle menstruel perturbé après avoir reçu leurs injections de vaccin contre le Covid-19. Elles décrivaient notamment, et décrivent toujours aujourd’hui, des cycles décalés, des règles plus douloureuses que d’habitude, ou des flux plus intenses.

Le 30 juillet, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) faisait remonter dans son enquête de pharmacovigilance des centaines de cas observés suite à une vaccination avec Pfizer et Moderna. Des dossiers classés comme «signal potentiel» – faisant donc l’objet d’une attention particulière. Le 24 septembre, un nouveau point de situation sur ces deux mêmes vaccins confirmait le maintien de ce signal, sans pour autant relever de situations inquiétantes ni de lien direct prouvé entre vaccination et troubles menstruels.

Ces enquêtes, réalisées «à partir des déclarations réalisées par les professionnels de santé, les personnes vaccinées ou leur entourage», sur le site signalement-sante.gouv.fr, indique l’ANSM à Libération, ont permis de faire remonter au 31 juillet 261 cas «notifiés et validés» pour le vaccin Pfizer, dont 30 graves, ainsi que 238 cas, dont 19 graves, pour le sérum Moderna au 9 septembre.

Le spectre des effets étudiés est large : retards ou avancées du cycle, ainsi que des ménorragies (règles anormalement abondantes) et des métrorragies (saignements en dehors des règles). Par ailleurs, certaines femmes pourtant ménopausées ou préménopausées ont témoigné avoir présenté des saignements après avoir reçu une dose de vaccin. Mais l’ensemble de ces perturbations restent, dans 90% des cas, notifiés non graves, précise l’ANSM.

«Seuls des essais cliniques pourraient le vérifier»

«Il y a sujet à vigilance, mais pas d’inquiétude, résume Sophie Gautier, responsable du Centre régional de pharmacovigilance de Lille et autrice d’une partie des rapports. Pour l’heure, aucun lien n’a pu être établi entre la vaccination et les perturbations de cycles. Seuls des essais cliniques pourraient le vérifier. Le seul élément qui nous interpelle et nous surprend, c’est la chronologie des cas rapportés : la plupart des troubles se déclarent dans les trois jours à la suite des injections.»

Le nombre de ces déclarations a aussi retenu l’attention des centres de pharmacologie. «Ce nombre de cas a augmenté, mais cela fait suite à nos rapports sur le sujet cet été, ajoute-t-elle. Par acquit de conscience, certaines femmes ont signalé des perturbations, mais cela ne veut pas dire que le phénomène s’est accéléré.»

D’autant que les rapports soulignent le fait que les perturbations se résorbent rapidement : «On assiste souvent au décalage d’un seul cycle», commente Sophie Gauthier. Même si, dans le cas du vaccin Moderna notamment, des modifications du cycle ou des flux sont apparus à nouveau après la seconde dose. Par ailleurs, «rien dans les données de pharmacovigilance dont nous disposons à ce jour» ne permet de penser une incidence du vaccin sur la fécondité des femmes concernées. Dans tous les cas, «si ces troubles menstruels persistent, nous invitons les personnes vaccinées à consulter leur médecin», recommande l’ANSM. Interrogé sur France Inter à ce sujet ce mercredi, le ministre de la Santé, Olivier Véran, tentait de rassurer : «Le mécanisme inflammatoire en soi peut décaler ou perturber le cycle hormonal qui va suivre. Mais à ce stade je n’ai aucune information de gravité.»

«Ce sont les limites du déclaratif utilisé en pharmacologie»

Les difficultés à établir un lien entre vaccination et troubles menstruels s’expliquent notamment par la présence d’autres facteurs qui peuvent aussi perturber un cycle, comme le stress, la fatigue, des inflammations ou la prise d’une contraception. «Comme nous ne travaillons qu’avec des observations déclarées spontanément, il est difficile d’évaluer ces autres facteurs et d’obtenir des éléments sur la régularité du cycle habituel, détaille la pharmacologue. Ce sont les limites du déclaratif utilisé en pharmacologie : il a pour but d’alerter, d’attirer le regard sur un événement potentiellement en lien avec le vaccin, mais on ne peut réaliser un “avant /après” qui permettrait d’objectiver le trouble avec précision.»

Si les rapports pointent des données de littérature scientifique pour l’heure «très pauvres» sur le sujet, ils citent le questionnaire en ligne lancé par Kathryn Clancy, anthropologue américaine à l’université de l’Illinois, qui a recueilli plus de 140 000 réponses.

«Cette étude est menée précisément dans le domaine de spécialité de cette chercheuse, je ne suis pas sûre que de telles études seront forcément menées en France, car le phénomène des troubles menstruels est déjà très complexe, certains ne sont toujours pas expliqués aujourd’hui en dehors de toute vaccination», estime Sophie Gautier. Les auteurs des rapports appellent toutefois à «une discussion» avec les sociétés savantes du Collège national des gynécologues et obstétriciens français et la Société française d’endocrinologie.

Les instituts de santé américains ont d’ailleurs annoncé mi-septembre qu’ils financeraient des recherches menées par cinq universités sur toute une année, en étudiant le cycle de participantes de tous âges et de tous profils qui n’ont pas encore été vaccinées, pour mesurer les conséquences des injections sur leur cycle.

Parallèlement, «certaines données existent par contre concernant l’impact de la maladie Covid sur le cycle menstruel chez les femmes, indique le rapport sur le vaccin Pfizer. Des troubles de la menstruation sont rapportés sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agit de l’infection, du stress ou de modifications du comportement.» Mais «plusieurs éléments méritent d’être analysés de manière plus approfondie», poursuivent les auteurs.

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