FOOTBALL« Rester en vie »... Le foot pro français face à la hantise de la faillite

Coronavirus : « Rester en vie »… Le football professionnel français face à la hantise de la faillite

FOOTBALLLa paralysie du football causée par la pandémie de coronavirus va coûter très cher aux clubs français
Le Covid-19 va mettre le foot français à rude épreuve
Le Covid-19 va mettre le foot français à rude épreuve - Budrul Chukrut / SOPA Images/Sip/SIPA
William Pereira et Aymeric Le Gall

William Pereira et Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Le football est à l’arrêt à cause de la pandémie de coronavirus.
  • Les clubs français prient pour que la saison arrive à son terme.
  • La question des droits TV et des salaires inquiète les dirigeants.

Des petits arrangements entre détenteurs de droits TV pour diffuser la Ligue 1. Des revalorisations salariales à l’infini, un marché des transferts qui se prend pour Mondo Duplantis à péter tous les quatre matins des nouveaux records. C’était il y a des mois, des semaines, à peine. Le football planait. Indestructible machine, disait-on, qu’un adorable pangolin est venu enrayer, faisant s’abattre « une météorite » sur le sport roi, pour reprendre l’expression du nouveau président rennais Nicolas Holveck, dans L’Equipe.



« L’objectif, c’est de rester en vie, et tous ensemble ». Sonné par l’interruption des compétitions jusqu’à nouvel ordre, le foot professionnel se relèvera-t-il indemne de la pandémie de coronavirus ? En Espagne, la fédé a débloqué 500 millions d’euros pour venir en aide aux clubs de première et deuxième divisions. En Allemagne​, l’heure est au catastrophisme. « Si on ne joue pas à huis clos dès que possible, ce n’est plus la peine de se demander si on fait un championnat à 18 ou à 20 clubs, parce que nous n’aurons même plus 20 clubs professionnels », avertit le patron de la Ligue allemande, Christian Seifert.

Finir la saison et toucher les droits TV, à tout prix

Restons en France, parce que de toute façon, la problématique est partout la même : à savoir que plus cette pause inopinée se prolongera, plus elle causera de dégâts. Bernard Caïazzo, président de l’ASSE et du syndicat des clubs de L1 : « Si nous restons deux mois sans jouer, nous pouvons redresser la situation. Si c’est quatre mois, mais que nous terminons nos compétitions domestiques et européennes, les clubs peuvent s’en sortir à condition que la saison prochaine se termine dans les délais. » Dans le cas où tous ces « si » ne tiendraient pas, la situation deviendrait rapidement invivable pour les clubs dans l’impossibilité de s’adosser à un puissant actionnaire comme le PSG, l’OM ou Nice. Pas de match, pas de billetterie. Pas de billetterie, pas de recettes. Sans oublier les revenus de sponsoring et surtout les droits TV qui se retrouveront amputés si la saison l’est aussi. C’est d’ailleurs là que réside la principale inquiétude des présidents de clubs.

« La perte économique due au non-versement des droits télés serait très forte, nous confirme le directeur général du FC Lorient, Fabrice Bocquet. On prépare nos budgets en se basant sur les recettes des droits télés et si à l’arrivée on n’en touche que 75 %, ça a un impact très fort dans le budget sachant que les charges, elles, ne diminuent pas vraiment. » C’est pour ça que Caïazzo veut finir le championnat en juillet-août quitte à commencer la suivante dans la foulée. « Finir la saison éviterait d’avoir des réclamations de remboursement de droits télé. C’est un enjeu majeur, ajoute Christophe Lepetit, responsable des études économiques au CDES. Les clubs veulent éviter que Canal + et beIN se retournent vers la LFP en disant ‘’vous m’avez vendu 380 matchs de Ligue 1, 380 matchs de Ligue 2, plus les barrages et en fait vous n’avez pas respecté votre contrat et vous nous devez tant de millions d’euros’’ ». Ne pas aller au bout de 2019-2020, équivaudrait à 400-500 millions d'euros de pertes pour le football français, estime Holveck. « Inenvisageable. » En bout de chaîne, ce n’est pas seulement l’économie des clubs mais aussi le noyau de l’écosystème du foot pro – le marché des transferts – qui subirait de plein fouet les conséquences de ce manque à gagner. Bocquet :

« « Certains clubs sont censés recevoir de l’argent de la part d’autres clubs. Or, si on a des clubs en difficultés économiques qui ne peuvent pas honorer leurs créances, ça va mettre en difficulté les clubs en attente de liquidités. Les ventes étant une source de revenus très importante pour les clubs français, on peut donc s’inquiéter de la chute probable du marché des transferts. » »

Le coup de pouce (tout relatif) du chômage partiel

Reste à évacuer la question salariale, ce gros boulet en période d’inactivité, tous secteurs confondus. Face au ralentissement économique lié au coronavirus, le gouvernement a élargi le principe du chômage partiel à tous les secteurs d’activité, avec une allocation plus généreuse. « Le 13 mars, expose le président du Mans Thierry Gomez, ne sachant pas comment ça allait évoluer, on a mis le groupe pro en congés payés et le reste du personnel au chômage partiel. Mais vu l’évolution, tout le monde est passé au chômage partiel depuis lundi 24 mars. » En Ligue 1, L’OM et l’OL s’y sont engouffrés, tout comme Nice, Reims ou Montpellier. Concrètement, le club indemnise ses joueurs, ses secrétaires, ses kinés ou encore ses jardiniers à 70 % de leur rémunération brute (environ 84 % en net). Puis l’État le rembourse, dans la limite de 4.850 euros par salarié, selon un décret dont la publication est attendue cette semaine.

Intéressant pour le personnel du club, dérisoire pour les joueurs de Ligue 1 et même de Ligue 2, où le salaire moyen est « plus près de 10-12.000 euros que de 5.000 euros », rappelle Thierry Gomez. Christophe Lepetit confirme : « Les mécanismes mis en place, notamment le chômage partiel, ne sont pas des réponses très adaptées au monde du foot et aux hauts revenus des footballeurs. En revanche, on est sur des niveaux de rémunérations qui sont bien moindres en Ligue 2. Malgré tout, même à 10.000 euros, la prise en charge par le chômage partiel à hauteur de 4,5 smics ne répond pas véritablement à l’ensemble du problème financier qui est posé. Cette mesure sera plus bénéfique aux petits clubs. »

Fulvio Luzi, patron du FC Chambly, abonde dans ce sens : « ça va évidemment nous faire du bien, sans compter l’exonération des charges patronales et salariales qui vont avec. » Faire du bien n’est pas guérir, il faut donc envisager d’aller plus loin. Jusqu’à la baisse des salaires ? A écouter le discours de Nicolas Holveck, cela n’aurait rien d’utopique.

« « Il faut que les joueurs comprennent que la situation est très difficile. J’ai eu de très bonnes discussions avec les nôtres, ce fut très constructif. On évoque le chômage partiel mais la situation est tellement grave que si des clubs meurent, on parlera de chômage tout court. Il faut se mettre autour d’une table et adopter des mesures communes car les 20 clubs doivent survivre. On ne fera pas un Championnat à cinq ou à dix. » »

Sauver un milieu par essence compétitif et individualiste par le jeu collectif, c’est aussi ce en quoi croit le responsable des études économiques au CDES. « Il va falloir voir dans quel cadre juridique et social [les négociations salariales] se passent car il y a des contrats qui sont signés avec les joueurs et je ne pense pas qu’ils aient ce type de clause dedans. On va donc être dans de la négociation. C’est là qu’il faut souhaiter que l’intelligence collective fasse son effet, en mettant tout le monde autour de la table, en particulier les syndicats de joueurs (UNFP, Fifpro). Le but étant de se dire "on fait tous le constat qu’il y a un gros problème, faisons en sorte de limiter les dégâts tous ensemble" ».

Aux dernières informations, les patrons des clubs pros se sont réunis autour de Didier Quillot, directeur général exécutif de la LFP, pour aborder la question de l’organisation calendaire et réfléchir à un plan de survie du football français. Un prochain « bureau » est attendu vendredi. Il faudra au moins ça pour rester en vie.

Sujets liés