La Chine distribue des bons et des mauvais points à ses citoyens

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La Chine distribue des bons et des mauvais points à ses citoyens

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Plus de 170 millions de caméras équipées d'une technologie de reconnaissance faciale scrutent déjà les visages des Chinois.
Plus de 170 millions de caméras équipées d'une technologie de reconnaissance faciale scrutent déjà les visages des Chinois.
© Maxppp - Liu Tao

Depuis mars 2018, le gouvernement chinois a franchi une étape supplémentaire dans la mise en oeuvre de son programme de "crédit social", basé sur la collecte d'informations sur les réseaux sociaux et via les caméras de surveillance intelligentes. Les citoyens "mal notés" sont restreints dans leur accès aux transports.

C'est un programme digne d'un épisode de la série Black Mirror qui est actuellement expérimenté par le Parti communiste chinois. Lancé en 2014, en vue de son déploiement effectif en 2020, le "crédit social" est un système à points qui évalue le comportement des citoyens dans les lieux publics et sur internet, avec des conséquences sur leur vie réelle. Objectif affiché : "établir une culture de l'intégrité".

Le "Plan de planification de la construction du système de crédit social (2014-2020)" suggère ainsi d'instaurer "un système de liste noire pour les infractions fiscales", d'"imposer _des restrictions de comportement en ligne__", ou encore d'"intégrer les violations de la sécurité routière des citoyens dans le fichier d'intégrité"_... Les citoyens sont ensuite notés. Difficile de connaître précisément la façon dont les points sont retirés ou ajoutés. Mais pour les "mal notés", il y a bien des pénalités, notamment dans leur accès aux transports (trains, avions), jusqu'à l'interdiction pure et simple.

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Le régime chinois aurait-il du mal à contrôler ses citoyens (plus de 1,4 milliards d'habitants), pour mettre en place un tel système ? S'il poussera peut-être, par exemple, les automobilistes chinois à respecter le code de la route ou à laisser passer les piétons (ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui dans les grandes villes), ce crédit inquiète beaucoup pour ses conséquences sur les libertés, dans un pays où il est déjà quasi impossible d'émettre une critique publique sur le gouvernement.

D'ici 2020, tous pistés, tous notés, tous sanctionnés ?

Selon le quotidien Le Monde, "environ dix millions de passagers du transport aérien et quatre millions du ferroviaire se sont vu imposer entre 2013 et mars 2018 des restrictions partielles ou totales à l’achat de billets, pour n’avoir pas exécuté la décision de justice à laquelle ils ont été condamnés après épuisement des recours. Parmi eux, 6,2 millions furent entièrement interdits d’avion." Des sanctions qui feraient suite à la propagation de fausses informations, l'utilisation des billets périmés, une cigarette allumée dans un train ou encore une omission de paiement des amendes ou d'acquittement de l'assurance sociale, décrit l'agence Reuters.

C'est ce que semble confirmer cette vidéo publiée sur Twitter et vraisemblablement tournée dans un train en Chine. "Ceux qui voyagent sans ticket, se comportent mal ou fument dans des lieux publics, seront punis selon les règlements, et leur comportement sera enregistré dans leur système d'information de crédit individuel", prévient le haut-parleur.

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Annoncée le 2 mars 2018 dans un communiqué de la Commission nationale du développement de la réforme, cette punition est une étape supplémentaire dans la mise en œuvre encore expérimentale de cette sorte de "permis de bonne conduite". _"Pour l'instant ces systèmes sont expérimentés uniquement dans certaines provinces__, comme Jiangsu, Fujian et Guangdong, mais l'objectif est de généraliser le système"_, précise Zhulin Zhang, journaliste à Courrier International.

La collecte de données paraît exponentielle : via les administrations publiques (services de police, tribunaux, fisc...) comme les entreprises privées. Du "Big Data" au service de "Big Brother". Surveillés par environ 170 millions de caméras dotées d'un système de reconnaissance faciale, scrutés sur les réseaux sociaux internes au pays comme Weibo ou Wechat, difficile pour les Chinois d'y échapper. "Une ville chinoise comme Pékin ou Hangzhou, est équipée de 600 000 à 700 000 caméras de surveillance", détaille Zhulin Zhang, citant un responsable informatique de la province de Yunnan.

Je n'ai plus le droit d'acheter un appartement, ni de monter une entreprise.

Ce fichier de la réputation doit s'appliquer aux fonctionnaires des administrations des régions, aux entreprises et aux particuliers. Dès avril 2018, Monsieur Liu se plaignait au micro de France Inter de ne plus pouvoir prendre "l'avion, le TGV, ni la couchette première classe dans les trains normaux". Des restrictions que le journaliste voit comme une punition en raison d'un procès qu'il a perdu. "Le tribunal me demande de présenter des excuses sur le réseau social Weibo [équivalent chinois de Facebook, ndlr] et de verser un dédommagement aux personnes avec qui j'étais en procès", raconte-t-il. Injuste pour Monsieur Liu, qui dit s'être déjà acquitté de cette somme en 2017.

Et cela va même plus loin : parce qu'il se trouverait sur une sorte de "liste noire", l'homme n'aurait _"plus le droit d'acheter un appartement, ni de monter une entreprise"__._ Un éventail de sanctions qui ne se limite donc pas aux transports publics, mais aussi à l'emploi ou à l'accès au crédit par exemple. "Je ne suis pas un journaliste qui plaît à l’État, j’ai toujours eu des ennuis, beaucoup de gens pensent qu'il y a un lien avec ça", suppute Monsieur Liu.

Les géants (espions) du numérique

Une hypothèse envisagée par Laurent Alexandre, spécialiste des questions d'Intelligence artificielle, tant les raisons d'une perte de points restent parfois obscures. Auteur de "L'IA menace-t-elle aussi la démocratie ?", il voit dans certaines de ces pénalités une punition pour avoir "dévié de la ligne souhaitée par le parti". "Quand on a de mauvaises fréquentations, on peut avoir de mauvais points, précise-t-il, notamment quand on discute sur les réseaux sociaux avec des opposants ou des étrangers". C'est ce qui lui fait croire à "une collusion entre le parti communiste chinois et les géants de l’Intelligence artificielle pour opérer le contrôle social de la population".

L'Édito éco
2 min

Les géants du numérique chinois, les BATX (Baïdu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), seraient un appui de taille pour permettre au gouvernement de surveiller la population. Et pour cause, Internet en Chine, c'est plus de 800 millions d'utilisateurs, la plupart y accédant sur l'écran de leur smartphone. Plusieurs applications ont ainsi vu le jour, en vue de "généraliser la possibilité pour les citoyens de voir leur note et celle de leurs amis pour s’éloigner de ceux qui ont des mauvaises notes", aux yeux du spécialiste.

L'une des applications a d'ailleurs rencontré un franc succès. Zhima Credit, un outil d'évaluation lancé par Ant Financial, filiale du mastodonte de la vente en ligne, Alibaba. Au gré de leurs transactions dématérialisées via Alipay Wallet, service de paiements aux plus de 600 millions d'utilisateurs, le score des utilisateurs fluctue de 350 à 950. Plus les points s'accumulent, plus ils obtiennent des avantages et augmentent leurs capacités d'emprunt. Même principe chez son concurrent, Tencent Credit, basé sur les informations de transaction et de réseau social des utilisateurs, collectées sur les applications WeChat et QQ. Récompenses pour les uns, punitions pour les autres, de véritables outils d'"autodiscipline", telle que le plan de planification l'appelle de ses vœux.

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