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Cette fois, il y a un vaccin contre le virus Ebola

Le vaccin rVSV-ZEBOV devrait faire ses débuts dans l’épidémie de virus Ebola qui sévit en RDC. A condition toutefois de vaincre les défis liés à son transport et à sa conservation dans des régions inaccessibles en avion ou en voiture, souvent sans électricité au milieu de la jungle

Le personnel de l’hôpital de Bikoro, en RDC, enfile des vêtements de protection avant d’aller soigner les malades. — © MARK NAFTALIN/AFP PHOTO
Le personnel de l’hôpital de Bikoro, en RDC, enfile des vêtements de protection avant d’aller soigner les malades. — © MARK NAFTALIN/AFP PHOTO

L'histoire se répète, et celle du virus Ebola en est la parfaite illustration. Depuis la découverte du virus en 1976 au Zaïre, huit épidémies ont frappé ce pays devenu la République démocratique du Congo (RDC). Avec à chaque fois, dans les grandes lignes, le même scénario: face à l'effroyable spectacle des patients mis à l'isolement, des personnels en combinaison de sécurité, des morts de déshydratation ou d'hémorragie, des recherches scientifiques sont entreprises pour développer un vaccin mais sont finalement abandonnées faute de moyens. La neuvième apparition documentée du virus, survenue ces dernières semaines auprès de 39 cas suspects et ayant déjà coûté la vie à 19 personnes, a donc un air de déjà-vu. Sauf que cette fois, différence notable, il existe un vaccin.

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Pour la première fois, les agences de santé de la RDC pourraient déployer un remède, le rVSV-ZEBOV (ou VSV-EBOV), initialement développé par l'Agence de la santé publique du Canada et dont la licence est détenue par les laboratoires Merck.

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Ce vaccin a déjà fait parler de lui lors de la pire épidémie de maladie à virus Ebola connue à ce jour, celle survenue entre 2014 et 2016 en Afrique de l'Ouest (principalement en Guinée, Sierra Leone et Liberia), à plus de 3500 kilomètres de la RDC.

Vaccination en ceinture

Testé en plusieurs endroits dans le monde, notamment aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), il avait démontré sa capacité à déclencher, sans danger, la production par l'organisme d'anticorps dirigés contre le virus Ebola lors d'essais cliniques de phases I et II, effectués chez des volontaires sains. Des résultats encourageants qui avaient logiquement conduit à mener des essais de phase III, à plus grande échelle et chez des personnes en contact avec le virus. Le rVSV-ZEBOV avait alors démontré une efficacité de l'ordre de 75 à 100% chez 7651 personnes d'après la revue The Lancet. Des chiffres non pas obtenus contre placebo, pour d'évidentes raisons éthiques, mais lors d'une campagne de vaccination dite en ceinture, dans laquelle les personnes entrées en contact direct avec un malade diagnostiqué, ainsi que leurs propres contacts (soit deux degrés de séparation) étaient vaccinés.

Bien que tout porte à le croire, nous n'avons pas encore de certitude que ce vaccin fonctionnera aussi dans la présente situation

Laurent Kaiser, virologue

Un autre essai clinique d'envergure eut lieu plus tard en Guinée auprès de 5837 personnes répondant à ces critères de contact et conclut à un taux d'efficacité de 100%, aucun cas d'Ebola n'ayant fait surface dans les dix jours après la vaccination. Dans la foulée, un stock de 300 000 doses de rVSV-ZEBOV a été constitué en cas de nouvelle flambée épidémique grâce à l'appui de Gavi Alliance, organisation sise à Genève qui œuvre à faire bénéficier les pays les plus pauvres d'un accès rapide à des traitements onéreux.

Malgré l'efficacité et la disponibilité du vaccin, la prudence reste de mise. «Il reste à confirmer si ces 39 cas sont bien des cas d'Ebola», dit Laurent Kaiser, virologue aux HUG. Il existe dans la région de nombreuses maladies infectieuses entraînant des symptômes similaires. Et bien que les virus de 2014 et de 2018 appartiennent à la même souche «Zaïre», rien ne garantit pour le moment le succès du vaccin. «En 2015, les essais cliniques ont eu lieu lors d'une unique étude en Guinée, en fin d'épidémie et donc après l'urgence. Bien que tout porte à le croire, nous n'avons pas encore de certitude que ce vaccin fonctionnera aussi dans la présente situation», rappelle le médecin.

Stockage à -80°C

C'est pour cette raison que le rVSV-ZEBOV ne dispose pour le moment d'aucune autorisation de mise sur le marché au sens habituel du terme. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a élaboré un protocole expérimental que viennent de valider les autorités sanitaires et les comités d'éthique de RDC, écrit dans un email au Temps Tarik Jasarevic, porte-parole de l'OMS. Ce feu vert va aboutir à une autorisation temporaire de mise sur le marché du rVSV-ZEBOV, pour un usage dit compassionnel.

Mais une fois la paperasse en ordre, de nombreux obstacles demeureront. D'abord sur un plan logistique: en coopération avec divers partenaires tels que Merck et Médecins sans frontières, l'OMS devra assurer une logistique adaptée pour transporter et conserver le rVSV-ZEBOV, qui doit être stocké à -80°C. Dans des régions dépourvues de solides réseaux d'électricité et de télécommunications, lorsqu'il ne s'agit pas de routes, la tâche sera pour le moins ardue.

Véritable travail de détective

Exemple à Ikoko Ipenge, village où sont survenus deux cas le 13 mai, et qui n'est relié à Bikoro, où l'OMS a installé un centre de soins de 15 lits ainsi qu'un laboratoire mobile, qu'après un difficile trajet en moto d'un trentaine de kilomètres à travers la jungle. Quant à l'aéroport de Bikoro, il est trop mal entretenu pour l'utiliser. «Cela va être compliqué et coûteux», a assuré Peter Salama, le directeur du Programme de gestion des situations d’urgence de l’OMS, lors d'une conférence de presse à Genève le 11 mai.

Quand bien même la logistique serait idéale et le vaccin prêt sur le terrain, la campagne de vaccination en ceinture n'a rien d'une sinécure: les épidémiologistes, les spécialistes des données et autres personnels de santé doivent documenter la progression de l'épidémie, retracer tous les contacts du malade, à deux degrés de séparation, dans les trois semaines qui ont précédé le diagnostic. Un travail de détective délicat indispensable au succès d'une telle stratégie vaccinale. «Le vaccin peut changer la donne, mais il ne suffira pas à lui seul: il faut toute une mobilisation des communautés et des personnels de santé sans oublier d'instaurer des actions préventives», conclut Laurent Kaiser.