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Comment changer le CO2 en roche, une recette pour refroidir l’atmosphère

En transformant du dioxyde de carbone en une roche calcaire, des chercheurs ont fait un pas de plus dans la lutte contre le réchauffement climatique

Transformer du CO2 en une roche calcaire nécessite l'utilisation de grandes quantités d'eau. — © Michael Hanschke / Reuters
Transformer du CO2 en une roche calcaire nécessite l'utilisation de grandes quantités d'eau. — © Michael Hanschke / Reuters

Depuis que l’homme exploite des énergies fossiles comme le pétrole, il déverse dans l’atmosphère le CO2 qui était naturellement stocké dans des roches, ce qui provoque le réchauffement de la planète. Une des solutions pour réduire la progression de ce réchauffement s’appelle le «captage et stockage du CO2» (CSC) et vise à remettre dans les roches le carbone se trouvant dans l’atmosphère. Une équipe internationale de chercheurs dont Wallace S. Broecker, leader dans la recherche sur le changement climatique, publie aujourd’hui dans la revue Scienceune étude qui démontre comment ils sont parvenus grâce au CSC, à transformer du CO2 atmosphérique en une roche calcaire.

L’étude, réalisée en Islande depuis plus de dix ans, a consisté à récupérer le CO2 émis par une usine pour ensuite le dissoudre dans de l’eau alors injectée dans la croûte terrestre en utilisant d’anciens puits de forage.

225 tonnes de CO2

En 2012, les chercheurs ont ainsi injecté 225 tonnes de CO2 dissout dans l’eau. Dans un puits parallèle, ils ont placé des capteurs afin d’observer le comportement de cette eau gazeuse.

Deux ans plus tard, ils ont constaté que la totalité du mélange s’était transformée en roches calcaires, ce qu’on appelle la minéralisation. «C’est un processus naturel qui prend habituellement des centaines d’années. Notre étude montre comment il est possible d’accélérer ce phénomène pour qu’il se fasse en deux ans seulement», explique Eric Oelkers, coauteur de l’étude et géologue à l’Université de Toulouse.

Par quels moyens ont-ils réussi à accélérer ce processus? Le CO2 a été injecté dans des roches basaltiques qui sont très riches en minéraux tels que le calcium ou le fer. Lorsque ces derniers entrent en contact avec de l’eau enrichie en CO2, une réaction chimique provoque la précipitation du carbone, ce qui le fait passer d’un état gazeux à un état solide. Ainsi transformé en roche, le carbone reste stable et demeure emprisonné pour des centaines de milliers d’années.

Cette technique offre des avantages indéniables par rapport aux autres méthodes de séquestration de carbone. Habituellement le carbone est piégé sous une certaine forme gazeuse dite supercritique, dans des poches souterraines étanches. Ces réservoirs dits «karstiques» ne sont pas basaltiques donc la minéralisation du carbone s’effectue en plusieurs centaines d’années. Autre problème, en cas de fissure dans la roche, le gaz peut remonter et provoquer une catastrophe écologique.

«Cette technique est l’unique manière que nous avons actuellement pour diminuer, à grande échelle, le CO2 atmosphérique», explique Christel Hassler du Département des sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université de Genève. Selon Lyesse Laloui, spécialiste dans la recherche sur la séquestration du CO2 à l’EPFL, «cela fait maintenant vingt ans que l’on injecte en moyenne un million de tonnes de CO2 par an dans des réservoirs géologiques ce qui permet de diminuer un peu le CO2 atmosphérique mais il est primordial de renforcer cette technologie de séquestration du CO2 à grande échelle».

Un premier pas

Selon le climatologue français Edouard Bard, du Département évolution du climat et de l’océan au Collège de France, «le protocole mis en œuvre dans l’étude pour suivre l’évolution du gaz injecté dans les roches est très pertinent». Cependant, la plupart des experts interrogés s’accordent à dire que cette étude n’est qu’un premier pas vers une solution globale et soulèvent le fait qu’elle ne mentionne pas certains problèmes techniques, comme la ressource en eau utile à un tel procédé.

«Pour ce réservoir, l’eau ne peut contenir plus de 5% de CO2, ce qui signifie que pour injecter 225 tonnes de CO2 il faut utiliser vingt fois plus d’eau, autrement dit 4500 tonnes!» calcule Lyesse Laloui. Compte tenu de la quantité de CO2 atmosphérique, il faudrait effectuer environ 20 milliards d’injections de ce type par an pour contrer le réchauffement, ce qui déstabiliserait complètement le cycle de l’eau.

Christel Hassler ajoute que «les roches basaltiques ne constituent que 10% de la croute terrestre, et sur ce pourcentage il n’est possible d’injecter du CO2 que dans une partie infime», une grande partie demeurant inaccessible. De plus, une minéralisation très rapide du carbone dans la croûte terrestre «colmate» la roche, ce qui la rend étanche. «Si la roche est plus étanche alors il faut augmenter la pression d’injection du gaz, ce qui pourrait provoquer des tremblements de terre», explique Lyesse Laloui.

D’autres chercheurs ne souhaitant pas être mentionnés soulignent de leur côté qu’il faudrait plutôt imaginer de nouvelles technologies pour les énergies renouvelables, plutôt que d’insister sur les énergies fossiles. Un avis pas complètement partagé par Nicolas Thouveny, directeur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement basé à Marseille. D’après lui le fait de «stopper totalement la consommation d’énergie fossile sur la planète est un discours utopiste, il est donc important de maîtriser des techniques comme le CSC pour essayer de ralentir la courbe exponentielle du réchauffement climatique».

Lyesse Laloui ajoute que, «même si on arrivait à changer totalement de paradigme énergétique en ne produisant plus que de l’énergie verte, il y aura toujours du CO2 et de nouvelles émissions même avec des énergies renouvelables».

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