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Le dossier épineux de l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques français, poussée par Bruxelles, traîne depuis des années mais connaît soudain un vif regain d'intérêt avant les élections européennes.
La Commission européenne avait mis en demeure la France, dès 2015, d'ouvrir à la concurrence ses concessions hydroélectriques, jugeant EDF en position dominante. Le 7 mars, elle a adressé une nouvelle lettre de mise en demeure à la France et d'autres pays. Propriétés à 100% de l'État, les barrages sont actuellement concédés en très grande majorité à EDF, qui détient environ 80% de la puissance installée, et à Engie via ses participations dans la CNR (Compagnie nationale du Rhône) et la SHEM (Société hydroélectrique du Midi).
L'enjeu est important: l'hydraulique a compté pour près de 12,5% de la production d'électricité en France en 2018 - un très bon cru grâce à des pluies abondantes. Cela en fait de loin la première énergie renouvelable productrice d'électricité, qui peut aussi être stockée.
Ce symbolique dossier au long cours s'est invité dans la campagne avant les élections européennes du 26 mai. Le président de Debout la France (DLF) Nicolas Dupont-Aignan s'est rendu cette semaine sur un barrage en Corrèze. "Après les aéroports et les autoroutes, le pillage des biens publics français continue avec les barrages hydroélectriques", s'est insurgé le candidat souverainiste. Yannick Jadot, tête de liste Europe Ecologie Les Verts (EELV), a aussi dénoncé une "privatisation des barrages", regrettant une "exception française", "qui est de ne pas avoir défendu le contrôle par l'État et les citoyens de sa principale source d'énergie renouvelable".
« Garanties »
Début avril, plus d'une centaine de députés avaient déjà demandé au gouvernement de s'opposer à l'ouverture à la concurrence, en plein débat sur la privatisation d'Aéroports de Paris. Une résolution très oecuménique puisqu'elle avait été signée par des élus PCF, PS, LFI, LR... mais aussi LREM, comme Cédric Villani.
Elle rejetait comme "dangereuse et irrationnelle l'ouverture à la concurrence de ce secteur stratégique au plan économique, social et environnemental, qui s'adosse à un patrimoine financé de longue date par les Français et conservé en excellent état". Les opérateurs historiques "sont les seuls à offrir aujourd'hui des garanties suffisantes en matière de gestion des risques sécuritaires, de soutien à l'économie et à l'emploi et de prise en compte effective de la diversité des usages de la ressource en eau".
Les barrages jouent en effet aussi un rôle de régulation important pour l'agriculture, le tourisme ou encore l'environnement. Le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, s'est toutefois prononcé contre le statu quo. "Le fait que, pendant des années, on n'a rien renouvelé, rien investi, a été très néfaste au fonctionnement de nos barrages", a-t-il répondu début avril lors d'un débat à l'Assemblée.
"Nous pourrions aller jusqu'à 15% d'électricité d'origine hydraulique s'il y avait une meilleure gestion des barrages. Cela suppose des investissements. Le principe de la concession, c'est que celui qui l'obtient investit", a-t-il fait valoir. Quant à l'appel à la concurrence pour le renouvellement des concessions, "nous ferons les choses de façon ordonnée et en respectant le droit français et le droit européen".
« Émotionnel »
EDF, qui attend d'en savoir plus pour concrétiser d'importants investissements, demande pour sa part à être traité de manière "équitable", en étant notamment autorisé à candidater au renouvellement de toutes ses concessions.
Les entreprises intéressées par l'ouverture (le Français Total, le Suédois Vattenfall, le Finlandais Fortum...) veulent de leur côté faire valoir leurs arguments. "On est purement dans l'émotionnel", dans les prises de positions contre l'ouverture, regrette Benjamin Thibault, le directeur de Fortum en France.
Il souligne les investissements importants à effectuer sur les barrages mais aussi le système de redevances qui serait mis en place -différent de ce qui se fait pour les autoroutes. "L'État et les collectivités locales récupéreront une part très importante du revenu et donc ils seront associés à la performance", avance-t-il.
Pour l'instant, rien n'indique toutefois qu'une issue soit imminente. "Le gouvernement poursuit les discussions avec la Commission européenne", indique laconiquement le ministère de la Transition écologique.