Un médecin administre une dose du vaccin Pfizer-BioNtech à un employé des Hospices Civils de Lyon le 5 janvier 2021

Un médecin administre une dose du vaccin Pfizer-BioNtech à un employé des Hospices Civils de Lyon le 5 janvier 2021

afp.com/JEFF PACHOUD

Des vaccins qui modifieraient notre génome. Comment un tel scénario, digne de la science-fiction, a-t-il pu devenir viral ? En septembre dernier, le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) publie une note alarmiste sur les vaccins contre le Covid-19 et les "technologies OGM". Fondée par Corinne Lepage, Gilles-Eric Séralini et Jean-Marie Pelt, cette association anti-OGM est habituée aux controverses scientifiques. En 2012, une étude du biologiste Séralini sur la toxicité supposée d'un maïs transgénique fit scandale, avant d'être rétractée et infirmée. Sous des apparences de neutralité scientifique, l'auteur du texte, le généticien moléculaire et militant écologiste Christian Vélot, affirme que les vaccins à ARN messager pourraient entraîner des mutations génétiques. Il conclut qu'une "campagne de vaccination de masse" aurait des retombées potentiellement "désastreuses" tant d'un point de vue sanitaire qu' environnemental.

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Même des scientifiques de premier plan se sont laissé duper. Selon nos informations, la note du Criigen s'est immiscée dans un groupe de discussion privé en ligne, qui réunit plus de 400 médecins, dont de nombreux pontes de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris. Jusqu'à ce qu'un infectiologue en révèle les fake news. Puis que le Pr Alain Fischer, "Monsieur vaccin" du gouvernement et spécialiste d'immunologie, prenne lui-même la plume pour démonter point par point auprès de ses confrères les nombreuses insinuations et contrevérités grossières contenues dans ce document.

"Une porosité très claire entre les sphères antivaccins, anti-OGM, anti-ondes et antinucléaire"

Christian Vélot glisse par exemple que les adjuvants des vaccins traditionnels, aluminium ou formaldéhyde, ont de possibles effets toxiques. Faux, indique le Pr Alain Fischer : "La toxicité alléguée de l'aluminium n'a jamais été démontrée, et le formaldéhyde est présent en traces infinitésimalesdans quelques vaccins ." Pour le Criigen, la nouvelle technologie des vaccins à ARN introduirait quant à elle un risque de "virus recombinants". Or, si dans la nature le mélange des programmes génétiques de différents virus peut déboucher sur une nouvelle variété plus virulente, il est difficile d'imaginer que le vaccin à ARN puisse interférer avec d' autres virus dans des cellules infectées de la personne vaccinée. "L'ARN vaccinal a une demi-vie très courte, il est principalement capté par les cellules du système immunitaire. Cet ARN ne peut être rétrotranscrit en ADN pour donner lieu à un événement de recombinaison", dément Alain Fischer, qui rappelle que l'ARN a déjà été utilisé dans des essais de vaccination anticancer à des doses bien plus élevées, "sans que de tels événements aient été observés".

Pour Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy Watch, la note du Criigen est représentative d'"une porosité très claire entre les sphères antivaccins, anti-OGM, anti-ondes et antinucléaire. Les prises de position de Michèle Rivasi, par exemple, cristallisent toute cette défiance dirigée contre le progrès technique". Selon ce spécialiste du complotisme, "il était inévitable qu'une nouvelle technologie comme l'ARN messager suscite une certaine réserve. Mais les antivaccins dénoncent un produit qui, d'après les essais cliniques, ne provoque pas d'effets secondaires graves et qui, de surcroît, ne contient pas un seul de ces fameux adjuvants qu'ils ont tant critiqués".

C'est l'ADN qui fabrique l'ARN, pas l'inverse

A défaut d'adjuvants, les activistes "antivax" se sont ainsi focalisés sur la peur d'une mutation génétique. Aux Etats-Unis, la théorie circule au moins depuis mai 2020, lorsqu'une vidéo très partagée du conspirationniste Andrew Kaufman, "consultant en guérison naturelle", assure que le futur vaccin s'apprête à nous transformer en "OGM". En juillet, l'ostéopathe Carrie Madej le qualifie de cheval de Troie transhumaniste, première étape selon elle vers un "humain 2.0".

En France, l'infectiologue Christian Perronne et le réanimateur "rassuriste" Louis Fouché, aux prises avec des positions de plus en plus complotistes, sont les figures les plus médiatiques ayant endossé ces théories à la fin de l'année dernière. Selon eux, les vaccins de Pfizer et de Moderna risquent de "transformer nos gènes définitivement" et s'apparentent à une "thérapie génique". Le professeur Perronne a même évoqué une transmission de ces mutations de l'ADN "à nos enfants".

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Or, selon un principe de base de la biologie moléculaire, c'est l'ADN qui fabrique l'ARN, pas l'inverse. Une portion d'ADN est copiée sous forme d'ARN. Cette molécule quitte ensuite le noyau de la cellule pour passer en périphérie, où elle se traduit en protéines. Par ailleurs, l'ARN injecté par les vaccins de Pfizer et de Moderna ne pénètre pas dans ce noyau. Instable, elle a une durée de vie limitée avant d'être dégradée par les enzymes.

Il existe une exception notable : les rétrovirus (tel le VIH), capables de transformer leur ARN en ADN et de s'inviter dans le génome des cellules infectées. Pour cela, ils utilisent une enzyme, la transcriptase inverse. Mais si la thérapie génique a pu faire appel à cette technique, "il n'y a pas de vaccin de ce type en préparation", assure Alain Fischer.

A la suite à sa participation au documentaire conspirationniste Hold-up, le professeur Perronne a été démis de ses fonctions de chef de service à Garches. Ironie de l'histoire, en 2010, le même médecin fustigeait les "délires antivaccinaux sur Internet", devenus selon lui "incontrôlables"...

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