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Quotidien

Il y a bio et bio. Voici comment s’y retrouver dans les labels d’agriculture biologique

Si le label AB domine largement les rayons alimentaires bio des magasins, il n’est pas le seul à signaler des produits issus de l’agriculture biologique. D’autres, moins connus mais plus exigeants, défendent une agriculture plus humaine, plus écologique et plus autonome face aux lobbies agro-alimentaires. Présentation des différents labels de l’agriculture bio en huit questions/réponses.

Quels sont les labels de l’agriculture biologique ?

En France, on dénombre trois labels nationaux dédiés à l’agriculture biologique : le label européen et sa déclinaison française AB, Nature & Progrès, et Bio Cohérence. A ceux-là s’ajoutent plusieurs labels régionaux ainsi que Demeter, qui est un peu à part puisqu’il certifie les productions agricoles répondant aux règles de la biodynamie. Le plus répandu des trois est le label européen.

Plus de 26.500 producteurs et presque 12.600 transformateurs, distributeurs et importateurs affichent sur leurs produits la feuille étoilée, souvent assortie du sigle AB (mais dont l’inscription n’est plus obligatoire). Il est géré par le ministère de l’Agriculture, à travers l’Agence Bio et l’Inoa, l’Institut national de l’origine et de la qualité.

Si c’est le principal, ce n’est pas le plus ancien. La mention Nature & Progrès est née en 1972, treize ans avant AB. Elle est portée par une association qui regroupe des producteurs et des consommateurs militant pour un « modèle agricole alternatif à l’agro-industrie, à même de préserver la fertilité naturelle des sols, d’assurer l’autonomie des paysans et une alimentation saine à portée de tous ».

Quant au petit dernier, Bio Cohérence, il a vu le jour en 2009, en réaction à la nouvelle réglementation du label européen qui diminuait les exigences de l’agriculture biologique, par exemple en faisant passer le taux d’OGM autorisé de 0,1 à 0,9 %. Il dépend de l’association du même nom, constituée d’associations et syndicats tels que la Fnab, la Fédération nationale d’agriculture biologique, le réseau des magasins Biocoop, etc.

Sont-ils tous aussi bio ?

Aujourd’hui, c’est un règlement européen qui définit le cahier des charges et les critères de l’agriculture biologique, laquelle consiste avant tout à ne pas utiliser de produits chimiques de synthèse. C’est la définition officielle de la « bio », et toute marchandise non certifiée par le label européen ne peut donc pas être vendue en tant que production biologique.

Mais pour les autres organismes, c’est insuffisant. « La définition officielle se limite à une dimension technique qui ne questionne ni l’industrialisation de la bio, ni ses répercussions sociales et écologiques », dénonce ainsi Nature & Progrès en préambule de sa charte.

Sur la même longueur d’ondes, Bio Cohérence milite pour « une agriculture biologique plus cohérente, dans un souci de pérennité des structures et de cohérence agronomique ». Cependant, Bio Cohérence reconnaît tous les critères de l’Agence Bio et ne labellise que des produits déjà estampillés AB, tandis que Nature & Progrès ne le demande pas à ses producteurs ou distributeurs (environ 40 % des mentions Nature & Progrès n’ont pas le label AB).

Outre des exigences écologiques supérieures à celles du règlement européen, Bio Cohérence et Nature & Progrès ont la particularité de prendre en compte les aspects sociaux : ils plaident pour une juste rémunération et un droit du travail respecté. Ils interdisent par exemple la vente en supermarchés, pour ne pas faire le jeu de l’industrialisation de l’agriculture biologique.

Quelles sont les principales différences de cahiers des charges ?

Quasiment tous les critères du label AB figurent aussi dans les cahiers des charges de Bio Cohérence et Nature & Progrès. Mais eux vont plus loin sur de nombreuses normes, notamment en ce qui concerne les OGM puisqu’ils limitent le taux à 0,1 % en cas d’intrusion accidentelle.

Ils interdisent également la mixité bio et non bio sur une même exploitation, ce que permet le label AB à condition qu’il s’agisse d’espèces ou de variétés différentes, ainsi que l’utilisation de farines de sang comme amendements pour la terre.

Nature & Progrès interdit aussi, entre autres, l’huile de palme, même bio, car ils estiment qu’elle n’est pas produite dans des conditions sociales et écologiques satisfaisantes. L’association encourage également l’utilisation de semences non inscrites au catalogue officiel, pour promouvoir l’autonomie des paysans face à l’industrie semencière.

Qui attribue les labels ?

Là encore, les labels présentent des divergences. AB et Bio Cohérence reposent sur le système de la certification par un tiers indépendant, le seul mode reconnu par le règlement européen. En France, il existe aujourd’hui huit organismes certificateurs pour l’agriculture biologique : Ecocert, Qualité France, Agrocert, Certipaq Bio, Certisud, Certis, Qualisud et Bureau Alpes Contrôle. Ce sont eux qui délivrent les labels après avoir vérifié que la production, la transformation ou la commercialisation répond bien au cahier des charges de l’agriculture biologique.

Ils sont rémunérés par le demandeur du label, à qui ils doivent rendre visite au minimum une fois par an. Ce contrôle annuel se fait sur rendez-vous, et porte essentiellement sur une vérification des documents administratifs : factures des semences, des aliments, des engrais, des produits phytosanitaires, etc. Si le contrôleur a un doute, il peut parfois procéder à un contrôle inopiné, voire effectuer des prélèvements pour analyse. Mais ces derniers, coûteux, sont assez rares.

De son côté, Nature & Progrès a opté pour un « Système participatif de garantie » (SPG) qui implique les producteurs et les consommateurs dans la labellisation. Cette pratique, qui existe dans d’autres pays et est reconnue par certains organismes internationaux (IFOAM, FAO) ne l’est pourtant pas à l’échelle européenne.

Chaque année, au moins deux adhérents de Nature & Progrès (un consommateur et un producteur) rendent visite aux agriculteurs du réseau. Ils contrôlent que le travail est fait selon la charte de l’association mais surtout, ils échangent sur les pratiques de production et les conditions de travail afin de faire progresser tous les membres de l’association.

Qui contrôle les certificateurs ?

Les huit organismes certificateurs sont accrédités par le Cofrac, le Comité français d’accréditation, et agréés par l’Inao. S’il se veut indépendant, le Cofrac est pourtant sujet aux conflits d’intérêts puisque William Vidal, président d’Ecocert (qui détient 70 % du marché de la certification bio), siège au Conseil d’administration du Cofrac.

Donnent-ils tous le droit aux aides de l’agriculture bio ?

Seul le label AB étant reconnu par l’Europe, les autres ne donnent pas droit aux aides de la PAC pour la conversion et le maintien en agriculture biologique, ni au crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique (d’un montant de 2.500 € en 2014).

Quel est l’intérêt pour un professionnel d’adhérer à un autre label que AB ?

Bien qu’ils ne donnent pas droit à des aides, ni même à la mention « biologique » sur leurs produits, des labels comme Demeter ou Nature & Progrès intéressent les agriculteurs et les transformateurs (530 pour le premier et 840 pour le second).

Geoffroy Raout, coordinateur interne chez Nature & Progrès, explique cet engouement par le fait que « c’est l’envie d’afficher une marque de garantie et de s’identifier à un courant commercial qui correspondent vraiment à leurs pratiques ». Bio Cohérence compte aujourd’hui 300 producteurs adhérents.

Combien ça coûte ?

S’il est un secteur où le principe du pollueur-payeur n’est pas mis en place, c’est bien l’agriculture. L’usage de produits chimiques n’est pas taxé et la labellisation bio est payante. Le contrôle annuel réalisé par Ecocert, principal organisme certificateur en bio, pour obtenir le label AB coûte entre 350 et 850 € en fonction de la surface et du type de produit. Certaines régions remboursent tout ou en partie la certification pour ce label, mais le prix peut être dissuasif pour les petits agriculteurs.

Pour adhérer à Bio Cohérence, il faut ajouter 120 € en plus de la certification AB et 0,1 % du chiffre d’affaires dès la deuxième année. Refusant « la logique marchande » et basée sur le volontariat, la labellisation Nature & Progrès est un peu moins chère. L’adhésion inclut l’enquête annuelle et tourne autour de 285 €, une somme qui peut être revue à la baisse dans les régions où l’association est bien implantée et dispose de nombreux bénévoles pour se rendre chez les producteurs. à compter de la seconde année, les labellisés s’engagent également à verser 0,3% de leur chiffre d’affaires à l’association.


STÉPHANIE A TROQUÉ SON LABEL AB POUR NATURE ET PROGRÈS

Stéphanie est éleveuse de poules pondeuses en Bourgogne. Elle fait des œufs bio, qui étaient jusqu’à récemment labellisés AB. Pour cela, elle achetait des poulettes non bio et les convertissait pendant dix semaines avec de l’aliment bio.

Mais depuis janvier 2014, la conversion d’une poulette non bio est interdite. Pour conserver son label AB, Stéphanie aurait dû immédiatement faire abattre ses 600 poules et acheter des poulettes bio ou des poussins de 1 jour (les poussins bio n’existent pas en France. Pour obtenir des poules bio, il faut acheter des poussins conventionnels et les nourrir en bio dès leur deuxième jour).

« Mais les poulettes bio disponibles ne sont pas adaptées à ici et élever des poussins, ce n’est pas le même métier et ça demande du temps », explique-t-elle.

Face à la menace de la fermeture de son activité, l’agricultrice a renoncé à son label AB et s’est tournée vers Nature & Progrès. « Eux prennent en compte l’aspect humain et financier, ils ont une démarche plus humaine, ne se contentent pas de cocher les cases d’un cahier des charges ».

En dialoguant avec eux, Stéphanie a choisi d’adhérer au réseau, qui lui laisse six mois pour se mettre à l’élevage de poussins de 1 jour. Pour entrer dans le label, elle devra aussi nourrir ses poules avec des aliments provenant au moins à 50 % de son exploitation car Nature & Progrès est très attaché au « lien au sol ».

Ses 20 ha de céréales ne seront donc plus vendues à une coopérative mais utilisées directement pour son élevage. « Ce n’est pas un mal car ça devrait faire baisser les charges », se réjouit-elle.

Elle réalisera aussi des économies sur la labellisation : alors qu’elle payait 600 € annuels à Qualité France pour être certifiée AB, elle s’acquittera désormais de 180 €. Le seul inconvénient de ce changement, c’est qu’elle ne pourra plus inscrire « œufs bio » sur ses boîtes ni apposer le tampon 0 sur ses œufs, synonyme de bio.

Ils seront désormais notés 1, qui correspond aux œufs de poules élevées en plein air et ses boîtes porteront la mention alambiquée : « Poules élevées en plein air, nourries avec de l’alimentation issue de l’agriculture biologique ».

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