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6 mai 2020

Surmortalité en Ehpad : le terrible constat

Les statistiques de l’Insee diffusées par Delphine Roy mettent en exergue plusieurs constats : la concentration géographique de « l’hécatombe » ; la très forte surmortalité du virus chez les plus de 85 ans et donc, chez les résidents en Ehpad ; et le caractère exceptionnel de ce virus comparé aux épidémies de grippe saisonnière.

Cet article a été rédigé grâce à l’apport de Delphine Roy. Administratrice INSEE, elle a été de 2014 à 2019 cheffe du Bureau « Handicap-Dépendance » à la Direction de la Recherche et des Etudes (DREES) du Ministère de la Santé, Elle est désormais responsable du programme « Dépendance » à l’Institut des Politiques Publiques (IPP). Vous la retrouverez le 16 septembre aux Assises Nationals des Ehpad.

Tout au long de la crise du Coronavirus, nous avons été noyés sous les chiffres notamment ceux délivrés méthodiquement tous les soirs par le Pr Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé. Un décompte certes macabre mais qui a permis de bénéficier de données utiles pour mieux comprendre la maladie, sa propagation et au final le profil de ses victimes.

Mais, face aux statistiques qui tombaient chaque soir sur le nombre de morts du Coronavirus en Ehpad, il était encore possible fin mars, de relativiser puisqu’on comptabilisait 5.000 morts en Ehpad alors qu’en temps normal, on compte bon an, mal an environ 12.000 décès par mois en Ehpad.

Au cours de nos pérégrinations sur les réseaux sociaux, nous sommes tombés sur les passionnants tweets de Delphine Roy. Cette administratrice de l’Insee, qui fut en charge du handicap et de la dépendance à la Drees, la direction statistiques du Ministère de la Santé, avant de rejoindre l’Institut des politiques publiques, a publié toute une série de tableaux et graphiques produits par l’Insee que nous reproduisons ici. Et ces chiffres sont implacables : la surmortalité due au Coronavirus est évidente et massive. En général. En direction des plus de 85 ans. Et, évidemment, en direction des résidents en Ehpad.

Population totale : une surmortalité évidente en mars 2020

L’Insee a d’abord calculé la surmortalité constatée en France entre la période du 1er mars et du 13 avril 2019 puis la même période en 2020. Elle est évidente et surtout, extrêmement concentrée géographiquement.

Évidente puisque cette surmortalité apparaît dans 81 départements sur 100. Dans 4 départements, elle fait plus que doubler par rapport à 2019. Dans 33 départements, elle excède + 20%. A l’inverse, dans 19 départements, essentiellement situés en Nouvelle Aquitaine, dans le Massif Central ou en Occitanie, une sous-mortalité parfois impressionnante a été constatée comme en Guyane (- 30%) ou dans le Tarn (-20%). Non seulement les morts du Covid y ont été peu nombreux mais les autres facteurs de décès (notamment les accidents de la route) se sont évidemment fortement réduits.

Surtout, cette surmortalité est extraordinairement concentrée sur les deux régions Grand Est et Ile-de-France puisque les douze départements les plus touchés se trouvent dans ces deux régions. Elle est très élevée en Alsace-Lorraine et en Ile-de-France. Elevée dans les zones périphériques de ces deux régions (Picardie, Bourgogne-Franche Comté, couloir rhodanien). Alors qu’à l’inverse, tout l’Ouest, de la Bretagne à l’Aquitaine, et le Sud, de l’Occitanie à PACA, sont largement préservés du virus.

Les + de 85 ans : cibles du virus

Delphine Roy a ensuite publié la même carte mais centrée sur les seules personnes âgées de 85 ans et plus. Les chiffres, qui cette fois portent du 1er mars au 6 avril, montrent aussi une surmortalité extrêmement élevée. On le sait, le virus a touché tout le monde mais en proportion, il a été fatal d’abord et avant tout aux plus âgés. 92% des décès ont concerné des personnes de 65 ans et plus ; 75% des décès ont touché des personnes de plus de 75 ans. Et ce en raison d’un taux de létalité (nombre de personnes qui, ayant contracté une maladie, meurent de cette maladie) bien plus élevé chez les 80 ans et plus (entre 8% et 13% selon les études) que chez les personnes âgées de moins de 60 ans (moins de 1%).

Dans le Haut-Rhin (+153%) , les Hauts de Seine (+115%) et la Seine Saint Denis (+102%), le nombre de décès de personnes âgées de 85 ans et plus a plus que doublé entre mars 2019 et mars 2020 comme l’indique le tableau. Ceux qui, au début de la crise, pouvaient légitimement relativiser les effets comparés du Covid-19 et d’une bonne grosse grippe saisonnière, ont désormais la réponse : la surmortalité constatée parmi les plus de 85 ans lors de ces cinq semaines est impressionnante.

Une surmortalité en Ehpad concentrée aussi en Ile-de-France et Grand Est

Delphine Roy a également publié une carte de l’INSEE bien plus frappante encore : la surmortalité en Ehpad région par région toujours comparée entre les 1er mars et 6 avril des années 2019 et 2020. Évidemment, ces statistiques peuvent connaître des biais puisqu’elles reposent sur les déclarations d’état-civil qui enregistrent le lieu de décès. Dès lors, les résidents d’Ehpad décédés à l’hôpital (on les évalue généralement autour de 25% en temps normal) ne sont pas ici pris en compte ce qui aurait encore augmenter ces différentiels. Mais les chiffres sont plus impressionnants encore : en Ile de France, la surmortalité en Ehpad entre les mêmes périodes de 2019 et 2020 est de + 171%. Le jour même de notre bouclage, l’INSEE réactualisait ce chiffre pour la période allant jusqu’au 20/04 : le +171% est devenu entre temps + 239% ! Soit plus d’un triplement du nombre de décès dans les Ehpad franciliens entre la même période de 2019 et 2020. L’évolution de la surmortalité en Ehpad mentionnée ici pour le Grand Est (+82%) s’est élevée depuis le 20 avril à +99%. Entre l’an dernier et cette année, le nombre de morts en Ehpad a donc doublé dans cette région.

Comme le rappelle Delphine Roy, « en moyenne, un Ehpad compte 100 résidents. Chaque année, parmi ces 100 résidents, 20 décèdent (toujours en moyenne) : les trois-quarts au sein même de l’Ehpad, un quart après un transfert à l’hôpital ». Au total, ce sont 150 000 résidents environ qui décèdent chaque année, sur environ 600 000 décès par an en France. Un mort sur quatre chaque année en France est un résident d’Ehpad.

Et quand on sait que le virus est particulièrement létal au-delà de 85 ans, il est instructif de regarder ce graphique pour comprendre que l’immense majorité des résidents était dans la cible. Les Ehpad hébergent en effet 380 000 personnes âgées de 85 ans et plus.

Un autre chiffre permet de mieux percevoir « l’âgisme » de ce virus. Avant l’âge de 65 ans, la mortalité est très proche entre 2019 et 2020 (6 % seulement de décès en plus constatés sur la période en 2020 par rapport à 2019). Un faible taux qui cache de fortes disparités là encore selon l’âge. La mortalité a en effet baissé de 19 % chez les moins de 25 ans, probablement du fait des mesures de confinement qui peuvent agir sur d’autres causes de décès notamment accidentelles ; elle a été stable entre 25 et 49 ans et a augmenté de 10 % entre 50 et 64 ans. En revanche, au-delà de 65 ans, la surmortalité explose : elle est de + 22 % entre 65 et 74 ans et de + 30 % au-delà de 75 ans.

Un autre expert, Baptiste Coulmont, professeur de sociologie à Paris 8, a publié deux graphiques particulièrement intéressant.

Le Coronavirus, bien plus grave que la grippe

Le premier mesure le nombre de décès par jour en France de 2001 à 2020 et met en évidence deux phénomènes :

Que le drame de la canicule de 2003 a provoqué un « pic » allant jusqu’à plus des 4 000 morts/jour mais ne dépassant 2 000 décès quotidiens que pendant quelques jours.

Que la crise du Coronavirus se traduit pour le moment par un «pic » nettement moindre (on n’a pas dépassé 2 300 morts/jour) mais en revanche par une très longue période passée avec une courbe située au-dessus de 2 000 morts/jours.

Dans le second graphique, on a rajouté les pics de mortalité des années 2015, 2017 et 2018. Des pics concentrés entre janvier et mars avec là encore des paliers de quelques jours au-dessus de la barre des 2 000 morts/jour. Avec une mention particulière pour l’hiver 2017 où la courbe de surmortalité commence dès le début décembre pour ne revenir à la normale que mi-mars. Ces pics correspondent évidemment très largement aux épidémies de grippe saisonnière que la France a connu mais qui n’ont pas fait les « une » de journaux malgré un nombre de morts considérable.

Mais si, au final, il n’est pas de saison de relativiser quoi que ce soit ici, et certainement pas un nombre de morts, un autre chiffre ne cesse d’étonner. Parmi les décès enregistrés entre le 1er mars et le 13 avril 2020 en France, environ 46 000 ont eu lieu dans un hôpital ou une clinique (soit 51 % des décès enregistrés), 21 000 ont eu lieu à domicile (24 %), 14 000 dans un établissement pour personnes âgées (15 %) et enfin 10 000 dans un autre lieu ou dans un lieu indéterminé (10 %). Or, cette répartition des décès selon leur lieu de survenue est en fait très proche de celle constatée en 2019 avec un peu moins de décès à l’hôpital ou en clinique (51 % contre 53 % en 2019) et un peu plus dans les maisons de retraites (15 % contre 13 % en 2019).

par Luc Broussy


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