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Notre devoir d’optimisme pour le monde d’après
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Renouveau

Face à la crise du coronavirus, un "devoir d’optimisme" semble s’imposer pour imaginer des solutions d'avenir pour le monde d'après. La prudence doit permettre d'agir contre une destruction possible, avant qu’elle ne soit grave ou même définitive.

Gérard Mermet

Gérard Mermet

Gérard Mermet est sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Francoscopie 2030 (Nous, aujourd’hui et demain), Larousse, 2018.

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À propos du futur, chacun de nous a un avis, au moins une intuition. Un mélange à parts souvent inégales de craintes et d’espoirs, de certitudes et de doutes. Le spectre des attitudes possibles est très large. À ses extrémités, deux visions s’opposent. D’un côté, la perspective d’une disparition, au moins partielle, de la vie. De l’autre, la possibilité d’une vie sensiblement meilleure pour chacun et pour tous.

Ces deux visions de l’avenir sont très vite apparues lors de la crise sanitaire, dès la fin de la période de sidération. Certains Français ont pensé que le monde allait être bouleversé, le pays ravagé et ruiné. Ils ont imaginé un complot ourdi par les Chinois, une vengeance de la nature ou une punition divine… et stocké des vivres. D’autres se sont concentrés sur l’« après », envisageant une sortie de confinement joyeuse et un retour à la normale rapide, suivi de transformations bénéfiques, … et ils ont refusé de porter un masque. Tous les autres ont choisi des nuances de gris sur cette échelle allant du noir au blanc. 

Le parti de l’inquiétude…

Sur la face sombre de l’anticipation, on trouve les pessimistes, déclinistes ou, plus récemment, « collapsologues[1] ». Ces derniers considèrent que le monde va inéluctablement à sa perte. Leur argumentation est simple : du fait de l’activité humaine, l’environnement se dégrade à grande vitesse, comme en témoignent le réchauffement climatique et bien d’autres changements spectaculaires, décrits par les experts et perceptibles par les gens. Les espèces vivantes sont menacées, certaines sont déjà en voie d’extinction. Parmi elles, l’espèce humaine.

L’accroissement prévu de la population mondiale (d’environ un milliard d’habitants d’ici 2030) est pour eux un autre motif d’inquiétude. Comment gérer l’afflux prévisible d’immigrés des pays en difficulté vers ceux qui seront (encore) riches ? Ces inquiets n’oublient pas non plus les autres menaces : alimentaires, économiques, sociales, sécuritaires, politiques, technologiques… Mais ce sont évidemment les menaces sanitaires qui figurent désormais au premier plan de leurs préoccupations.

Pour les adeptes de la théorie de l’effondrement, les progrès de la science et leurs applications (hors le domaine médical) ne représentent pas une solution, mais un danger supplémentaire, une fuite en avant. Les développements de l’intelligence artificielle, la généralisation des robots, la manipulation du génome ou l’émergence du transhumanisme vont entraîner selon eux la fin du monde, ou au moins celle de la vie. Ils ajoutent à leur liste l’accroissement des inégalités, l’impuissance des politiques, les faiblesses des démocraties, la difficulté des citoyens à vivre ensemble. Ils se préparent à survivre en se barricadant dans des bunkers emplis de provisions alimentaires, parfois d’armes et de munitions.

… ou le pari de l’espoir

Les optimistes (ou inconscients, du point de vue des pessimistes…) portent un tout autre regard sur l’avenir. Eux voient le monde en positif, reconnaissent les progrès accomplis en matière de santé, d’éducation, de droit du travail, de revenu, de confort ou de divertissement. Ils se félicitent que l’Europe (en tout cas celle de l’Union, qui s’est affranchie de ses anciennes frontières) ait assuré la paix sur son territoire depuis plus de soixante-dix ans, et qu’elle ait favorisé le développement économique de ses membres. Mais ils s’inquiètent que certains cherchent à les restaurer et à les fermer.

Ils font confiance à la science et à l’innovation accélérée qu’elle produit, et considèrent qu’elle sera en mesure de relever les défis de l’avenir. Ils comptent sur l’intelligence individuelle et collective, considèrent la mondialisation comme un moyen utile de rapprocher les peuples, à travers la convergence des cultures et des modes de vie et dans le cadre d’une coopérative aujourd’hui nécessaire. Ils estiment que la conscience, la solidarité et l’esprit de responsabilité auront le pouvoir d’inverser les tendances, ou au moins d’infléchir les mouvements annonciateurs d’un déclin.

Tout le monde a (au moins en partie) raison

De ces deux attitudes extrêmes devant l’avenir, laquelle est la plus pertinente ? C’est la question qui taraude aujourd’hui les sociétés et leurs membres, en France comme dans beaucoup d’autres pays. Tous ceux en tout cas qui n’ont pas encore, en cette période crise profonde, choisi entre optimisme et catastrophisme.

La « vérité », si tant est qu’on puisse vraiment l’approcher (cela supposerait d’être parfaitement « objectif », une mission impossible), est que tout le monde a au moins en partie raison. Ainsi, les craintes des pessimistes ne sont pas infondées ; les menaces qui pèsent sur le monde sont réelles, confirmées par des études effectuées par des organismes sérieux dans lesquels travaillent des spécialistes compétents. Même si leurs projections diffèrent, ils sont quasiment unanimes sur l’essentiel : le monde aura de multiples dangers à affronter dans les années à venir. Le danger sanitaire n’est que l’un d’eux.

Mais les optimistes n’ont pas tort non plus de rappeler que le monde a jusqu’ici globalement progressé, que la nécessité et les perspectives ouvertes par la science ont vocation à résoudre les problèmes, peut-être même à accélérer le mouvement, historique, vers le « mieux ». Mais aucun d’entre eux ne peut affirmer aujourd’hui que ce sera suffisant et assez rapide. Les menaces sont en effet pour la plupart inédites, d’une ampleur croissante et elles concernent l’ensemble de la planète. La crise vécue depuis janvier 2020 le confirme.

Comme souvent, l’attitude la plus sage se situe entre ces deux attitudes. Mieux encore, elle doit emprunter aux deux ce qu’elles ont de plus raisonnable et d’utile. Nous savons en effet depuis Talleyrand (s’il est vraiment l’auteur de l’aphorisme) que « tout ce qui est excessif est insignifiant ». L’Histoire nous a aussi appris que les conceptions extrêmes peuvent être dangereuses. Le catastrophisme et l’angélisme peuvent tous deux conduire à l’inaction ou à la « mauvaise action ». C’est-à-dire peut-être à l’apocalypse, prise dans son sens laïque, beaucoup moins enviable que celui indiqué par la Bible des Chrétiens : la révélation aux Humains du sens du monde et de la vie[2]

L’avenir n’est pas à découvrir, mais à inventer

Nul ne peut lire l’avenir. Cela impliquerait qu’il soit écrit quelque part et que les Humains ne puissent le modifier. Cette idée, prônée par certaines religions et croyances, n’est pas la mienne. D’abord parce qu’en l’absence de révélation particulière, mon esprit rationnel ne peut y adhérer (même s’il reste ouvert à ce qu’il ne connaît pas). Mais aussi parce que la certitude que l’avenir serait écrit quelque part pousse à l’immobilisme et au fatalisme. Pourquoi en effet vouloir changer le monde s’il est déjà programmé dans son cheminement comme dans sa fin ? Sauf bien sûr si les changements effectués sont eux-mêmes écrits à l’avance, à l’insu des Humains qui n’en seraient que les instruments. Mais si rien n’est prévu à l’avance ? Accepter que les choses suivent leur cours sans intervenir reviendrait à laisser la planète se dégrader ou disparaître, comme tout objet dont on ne prend pas soin, donnant ainsi raison aux pessimistes. Écrasante responsabilité !

Pour ceux qui doutent, dont je suis, un « devoir d’optimisme » semble donc s’imposer, ne serait-ce que par prudence. Une prudence qui ne pousserait pas à ne rien faire, comme c’est souvent le cas si l’on applique à la lettre le « principe de précaution », mais au contraire à agir contre une destruction possible, avant qu’elle ne soit grave ou même définitive. «  Le problème avec ce monde c'est que les gens intelligents sont pleins de doutes alors que les imbéciles sont pleins de certitudes » expliquait Charles Bukowski.

Il faut évidemment faire tout notre possible pour en finir avec la fin du monde redoutée et proclamée par les Cassandre. Et chacun doit y apporter sa contribution. Car il existe des pistes sérieuses pour sortir de l’impasse et relancer l’incroyable machine à progrès qu’a été l’Humanité depuis ses origines. Contrairement à ce qu’imaginent beaucoup de nos contemporains, les dernières décennies n’échappent pas à la règle. Globalement, c’était quand même plutôt moins bien avant. Même si la crise actuelle incite à nuancer ce jugement.

[1] Le mot « collapsologie » est apparu dans l’ouvrage de Pablo Servigne, ingénieur agronome, et Raphaël Stevens, expert en résilience des systèmes socio-écologiques Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Éditions du Seuil, 2015.

[2] Dernier livre du Nouveau Testament, écrit par « Jean » (probablement distinct de l’apôtre), daté selon les experts entre 60 et 96 de notre ère. Il annonce la victoire de Dieu et du Christ sur Satan et les forces du mal, décrit le sens divin de l’époque et la façon dont le peuple de Dieu sera délivré.

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