La marche du monde

Fragment de mâchoire vieux de 180 000 ans, exhumé de la grotte de Misliya en Israël ©AFP - HANDOUT / ROLF QUAM/BINGHAMTON UNIVERSITY
Fragment de mâchoire vieux de 180 000 ans, exhumé de la grotte de Misliya en Israël ©AFP - HANDOUT / ROLF QUAM/BINGHAMTON UNIVERSITY
Fragment de mâchoire vieux de 180 000 ans, exhumé de la grotte de Misliya en Israël ©AFP - HANDOUT / ROLF QUAM/BINGHAMTON UNIVERSITY
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La mise au jour du fossile d'un fragment de mâchoire dans une grotte en Israël repousse d'au moins 50.000 ans la sortie d'Afrique de l'homme moderne, apportant aussi un nouvel éclairage sur les croisements avec d'autres espèces comme les Néandertaliens.

Cette semaine, deux informations scientifiques sont venues bouleverser l'ordre établi. Et, ironie de l'histoire, chacune à leur manière nous amène à reconsidérer désormais l'emprise de notre espèce sur notre planète en repoussant, un peu plus loin encore, les limites du temps. La revue SCIENCE, tout d'abord, fait état ce matin d'une découverte qui pourrait avoir des implications sur le moment et la manière dont notre espèce est apparue. Pendant des décennies, les scientifiques ont supposé qu'avant 80 000 à 120 000 ans il n'existait en dehors de l'Afrique (berceau de l'humanité) que des Néandertaliens. Or la découverte en Israël d’une demi-mâchoire datant, elle, d’environ 180 000 ans et attribuée à un Homo Sapiens laisse entendre, à présent, que les migrations hors d’Afrique ont été beaucoup plus précoces qu'on ne le pensait : entre 50 000 et 100 000 ans plus tôt, selon les estimations. De quoi changer radicalement notre vision de la dispersion humaine et, ce faisant, de l'évolution humaine moderne. Car cela signifie, aussi, que nos ancêtres sont probablement nés beaucoup plus tôt que ce qu'on pouvait envisager. Quoi qu'il en soit, la datation de ce fossile a été confiée à trois laboratoires, qui ont travaillé avec des méthodes différentes et qui tous l'affirment : il s'agit bel et bien, là, du plus vieux représentant de notre espèce moderne ayant vécu hors d'Afrique. La forme des dents, en particulier, ne laisserait aucun doute quant à une éventuelle confusion avec un Néandertalien. Evidemment, cette nouvelle découverte soulève aujourd'hui plus de questions qu'elle n'apporte de réponses, écrit THE NEW SCIENTIST. Le débat porte, à présent, sur la question de savoir si l'Homo Sapiens a quitté l'Afrique en une seule vague ou en plusieurs, avant de s'installer dans le reste du monde. Par ailleurs, que signifie cette présence précoce en dehors de l'Afrique ? Est-elle liée, par exemple, au climat ? Seule certitude, rappelle pour sa part la NEUE ZURCHER ZEITUNG, c'est à l'occasion de tous ces mouvements migratoires que le cerveau initialement allongé et archaïque de l'Homo sapiens s'est transformé en sphère de l'homme moderne, jusqu'à faire de lui la seule espèce humaine à avoir survécu.

Et puis l'autre annonce scientifique de la semaine brise, elle aussi, une frontière. Mais elle nous plonge, cette fois-ci, directement dans le futur. 22 ans après la naissance de la brebis Dolly (premier animal à avoir été cloné), des chercheurs chinois ont annoncé avoir réussi à cloner des singes. Ou dit autrement, l'espèce de mammifère la plus proche de l'Homo Sapiens jamais clonée jusqu'à présent. Immanquablement, la question récurrente dans la presse pourrait, dès-lors, se résumer ainsi : avons-nous de bonnes raisons de paniquer ? Du côté de la presse chinoise, tout d'abord, on se réjouit bien entendu de voir les scientifiques du pays au centre de l’attention du monde entier. La Chine serait-elle désormais à la pointe de la technique de clonage ?, interroge notamment le magazine CAIXIN, repéré par le Courrier International. De son côté la FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG note que les noms donnés aux deux macaques donnent, quand on les associe : «Zhonghua», ce qui signifie «Chine». Preuve, écrit le journal, que cette expérience qui joue avec la fierté nationale était davantage motivée par une volonté de prestige que par celle de faire avancer la science. Ce qui, conclue l'article, pose de sacrés problèmes éthiques. Pas de panique, semble lui répondre la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG. Même si le journal concède que, oui, il faut avoir peur du clonage humain, en revanche, ces débats ont déjà défrayé la chronique il y a vingt ans (au moment de la brebis Dolly). Et surtout, si quelqu'un avait vraiment intérêt à cloner des êtres humains, alors il y a longtemps qu'il l'aurait déjà fait, précise pour sa part un chercheur interrogé dans les colonnes du quotidien DER TAGESSPIEGEL. Selon lui, il n'y aurait du reste aucune raison valable de cloner des humains : «réaliser une copie de soi-même pour pouvoir parer à la nécessité future d'une greffe d'organe, ce scénario terrifiant ne peut être imaginé que par des auteurs de fiction. Il n'a rien de réaliste». 

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Lui, en revanche, aurait bien un gène particulier. Lui, c'est Vladimir Poutine. C'est du moins la thèse surréaliste défendue par un documentaire qui devrait bientôt être diffusé à la télévision publique russe et intitulé : «Sang assiégé. Génétique». Le film avance que pour survivre au siège de Leningrad, les habitants ont développé un gène qui fait d’eux des «Russes très particuliers». Or qui trouve-t-on parmi «les enfants des vainqueurs, nés dans ce lieu spécial» ?, ainsi que le précise la voix-off. Réponse : Vladimir Poutine. Ou dit autrement, si le président est aujourd'hui un être exceptionnel c'est grâce un gène très spécial transmis par ses parents. CQFD. Evidemment, la presse indépendante y voit surtout une grossière opération de propagande, en pleine campagne présidentielle.

Enfin, lui, a probablement un gène particulier. Et lui c'est Donald Trump. Tandis que sa flotte d’hélicoptères envahissait, hier, bruyamment le cœur des Alpes, son avion avait à peine touché le tarmac zurichois que le président américain a été accueilli comme une rock star au Forum économique de Davos. Et pourtant, note perplexe ce matin l'éditorialiste du TEMPS, le président américain n’est pas une bonne nouvelle pour le monde économique. Pourquoi ? Tout d'abord, parce que si Wall Street atteint des records, que le chômage est en baisse et la croissance économique en hausse, cela ne dit pas grand-chose de son bilan. En l'occurrence, cette progression a débuté sous l’ère Obama. Et si ces chiffres sont bons aux Etats-Unis, ils le sont, aussi, partout ailleurs. Ensuite, en sortant des grands accords internationaux et en attaquant frontalement l’OMC, Donald Trump génère d’importantes tensions, qui ne sont pas près de s’apaiser. En d'autres termes, il est possible de résumer en un seul tweet pourquoi le président des Etats-Unis n’est, en aucun cas, une bonne nouvelle pour le monde : @realdonaldtrump est totalement imprévisible et engendre une profonde instabilité. Or l’instabilité, c’est justement tout ce que l’économie déteste. Même quand elle se porte bien. Enfin, toujours dans les colonnes du journal de Lausanne, un chroniqueur estime, lui, que décidément la vie est mal faite. Tout ce que la planète compte de très lourd en matière d’à peu près tout est à Davos, dit-il, et c’est à Zermatt que les touristes sont restés bloqués par le blizzard. Or il s’en est fallu de peu : 180 kilomètres à peine entre les deux stations. On aurait pu imaginer la crème du monde blottie au coin du feu, à taper le carton et manger de la raclette. Et au détour d’un schnaps ou sous l’effet de l’ennuie, cela aurait, peut-être, amélioré la marche du monde.

Par Thomas CLUZEL

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