Le mardi 6 février restera-t-il dans les annales de l'exploration spatiale? Elon Musk, fondateur de la société SpaceX, a en tout cas réussi son pari. Sa fusée Falcon Heavy n'a pas explosé au décollage et a bien propulsé en direction de l'orbite de Mars sa "charge utile", une voiture décapotable rouge Tesla -l'autre entreprise phare du fantasque milliardaire.

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La Falcon Heavy, fusée "la plus puissante du monde" en activité comme aime le souligner Elon Musk, a décollé à 21h46 heure française. Composée de trois fusées Falcon9 sur lesquelles était juché un deuxième étage et une coiffe -pour la charge utile-, ce monstre d'acier a rempli sa mission quasiment parfaitement.

Après deux minutes de vol, deux des trois lanceurs de la Falcon Heavy se sont détachés comme prévu de la fusée centrale, qui a poursuivi sa route dans l'espace. 8 minutes et 20 secondes plus tard, les deux boosters se sont posés sur deux zones d'atterrissage de Cap Canaveral à quelques dizaines de mètres seulement l'un de l'autre.

Comme le montre l'extrait vidéo ci-dessous, qu'on pourrait croire tout droit sorti d'un film de science-fiction, les deux propulseurs ont atterri quasiment en même temps. Mais le troisième, qui devait se poser sur un bateau dans l'océan Atlantique, a en revanche sombré dans l'Atlantique, à une centaine de mètres de sa cible, la faute à des moteurs qui ne se sont pas allumés.

Un échec mineur que SpaceX a fait oublier en diffusant en live sur Youtube la sortie de la "charge utile", la Tesla roadster 2008 décapotable rouge diffusant en boucle Space Oddity, une chanson de David Bowie. À son bord, un conducteur mannequin baptisé Starman, du nom d'un autre morceau de David Bowie, le bras droit sur le volant, le gauche nonchalamment posé sur la portière. Sur le tableau de bord, une autre référence plus geek, "Don't Panic!", message culte du célèbre roman et film de science-fiction Le Guide du voyageur galactique.

En résumé, ce lancement est non seulement une quasi-réussite sur le plan technique, une magnifique promotion pour la conquête spatiale en général, mais aussi une opération de communication rondement menée pour SpaceX, Tesla et Elon Musk lui-même.

Le direct du lancement a été le deuxième plus suivi de l'histoire de YouTube, derrière le saut stratosphérique de Felix Baumgartner. Un coup de génie de plus pour cet entrepreneur aux goûts musicaux aussi raffinés que ses fusées. Et pourtant, une (grosse) ombre au tableau subsiste: personne ne semble savoir à quoi servira cette nouvelle fusée, pas même Elon Musk.

Un bel outil de communication techniquement inutile, ou presque

À l'origine, la Falcon Heavy devait remplir plusieurs rôles: envoyer des astronautes sur la Station spatiale internationale (ISS) à la place des lanceurs russes Soyouz, envoyer des touristes spatiaux autour de la Lune, dont les premiers d'ici fin 2018, voire vers Mars quelques années plus tard.

Elle devait aussi servir à propulser des satellites lourds en orbite. La Falcon Heavy est en effet capable d'envoyer jusqu'à 63,8 tonnes en orbite basse et 26,7 tonnes en orbite de transfert géostationnaire (GTO), concurrençant ainsi directement le leader franco-européen, Ariane 5, capable de placer 21 tonnes en orbite basse et 10,5 en orbite GTO.

SpaceX Falcon Heavy

Les différentes charges utiles pouvant être propulsées en orbite basse terrestre (LEO) par différents lanceurs. Sur cette infographie fournie par SpaceX, il manque la Saturn V, la fusée qui a servi à propulser les Américains sur la Lune dans les années 70 et qui pouvait propulser jusqu'à 135 000 kilos en LEO.

© / SpaceX

Sauf que depuis 2011 -date de l'officialisation de la Falcon Heavy-, le marché des satellites lourds s'est réduit à peau de chagrin. La miniaturisation des satellites a fait de grands progrès, à l'image du succès des nano, micro et mini-satellites. Surtout, de moins en moins d'entreprises envoient de très gros satellites dans l'espace. Avec son nouveau lanceur Ariane 6, l'Agence spatiale européenne (ESA) opère d'ailleurs un repositionnement stratégique.

Des projets top secret pour l'armée américaine?

Quant aux voyages spatiaux, ils ne sont plus vraiment à l'ordre du jour pour la Falcon Heavy. Lors d'une conférence donnée lundi 5 février, le milliardaire sud-africain a annoncé que son lanceur lourd n'est plus destiné, pour l'instant, à accueillir des équipages humains, rapporte le site spécialisé SpaceNews. Les vols habités seront plutôt l'affaire de sa Big Fucking Rocket (BFR), une "putain de grosse fusée" qui pourrait servir à conquérir Mars.

EN IMAGES >> La naissance de Falcon Heavy, fusée la plus puissante du monde

Sauf que, là encore, plusieurs problèmes se posent. Pour envoyer des êtres humains sur Mars, la Nasa compte plutôt sur son super-lanceur SLS, un projet qui devrait lui coûter 35 milliards de dollars selon les estimations. Difficile d'imaginer l'Agence spatiale américaine abandonner son bébé au profit de celui d'Elon Musk, d'autant que le premier vol du SLS est prévu en 2019 et que la construction de la BFR n'a même pas commencé.

Alors à quoi va servir la Falcon Heavy? Selon le site spécialisé SpaceNews, une des pistes envisagées par SpaceX serait de travailler avec l'armée américaine, qui envoie régulièrement de gros satellites et autres engins top secret en orbite. D'ailleurs, lors de sa conférence de pré-lancement, Elon Musk a précisé que le vol de la Falcon Heavy allait permettre de simuler l'insertion d'un objet dans une orbite géostationnaire (GTO), le type d'orbite que les satellites militaires utilisent.

La course vers la Station spatiale internationale contre Boeing

En attendant, SpaceX veut miser sur sa Falcon 9 pour envoyer des Hommes dans l'espace, et surtout vers la Station spatiale Internationale (ISS), en installant à son sommet le vaisseau spatial Crew Dragon. Le gouvernement américain souhaiterait en effet se passer des fusées russes Soyouz, seul lanceur capable d'amener des astronautes sur ISS, et compte sur le secteur privé. Le contrat à la clé est juteux, mais comme le souligne le Huffpost, SpaceX a pris du retard face à son principal concurrent, le géant de l'aéronautique Boeing.

Interrogé il y a quelques mois par L'Express, Francis Rocard, astrophysicien responsable du programme d'exploration du système solaire du Centre national d'études spatiales (CNES), estimait qu'Elon Musk se lançait dans la course des vols habités "trop tard", à moins qu'il puisse "monter son propre business" indépendant de la Nasa, comme une hypothétique colonisation de Mars, ou ses Paris-New York en 30 minutes en BFR. Un pari fou, mais après tout, SpaceX, lancé en 2002 seulement, fabrique déjà des fusées réutilisables et, si elle n'a pas encore inventé les voitures volantes, en a propulsé une dans le système solaire.

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