Scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen

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Le scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen, couramment appelé dans les médias « Qatargate », est une affaire de corruption au Parlement européen qui a éclaté en .

Certains membres du Parlement européen auraient perçu de l'argent en échange de la défense des intérêts du Qatar. Les polices belge et italienne sont impliquées et 1,5 million d'euros en liquide sont saisis, notamment au domicile bruxellois d'une vice-présidente du Parlement européen, la Grecque Éva Kaïlí, ce qui donna lieu à son incarcération. L'enquête débouche aussi sur un Marocgate, le Maroc étant suspecté d'avoir corrompu des élus du Parlement européen, en échange d'une complaisance dans l'irrespect des droits de l'homme au Maroc ou du soutien aux thèses expansionnistes marocaines concernant le territoire colonisé du Sahara occidental.

Chronologie

En , Éva Kaïlí se rend au Qatar pour s'entretenir avec le ministre du Travail Ali bin Samikh Al Marri. De retour au Parlement européen, lors d'une prise de parole à la tribune le , elle a salué les réformes du Qatar : « Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail[1] ».

Le , dans le cadre d'une vaste enquête par le parquet belge, la police belge arrête six personnes et réalise seize perquisitions. Le père d'Éva Kaïlí est arrêté dans la journée en possession d'un sac rempli d'argent ; le domicile de sa fille est ensuite perquisitionné et les enquêteurs y trouvent pas moins de 150.000 euros cash et des objets de valeur offerts par le Qatar[2]. Puis elle est interpellée à son domicile. Elle ne peut pas bénéficier de son immunité parlementaire, car l'infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit » en raison des « sacs de billets » retrouvés à son domicile[3].

Le , Éva Kaïlí est destituée de son titre de vice-présidente du Parlement européen. À la suite des interrogatoires menés par Michel Claise (qui participe au GRECO[4]), trois personnes sont écrouées : Éva Kaïlí, eurodéputée social-démocrate grecque, Francesco Giorgio, son compagnon et assistant parlementaire, Antonio Panzeri, ex-eurodéputé italien[5].

Le , la femme et la fille d'Antonio Panzeri sont arrêtées en Italie[6],[7]. Pier Antonio Panzeri apparaît comme la personne au centre du scandale. Pour Libération, celui-ci présentait un profil idéal : « ancien leader syndical formé dans les rangs du Parti communiste italien, eurodéputé de gauche pour trois mandats consécutifs et militant des droits de l'homme : le Qatar pouvait difficilement trouver un candidat avec une meilleure couverture pour tenter d'infiltrer, ou tout du moins d'influencer, les institutions européennes »[8].

Le , le ministre de la Justice grec affirme que « La Grèce allait aider les autorités belges » ; l'autorité de lutte contre le blanchiment gèle les avoirs d'Éva Kaïlí[9].

Le , Jack Parrock, le correspondant de presse en chef de l'Union européenne, confirme les enquêtes officielles dans lesquelles l'implication des Émirats arabes unis a été prouvée. De plus, le lobby émirati en Europe a été actif lors des derniers mois afin de comploter contre le Qatar et de blanchir l'image d'Abou Dhabi. Il a réussi à séduire de nombreux parlementaires européens par le biais de cadeaux en espèces et en biens immobiliers[10].

Le , l’implication du Maroc dans le scandale est confirmée[11]. Les eurodéputés votent « la suspension des titres d'accès des représentants d'intérêts qatariens » le temps des enquêtes judiciaires, la mesure doit encore être validée par la présidente du Parlement, Roberta Metsola[12]. Le Parquet européen demande au Parlement européen de lever l'immunité diplomatique d'Éva Kaïlí et de sa collègue grecque Maria Spyraki ; le Parquet européen a déclaré que la demande était fondée sur un rapport d'enquête reçu de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) concernant « un soupçon de fraude portant atteinte au budget de l'UE, en relation avec la gestion de l'indemnité parlementaire », en particulier par rapport aux sommes versées à des assistants parlementaires[13].

Le , le Qatar dénonce des mesures qui auraient des « impacts négatifs » sur la coopération et les exportations qataris de gaz en direction de l'UE qui se trouvent dans une situation délicate à cause du boycott de son principal fournisseur de gaz (la Russie) en conséquence de la guerre russo-ukrainienne[14],[15].

Antonio Panzeri aurait reconnu partiellement son implication dans cette affaire, mais dénonce l'eurodéputé belge Marc Tarabella « comme bénéficiaire des cadeaux venant du Qatar ». Ce dernier nie toute influence et tout cadeau reçu venant de cet État[16]. Pour la durée de l'enquête, le Parti socialiste belge suspend Marc Tarabella de sa qualité de membre du PS[17]. L'eurodéputé belge est également suspendu du groupe des S&D du Parlement européen[18].

La conduite d'une partie des députés européens à l'égard du Qatar avait déjà prêté à interrogation. La résolution Manon Aubry, coprésidente du Groupe de la Gauche au Parlement européen (GUE/NGL), condamnant l'exploitation des travailleurs migrants au Qatar a mis plus d'un an avant d'être adoptée face à l'opposition des groupes S&D et PPE[19].

Début janvier 2023, le Parlement européen lance une procédure de levée d'immunité concernant Andrea Cozzolino et Marc Tarabella, du groupe S&D[20].

Le 17 janvier, Antonio Panzeri accepte de collaborer avec la justice belge. Son avocat avance que son client a « reconnu avoir été l'un des dirigeants d'une organisation criminelle (...) en lien avec le Qatar et le Maroc »[21].

En décembre 2023, des centaines de documents issus de l’enquête policière sont consultés par Politico. Ils détaillent le lobbying actif du Qatar, mais aussi du Maroc et de la Mauritanie, pour tenter d’influencer certaines prises de décision à Strasbourg[22]. Les dossiers suggèrent que des suspects clés, parmi lesquels l'ancien député européen Pier Antonio Panzeri et son assistant Francesco Giorgi, ont méticuleusement enregistré des tentatives présumées de manipulation du Parlement. Leurs payeurs présumés au Qatar, au Maroc et en Mauritanie ont dépensé environ 4 millions d'euros pour ces travaux, selon les informations contenues dans les dossiers. Parmi les actions enregistrées dans ces documents, certaines ont eu un impact significatif sur le fonctionnement de l'Union européenne, comme la tentative de faire échouer six résolutions parlementaires condamnant le bilan du Qatar en matière de droits de l'homme et la collaboration pour parvenir à un accord de voyage sans visa entre Doha et l'Union européenne[23].

Dans les documents dévoilés, l'équipe s'est également vantée d'avoir obtenu un « texte plus modéré » sur une résolution critiquant le Maroc pour sa gestion d'une crise migratoire en 2021. La résolution a blâmé le Maroc pour avoir assoupli les contrôles aux frontières et autorisé 8 000 migrants, dont des enfants non accompagnés, à traverser le territoire espagnol pendant ce différend avec le gouvernement de Madrid[23].

Implication du Maroc

Peu après les premières arrestations, l’implication du Maroc dans le scandale est confirmée[11]. Fin décembre 2022, la presse révèle qu'un document d'enquête montrerait l'implication, à un haut niveau, de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), les services de renseignement marocain, dans l'affaire. Selon un rapport mentionné par Der Spiegel, la DGED a eu des contacts dès 2019 avec l'ancien député italien Pier Antonio Panzeri, son assistant Francesco Giorgi et un autre député italien, Andrea Cozzolino. L'objectif était d'influencer le groupe socialiste au Parlement européen. Le magazine allemand d'investigation soutient que les trois Italiens étaient également en contact direct avec le directeur général des services secrets de la DGED[24],[25].

Réactions

Selon l'organisation Transparency International, « Depuis plusieurs décennies, le Parlement européen a laissé se développer une culture de l'impunité […] et une absence totale de contrôle éthique indépendant »[26]. La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola promet une « enquête interne pour examiner tous les faits liés au Parlement » européen[27].

En , après ces accusations de corruption, le Qatar menace l'Union européenne d’un « effet négatif » sur « la sécurité énergétique mondiale ». Pour le journal Le Monde, « c’est une menace à peine voilée »[28].

Selon Georges Malbrunot et Christian Chesnot, journalistes qui chroniquent depuis une dizaine d'années les manœuvres du Qatar pour influencer l'opinion publique, celui-ci serait loin d'être le seul pays du Golfe à pratiquer ce type de lobbying[29],[30]. Ces pays se contentent cependant habituellement d'offrir des cadeaux en nature (par exemple des montres de luxe) aux députés, chercheurs et journalistes qui en échange relayent leurs opinions et les défendent lorsqu'ils sont attaqués, ou publient des tribunes dans des grands journaux[29],[30].

Notes et références

  1. « Corruption: Sanctions pour Eva Kaili, la vice-présidente du Parlement européen », Le Matin,‎ (ISSN 1018-3736, lire en ligne, consulté le )
  2. Louis Colart Joël Matriche, Kristof Clérix, « Cash, flagrant délit et perquisitions sensibles : le récit de trois jours d’une enquête anticorruption inouïe », sur Le Soir, (consulté le ).
  3. « Corruption présumée au Parlement européen : 4 personnes inculpées et écrouées, dont la vice-présidente Eva Kaili », sur LEFIGARO, (consulté le ).
  4. « Européen de la semaine - Michel Claise, le juge belge au cœur du «Qatargate» », sur RFI, (consulté le ).
  5. Condé Nast, « Scandale au cœur du Parlement européen : la vice-présidente écrouée pour corruption », sur Vanity Fair, (consulté le ).
  6. « Corruption. Parlement européen : une “Italian connection” au cœur du Qatargate ? », sur Courrier international, (consulté le ).
  7. « « Qatargate » : Pier Antonio Panzeri, de la gauche milanaise au lobbying européen », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. Eric Jozsef, Scandale à Bruxelles : au Parlement européen, la toile italienne tissée par le Qatar, liberation.fr, 13 décembre 2022
  9. « Opération anticorruption – Le parquet financier grec ouvre une enquête sur Eva Kaili », sur Tribune de Genève (consulté le ).
  10. (en) « Revealed: UAE involved in the so-called Qatar corruption scandal in the EU »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Emirates Leaks (consulté le ).
  11. a et b « « Qatargate » : l’enquête fait apparaître l’implication du Maroc », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Le Point magazine, « Qatargate : les députés demandent à suspendre l’accès du Qatar au Parlement », sur Le Point, (consulté le ).
  13. (en) Lili Bayer et Suzanne Lynch, « EU prosecutor targets two MEPs, possibly widening scandal », sur Politico Europe, 15 décembrer 2022 (consulté le ).
  14. Pierre Lann, « "Qatargate" : Doha menace de couper le gaz à des Européens encore trop dépendants », sur marianne.net, 2022-12-19utc19:00:00+0100 (consulté le ).
  15. « Le Qatar met en garde l'Union européenne contre d'éventuelles sanctions le ciblant », sur rts.ch, (consulté le ).
  16. « Qatargate : des aveux partiels d'Eva Kaili dévoilés », sur lefigaro.fr (consulté le ).
  17. « Soupçons de corruption : Marc Tarabella suspendu "de sa qualité de membre du PS", le temps de la procédure », sur rtl.be, (consulté le ).
  18. Catherine Duchateau et Guillaume Barkhuysen, « Marc Tarabella suspendu par le PS : ce que signifie cette décision », sur lavenir.net (consulté le ).
  19. « « Qatargate » : les socialistes européens dans la tourmente », sur L'Humanité, .
  20. « Qatargate : le Parlement européen lance une procédure de levée d'immunité de deux élus », sur lefigaro.fr, .
  21. Qatargate : Coup de théâtre, un suspect clé va collaborer avec la justice, actu17.fr, 17 janvier 2023
  22. Valérie de Graffenried, Qatargate: de nouvelles révélations montrent l’étendue du schéma de corruption au Parlement européen, letemps.ch, 5 décembre 2023
  23. a et b (en) ELISA BRAUN, GIAN VOLPICELLI et EDDY WAX, The Qatargate Files: Hundreds of leaked documents reveal scale of EU corruption scandal, politico.eu, 4 décembre 2023
  24. « Le Maroc aurait joué un plus grand rôle dans le Qatargate », sur lecho.be, .
  25. (de) « EU-Korruptionsskandal – Marokkos Rolle wohl größer als gedacht », sur derstandard.at, .
  26. Corruption au Parlement européen et lien avec le Qatar : ce que l’on sait, huffingtonpost.fr, 11 décembre 2022
  27. Soupçons de corruption : le Parlement européen perquisitionné ce lundi, lefigaro.fr, 12 décembre 2022
  28. Philippe Jacqué, Le Monde/international/article/2022/12/19/doha-previent-l-union-europeenne-de-l-effet-negatif-de-sa-reponse-au-qatargate_6154989_3210.html Le Qatar menace l’UE d’un « effet négatif » sur « la sécurité énergétique mondiale » après des accusations de corruption, Le Monde, 19 décembre 2022
  29. a et b Julien Balboni, « Scandale de corruption au Parlement européen: "Ce qui est nouveau, c'est qu'ils sont pris la main dans le sac" », sur L'Écho, .
  30. a et b Christophe Lamfalussy, « De la Rolex au sac rempli d’argent, le Qatar n’hésite pas sur la dépense pour étendre son influence », sur La Libre.be (consulté le ) : « Cherchant à étendre son réseau, l’émirat a développé ce qu’on a appelé la diplomatie du Rolex. “Un ministre étranger en visite dans l’émirat reçoit généralement une montre Patek Philippe (de 80 000 euros environ). Aux visiteurs classés au-dessous leur reviendrait une montre Audemars Piguet (60 000 euros environ). Puis aux parlementaires une Omega ou une Rolex, ensuite une Cartier, et enfin en bout de chaîne, des stylos” ».