• 23/01/2018
Enquête

Dans les secrets des vins écolos

Biologiques, biodynamiques ou naturels, les vins ne se valent ni sur la fabrication ni parfois sur le goût. Nos explications.
Les vendanges. Une femme dépose le raisin dans la benne.

Il existe trois familles de vins “écolos” : biologiques, biodynamiques et “naturels”. Tous les trois ont en commun d'interdire l'usage des produits chimiques de synthèse dans la culture des vignes. Toutefois, le cahier des charges du vin bio, défini au niveau européen, n’exige pas une absence totale de pesticides synthétiques dans le produit final.

Pas toujours exempts de traces de polluants

Une étude menée par 60 Millions il y a cinq ans sur la contamination de 52 vins rouges et blancs, conventionnels et biologiques, a d’ailleurs montré que, sur les onze vins bio de l’étude, seuls deux ne contenaient aucun des 29 polluants recherchés. L’un d’entre eux affichait même treize molécules différentes.

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Les professionnels expliquent ces traces de polluants par des contaminations accidentelles, les parcelles biologiques étant proches des vignes conventionnelles qui utilisent des produits phytosanitaires.

Les produits chimiques naturels autorisés

Ce phénomène peut aussi concerner les vins biodynamiques et naturels, normalement issus de raisin bio. Certes, les très faibles quantités retrouvées ne remettent pas ces certifications en cause, mais elles interpellent sur la pollution de l’environnement... En revanche, le cahier des charges du bio autorise les produits chimiques naturels.

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« Le consommateur pense que bio veut dire “aucun pesticide”, mais à ce jour, c’est impossible en agriculture, estime Alain Carbonneau, professeur émérite en viticulture à Montpellier Supagro. On y travaille, notamment avec la sélection de cépages plus résistants. »

Le cuivre, seul fongicide efficace contre le mildiou

Au premier chef, il faut lutter contre le mildiou, contre lequel le viticulteur bio dispose du cuivre, seul fongicide efficace. Mais, utilisé sur des sols pauvres en matières organiques, il s’avère nocif pour l’environnement.

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En viticulture biologique, son utilisation est limitée à 6 kg par hectare par an. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) propose même d’abaisser ce seuil à 4 kg/ha/an.

En biodynamie, la dose limite est déjà de 3 kg/ha/an. Certains producteurs, comme Marc Humbrecht, vont plus loin : « J’utilise entre 60 et 120 grammes de cuivre par hectare », explique le viticulteur alsacien. Mais réduire son usage n’est pas possible partout. Dans les régions pluvieuses comme la Bourgogne, il est compliqué de s’en passer car l’humidité favorise le développement des champignons.

Le soufre, utilisé depuis le XVIIIe siècle

L’autre traitement largement utilisé par les viticulteurs bio, c’est le soufre, employé pour contrôler l’oïdium. « C’est un élément naturel utilisé depuis le XVIIIe siècle comme fongicide dans les vignobles européens ; il n’est pas reconnu avoir d’impact sur l’environnement », souligne Stéphane Becquet, ingénieur agronome et vinificateur au Syndicat des vignerons bio d’Aquitaine. Son seul inconvénient est d’être potentiellement irritant lors de la manipulation.

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Sur ce point, les vins biodynamiques font mouche, leurs vignes étant cultivées avec la volonté de limiter au maximum les doses de cuivre et de soufre. Mais, contrairement aux pesticides de synthèse, « le cuivre comme le soufre utilisés sur la vigne ne sont normalement pas retrouvés dans le vin », affirme l’ingénieur.

Les étiquettes muettes sur certains additifs

Il faut, en effet, distinguer le soufre des sulfites que l’on retrouve, eux, dans le produit final. Si la fermentation du vin en produit naturellement de faibles quantités, des sulfites sont aussi ajoutés lors de la vinification. Ils stoppent la fermentation et empêchent l’oxydation du vin, permettant ainsi de le conserver plus longtemps.

Les “recettes” de la biodynamie

Planter en lune descendante, vinifier au rythme du cosmos... La biodynamie suit les rythmes solaires, cosmiques, lunaires et planétaires. Elle se distingue également par l’utilisation de préparations spécifiques : la silice de corne – du quartz broyé puis enterré dans une corne de vache pendant la saison estivale – est par exemple pulvérisée pour intensifier l’action de la lumière.

Rien d’anormal à leur présence, puisqu’ils font partie des additifs autorisés en agriculture biologique et en biodynamie, en-dessous d’un certain seuil.

Mais dès lors que le vin en contient plus de 10 mg/l, le producteur doit indiquer sur la bouteille « contient des sulfites », car ils peuvent être à l’origine d’intolérances ou d’allergies. Les vins naturels en contiennent, quant à eux, très peu, voire pas du tout. Dans ce cas, la mention « sans sulfites ajoutés » peut figurer sur l’étiquette.
 
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Au-delà de ces deux mentions, les étiquettes restent, hélas, muettes sur les quantités de sulfites réellement présentes. Quant aux autres additifs, ils ne sont pas mentionnés du tout…

Au chai, le vigneron bio peut pourtant utiliser – en plus des sulfites – un certain nombre d’intrants. « La liste est certes longue, reconnaît Stéphane Becquet, mais la plupart des substances autorisées sont issues de la matière première du vin, tels les levures ou l’acide tartrique que l’on trouve dans le raisin. » Plus ennuyeux, quelques allergènes sont autorisés, comme les colles à base d’œuf utilisées pour faire tomber les matières en suspension.

L’absence d’adjuvants nuit au goût du vin

Cela étant, le zéro adjuvant des vins naturels peut avoir d’autres inconvénients. À commencer par... une perte de goût. Ou plus exactement « une unification du goût alors même que ces vins revendiquent une proximité avec le terroir », explique Axel Marchal, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de la vigne et du vin à l’université de Bordeaux.

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En cause, l’absence ou presque d’intervention, qui amène le développement de levures indésirables comme les brettanomyces. Celles-ci confèrent au breuvage une odeur de cuir guère séduisante. « Le goût du vin dépend aussi beaucoup du travail du sol, poursuit Axel Marchal. Beaucoup de vins en biodynamie sont délicieux car ils s’appuient sur une méthode culturale forte de la vigne. »

Conserver les vins naturels

Après l’achat, privilégiez une consommation rapide, avec une mise en carafe afin d’enlever la présence naturelle de gaz et d’éventuels arômes rustiques. Sinon, le stockage des vins naturels est possible, mais sans certitude sur leur évolution, du fait de l’absence de sulfites. Ils sont à conserver à l’abri de la lumière et à une température inférieure à 14° C. De même reconnaît-il une vraie amélioration des vins bio, liée en partie à une meilleure connaissance de la viticulture bio et de ses écueils.

Le vin bio n’est pas forcément meilleur

Acheter un vin bio ou biodynamique n’est pas pour autant une garantie gustative : ils subissent, comme les vins conventionnels, les aléas de la vinification, du stockage, du transport, etc. Et plus encore les vins naturels, que l’absence de soufre rend fragiles : de ce fait, les amateurs de ce type de vin trouveront leur bonheur via des cavistes indépendants, se fournissant directement auprès des producteurs.

Les vins biodynamiques et surtout bio ont, eux, franchi les portes de la grande distribution. Pour le meilleur et parfois le pire.
 
Patricia Chairopoulos et Laura Hendrikx

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