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Plusieurs médecins alertent contre un protocole anti-Covid-19 « criminel » inventé par un collectif médical

Ce protocole du collectif de médecins Coordination santé libre mêle homéopathie, substances contestées et traitements lourds, en dehors d’une surveillance hospitalière.

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Publié le 05 février 2021 à 17h41, modifié le 06 février 2021 à 09h33

Temps de Lecture 7 min.

Le protocole, qui circule sur les réseaux sociaux et a été mis au point par un collectif rassuriste, n’est pas un protocole Covid-19 scientifiquement reconnu.

De nombreux professionnels de la santé sonnent l’alarme à propos d’un protocole anti-Covid-19, lequel circule depuis début février sur les réseaux sociaux. En cause : un tableau rempli de recommandations thérapeutiques très précises – mais aussi très contestées – à destination des patients testés positifs au SARS-CoV-2.

D’apparence très scientifique, ce document a en réalité été créé par le collectif Coordination santé libre, un réseau de médecins covido-sceptiques sans légitimité institutionnelle. D’abord mis en ligne sur le site antirestrictions Reinfo Covid, il a été repris par le blog complotiste FranceSoir, ou encore par la généticienne (controversée) Alexandra Henrion-Caude.

L’alerte a d’abord été donnée mardi 2 février sur Twitter par Nathan Peiffer-Smadja, chef de clinique en infectiologie à l’hôpital Bichat : « Si vous voulez diminuer votre risque de développer une forme sévère de Covid-19 et ne pas souffrir d’effets indésirables potentiellement graves, ne suivez surtout pas cette folie. Ce document est criminel, il n’y a pas d’autres mots. »

Dans la foulée, de nombreux confrères médecins ont repris à leur tour le qualificatif de « criminel » pour l’appliquer à un tel protocole. Les cinq professionnels de la santé à qui Le Monde l’a soumis dénoncent eux aussi un document « pas sérieux », « imprudent » ou encore « dangereux ». Selon nos informations, le conseil de l’ordre des médecins prévoit de saisir la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale pour la sécurité des médicaments.

Que dit ce protocole ?

Il s’agit d’un tableau de prescriptions « ambulatoires » – c’est-à-dire hors hôpital – à destination des personnes atteintes du Covid-19, lesquelles sont déclinées en fonction de la gravité des symptômes et des facteurs de risques.

Pour les asymptomatiques ou symptomatiques légers, le protocole préconise un traitement préventif empruntant aux médecines douces. Il recommande ainsi le recours aux compléments alimentaires (vitamines C et D, zinc) et aux médecines parallèles (phyto-aromathérapie, homéopathie, acupuncture), le tout associé à la prise d’ivermectine (un antiparasitaire) ou d’azithromycine (un antibiotique).

Pour les malades avec symptômes persistants ou respiratoires, le document recommande le « protocole Raoult ». Le collectif préconise de fait des traitements très prisés de la mouvance rassuriste – soit l’association d’ivermectine avec de la doxycycline (un autre antobiotique), ou celle, recommandée par l’infectiologue Didier Raoult, d’hydroxychloroquine avec de l’azithromycine. Pour les patients à risque, ce dernier ajoute de la prednisolone (un corticoïde) ainsi qu’un anticoagulant à dose préventive.

Pour les malades présentant des symptômes importants ou étant en sous-oxygénation, le tableau conseille l’« heptathérapie » à domicile. Cette dernière associe anticoagulants, corticoïdes et oxygénothérapie (sans hospitalisation, du moins jusqu’à un certain seuil), ce à quoi il faut ajouter divers compléments alimentaires : en tout, ce sont pas moins de sept items médicaux qui sont prescrits.

Ce protocole n’a rien de scientifique

Les cinq professionnels interrogés par Le Monde dénoncent le manque de sérieux voire la dangerosité du document. « Je ne conseille absolument pas de suivre ce protocole, qui n’a rien de médical, confirme Pierre Cochat, président de la commission transparence de la HAS. Il inclut trop de données aléatoires sur lesquelles on n’a pas d’information, et je ne comprendrais pas qu’un médecin le prescrive. En aucun cas la HAS ne peut valider de telles recommandations. »

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Sur la forme, ce tableau présente plusieurs incohérences. Par exemple, il associe un dosage « selon symptômes » aux malades « asymptomatiques » ; il cite sous deux noms différents une même molécule ; il omet de préciser la durée de traitement pour chaque entrée ; ou encore il introduit des seuils contradictoires pour la surveillance en oxygène.

« On sent que les gens qui ont fait ce tableau ne sont pas habitués à cela », épingle Julien Mayaux, médecin réanimateur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Le nombre de recommandations qui y figurent est par ailleurs hors norme. « Il n’existe aucune maladie infectieuse – même une tuberculose ultrarésistante – contre laquelle on prescrit autant de médicaments ! », s’étrangle Nathan Peiffer-Smadja.

Sur le fond, ce protocole pose de nombreux problèmes. Il mélange des médicaments qui ont été scientifiquement évalués et des méthodes qui, elles, ne l’ont pas été. Il propose des traitements dont l’efficacité sur le Covid-19 n’a pas été prouvée – quand ils ne sont pas associés à un risque de mortalité plus élevé. Il associe entre eux des médicaments alors qu’aucune étude n’a jamais fait état de leurs potentielles interactions, et se trompe dans certains dosages.

Symptomatiques légers : de la « poudre de perlimpinpin »

Une étude observationnelle espagnole tend à accréditer l’intérêt de la vitamine D contre le Covid-19. « Mais elle comporte de nombreux biais méthodologiques et n’a pas été retenue par la communauté scientifique », rappelle M. Cochat. Cette piste reste débattue par les experts.

Pour le reste ? Zinc, vitamine C, granion de cuivre : aucune de ces substances n’a d’effet prouvé contre le Covid-19. C’est de la « poudre de perlimpinpin », déplore Guy Gorochov, chef de service en immunologie à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Accessoirement, l’ensemble de ce traitement coûterait à un patient environ 300 euros pour un simple effet placebo, estime Julien Mayaux : « Si j’étais à la place d’un asymptomatique sans facteur de risque, je resterais chez moi. Dans 99,9 % des cas, la nature est bien faite, il ira bien. Pourquoi lui rajouter plein de trucs ? »

A ce jour, il n’existe pas de traitement permettant de lutter contre le Covid-19. La recommandation pour une personne asymptomatique ou peu symptomatique et sans facteur de risque consiste à se reposer : la maladie passe souvent d’elle-même.

Symptomatiques moyens : un traitement qui « ne marche pas »

Le protocole controversé associant hydroxychloroquine et azithromycine, que préconise le professeur Didier Raoult, est au centre de ces prescriptions. « Ce traitement ne marche pas, balaie Julien Mayaux. C’est cardiotoxique, et la moindre complication est une complication de trop pour un médicament qui ne marche pas. » La HAS a refusé de le recommander dans le traitement du Covid-19 pour la même raison. « Aucune étude scientifique n’a montré d’avantage thérapeutique significatif, et une méta-analyse française suggère même une augmentation de la mortalité. »

L’ivermectine fait en revanche partie des pistes explorées par la communauté scientifique, mais il est trop tôt pour en faire un traitement. « On a montré qu’elle pouvait avoir une activité antivirale in vitro, relate Pierre Cochat, mais cette activité n’a été constatée qu’avec des doses bien plus élevées que celles que l’on utilise habituellement. Il faudrait faire des études de phase 1 pour s’assurer qu’elles ne sont pas toxiques. »

Quant à son association avec la doxycycline, elle est « sortie du chapeau », s’étouffe Nathan Peiffer-Smadja. A ce jour, il n’existe pas de traitement dont l’efficacité soit prouvée contre les formes modérées du Covid-19.

Symptomatiques forts : « des effets secondaires graves »

L’association d’un corticoïde, d’oxygénothérapie et d’anticoagulants est effectivement pratiquée par les professionnels, mais elle est réservée à des cas graves, et qui doivent être hospitalisés et surveillés (et non traités à domicile, comme le propose Coordination santé libre). « Si le patient a besoin d’oxygène, cela signifie qu’il doit être dans un milieu médicalisé. Suivre ce protocole à la lettre, en plus d’être inefficace, peut entraîner une perte de chances [de guérison] pour le patient », alerte Baptiste Meunier, médecin généraliste à Grenoble.

D’une manière générale, ce traitement exige une surveillance attentive. « On joue avec de vrais médicaments, alerte Julien Mayaux. En seulement quatre heures, les patients peuvent être envoyés en réanimation. » Les thérapies dites d’anticoagulation curative, notamment, présentent des risques importants de saignements internes, lesquels peuvent s’avérer mortels. « Je n’aimerais pas être le médecin qui devra répondre aux questions de la famille quand il y aura eu une hémorragie cérébrale non prise en charge », grince Nathan Peffer-Smadja.

Enfin, dans ce protocole, la prednisolone – un corticoïde – est surdosée (1 mg par kg par jour, au lieu de 40 mg par jour). « Pour une personne à facteur de risque, obèse, hors hospitalisation, cela peut avoir des effets secondaires graves », alerte Julien Mayaux : déséquilibre glycémique, risque d’œdèmes, d’effets neuropsychiatriques, de déshydratation voire, dans les cas extrêmes, de coma.

Un traitement à base de corticoïdes (et notamment de dexaméthasone) est pourtant recommandé par le Haut Conseil de la santé publique, et leur utilisation s’est révélée être une « excellente surprise », se réjouit Nathan Peiffer-Smadja. Mais à condition de les administrer au bon dosage, au bon moment de la maladie, et sous surveillance stricte. Trois points que ce protocole ne respecte pas.

En résumé : ce protocole est imprudent et potentiellement dangereux

  • Ce document ne répond pas aux critères scientifiques d’établissement d’un protocole de soins.
  • Le protocole mélange remèdes onéreux à l’utilité non prouvée, traitements contestés et médicaments lourds assortis d’importants effets secondaires.
  • Le traitement recommandé pour les formes graves peut provoquer des hémorragies internes et nécessite une surveillance hospitalière.
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