Partenariat public-privé

BlackRock se paie une opération de greenwashing grâce à Paris et Berlin

Partenariat public-privé

par Amélie Canonne, Maxime Combes

Lors du forum économique de Davos, la France et l’Allemagne ont communiqué sur la création d’un fonds climat avec BlackRock. Un cadeau inespéré pour le plus gros gestionnaire d’actifs qui investit des milliards de dollars dans les énergies fossiles.

C’est depuis le Forum économique mondial de Davos, cette station de ski suisse que l’on rejoint en jet privé, que BlackRock, l’Agence française de développement (AFD) et le ministère allemand de l’Environnement, alliés à des fondations philanthropiques privées, ont annoncé avoir finalisé la création du « Climate Finance Partnership » (CFP, "partenariat sur le financement climatique") [1].

Le CFP est un véhicule d’investissements qui sera initialement doté de 100 millions de dollars, dont 60 millions garantis sur fonds publics provenant de l’AFD et de l’Allemagne. Le fonds a pour objectif de lever jusqu’à 500 millions de dollars pour financer des projets liés au climat dans les pays à revenus intermédiaires d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique. Des investissements dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, du stockage et des réseaux électriques sont annoncés, sans détail en termes de calendrier.

Des montants ridiculement faibles

En juillet 2019, Emmanuel Macron avait reçu dans les salons dorés de l’Élysée huit des principaux gestionnaires d’actifs mondiaux, dont Larry Fink le PDG de BlackRock, pour « accélérer les investissements en faveur du climat ». En ajoutant au lancement de ce CPF, l’engagement récemment pris par Larry Fink de progressivement se désintéresser du charbon, ne faut-il pas se féliciter au regard de l’urgence climatique et de la nécessité de lever des financements supplémentaires pour le climat ?

Précisons que les montants évoqués sont ridiculement faibles. Les pays riches avaient promis en 2009 de débloquer 100 milliards de dollars pour les pays du Sud d’ici à 2020. Plus de dix ans après la conférence climat de Copenhague, nous savons que ce sont en réalité plusieurs milliers de milliards de dollars qu’il faut trouver pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et mener des politiques d’adaptation efficaces. Même à l’aune de ces 100 milliards, le CFP ne représente qu’un montant dérisoire, au mieux 0,5 %.

Une initiative peu adaptée à l’urgence climatique dans les pays du Sud

Une large partie des financements nécessaires à la lutte contre les changements climatiques doivent aller à des politiques d’adaptation aux dérèglements du climat, autrement dit d’anticipation des catastrophes, de transformation des infrastructures, et de conversion des systèmes alimentaires. Le programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) évaluait en 2016 les coûts de l’adaptation dans les pays en développement à une fourchette allant de 140 à 300 milliards de dollars par an pendant cette nouvelle décennie [2] .

Or, ces projets d’adaptation (construction de digues, rénovations urbaines, soutien au monde agricole, etc.) n’offrent pas de rentabilité suffisante à des investisseurs. Le CFP et toutes les initiatives mobilisant des investissements privés ne s’y intéresseront pas. L’adaptation exige en premier lieu des dons provenant d’argent public supplémentaire, pérenne et sans contrepartie.

S’agissant des politiques d’atténuation qui permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre à long terme, elles doivent se développer à l’échelle locale, en s’appuyant sur les savoir-faire des communautés d’habitants et d’usagers. Or l’implication d’acteurs financiers internationaux va favoriser des projets technologiques à grande échelle, conçus loin des besoins des communautés. Il n’est pas certain que les populations en Afrique, Asie, Amérique du Sud, ou dans les petites îles du Pacifique n’aient besoin de gestionnaire d’actifs tels que BlackRock.

Refus d’évaluer les conséquences de l’Accord de Paris sur sa stratégie d’investissement

Tournons ensuite les yeux vers BlackRock. Larry Fink, son PDG, est connu pour régulièrement déclarer que les entreprises doivent attribuer « une contribution positive à la société », et tenir compte des enjeux écologiques et sociaux dans leurs investissements. C’est ce qu’il vient d’affirmer à nouveau dans la lettre qu’il rend publique chaque début d’année, annonçant son intention de privilégier les investissements centrés sur la « soutenabilité » et « le climat », de laisser de côté le charbon et de proposer des produits « filtrant les combustibles fossiles ».

En septembre 2016, BlackRock avait déjà publié un rapport qui énonçait que l’ensemble des investisseurs, dont BlackRock, devaient tenir compte de la protection de l’environnement et du climat dans leurs choix d’investissement. Exhortations louables, dont l’application est toutefois contredite par les faits : quelques semaines avant la publication de ce rapport, BlackRock avait fait échouer lors de l’assemblée annuelle des actionnaires d’ExxonMobil le vote d’une résolution se limitant à proposer qu’Exxon évalue les conséquences de l’Accord de Paris sur sa stratégie d’investissement [3].

Des milliards de dollars d’investissement dans les énergies fossiles

Une étude du Guardian, publiée en octobre 2019, portant sur les investissements dans les énergies fossiles des « Big Three » (les gestionnaires d’actifs BlackRock, Vanguard et State Street), montre d’autre part qu’ils ont accumulé près de 300 milliards de dollars d’investissements dans les énergies fossiles : à travers 1712 fonds, Vanguard détient 161 milliards de dollars, BlackRock 87 milliards et State Street 38 milliards. Les 100 à 500 millions d’euros du CFP ne pèsent pas lourd.

Mieux, les réserves de charbon, pétrole et gaz des entreprises dont une part du capital est détenue par ces trois fonds d’investissement ont augmenté de 34,8 % depuis 2016, faisant d’eux les plus importants investisseurs de la planète dans les énergies fossiles. Soit un stock potentiel d’émissions de gaz à effet de serre qui a augmenté depuis l’Accord de Paris, passant de 10,6 gigatonnes de CO2 à 14,3 gigatonnes. BlackRock est ainsi un actionnaire important de Total, avec près de 6 % de son capital.

Un tiers des membres du conseil de direction de BlackRock lié à des entreprises des énergies fossiles

D’autre part, une étude de l’IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) a montré que BlackRock mène par bien des aspects une politique d’investissement contradictoire avec les enjeux climatiques [4]. Tout d’abord, six des 18 membres du conseil de direction de BlackRock sont liés à des entreprises des énergies fossiles, comme Halliburton, GE ou BP. Seulement 0,8% du portefeuille total de Blackrock est d’ailleurs investi dans des fonds comportant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) : soit une goutte d’eau au regard des 7000 milliards d’actifs dont BlackRock a la gestion.

Plus important encore : BlackRock a mis sur pied de nombreux produits d’investissement qui sont fondés sur l’évolution d’indices boursiers. Puisque les compagnies pétrolières et gazières occupent souvent une place de choix sur les principales places financières de la planète (Total représente environ 10 % de la capitalisation du CAC40), la performance des actifs gérés par BlackRock est structurellement fortement dépendant des résultats des compagnies pétrolières. Par ailleurs, BlackRock n’a soutenu en 2018 que 10 % des résolutions liées au climat soumises au vote en assemblées générales d’actionnaires des entreprises dont elle détient des actifs.

Le cadeau de Paris et Berlin à BlackRock

À la lumière de ces faits, offrir à l’un des gestionnaires d’actifs les plus investis dans les énergies fossiles l’opportunité de se présenter comme porte-drapeau de l’investissement climato-compatible fait figure de cadeau inespéré de la part de Paris et Berlin. On n’attend pas des pouvoirs publics qu’ils se chargent de coordonner les opérations de greenwashing d’investisseurs comme BlackRock. Encore moins face à des montants dérisoires : les 500 millions d’euros du CFP représentent moins de 0,01% des actifs gérés par BlackRock.

Ce qu’on attend des pouvoirs publics, la France et l’Allemagne en premier lieu, est au contraire de prendre le taureau de la Bourse et des marchés financiers par les cornes. Intervenir de façon contraignante pour imposer aux investisseurs et gestionnaires d’actifs de ne plus investir dans les énergies fossiles et activités destructrices de l’environnement n’est pas autorisé par les règles actuelles du droit de l’investissement. Il est donc urgent de modifier les règles du jeu pour qu’il ne soit plus possible de continuer à investir dans le secteur des énergies fossiles.

Enfin, on attend des pouvoirs publics de réorienter l’argent public qui finance encore l’aggravation du réchauffement climatique, de desserrer l’étau qui empêche aujourd’hui de s’endetter pour financer l’intérêt général et, d’autre part, de taxer à des niveaux suffisants les revenus du capital - en menant une lutte résolue contre l’évasion fiscale - pour débloquer les financements et l’argent public nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique. Les pays et les populations du Sud n’ont plus les moyens de temporiser. Ni le loisir de s’en remettre au bon vouloir de BlackRock et autres investisseurs privés.

Amélie Canonne [5] et Maxime Combes [6]

Photo de une : manifestation du 9 janvier 2020 / © Attac44

Notes

[1Ce partenariat sur la finance climatique avait déjà été annoncé lors de la deuxième édition du One planet summit, en septembre 2018.

[2Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) (2016), The Adaptation Gap Report 2016 : The adaptation finance gap. (source)

[3Sources : BlackRock issues climate change warning, Financial Times, 6 septembre 2016, et Asset managers accused of climate change hypocrisy, Financial Times, 25 septembre 2016

[4IEEFA report : BlackRock’s fossil fuel investments wipe US$90 billion in massive investor value destruction, août 2019 (source).

[5Membre d’Attac, Amélie Canonne a conduit en France la campagne européenne d’opposition au traité transatlantique en tant qu’experte en politique commerciales et climatiques.

[6Maxime Combes est économiste spécialiste de l’environnement et membre d’Attac. Il a publié Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015).