Des Américains annoncent un procédé miracle pour transformer les déchets en pétrole
Une technologie capable de transformer en essence à peu près tous les déchets à base de carbone ! La société américaine Changing World Technologies (CWT) annonce pour fin du mois de mai prochain le lancement d’une usine de retraitement utilisant une technique annoncée comme "révolutionnaire" : la dépolymérisation thermique.
Pneus, lisier, emballages plastiques, boues d’épuration, déchets médicaux, carcasses animales, vieux ordinateurs et même armes biologiques : CWT affirme être capable de transformer tous ces résidus de l’activité humaine en pétrole. Une innovation qui, si elle s’avère concluante, pourrait être capable de bouleverser toute la politique de protection de l’environnement, voire de concurrencer l’extraction de pétrole. Les spécialistes sont intrigués.
Boyaux de dinde
CWT teste depuis 1999 son procédé de dépolymérisation dans une petite usine pilote près de Philadelphie. Elle annonce maintenant la mise en route de sa première usine commerciale : une structure de 20 millions de dollars qui traitera les carcasses de dinde des usines Butterball Turkeys du groupe ConAgra Foods, à Carthage, dans le Missouri.
L’idée de CWT consiste à imiter la manière dont la Terre produit lentement des hydrocarbures à partir de matière organique, selon un principe bien plus rapide. L’usine prend les déchets et les fait passer dans une série de cuves à pressions et températures différentes (250 à 500°c), pour briser les longues chaînes de carbone en petits morceaux, qui sont recomposés à la sortie. Le tout en deux heures, pour l’usine pilote.
Selon CWT, l’usine du Missouri transformera chaque jour 200 tonnes de carcasses de dinde en une série sous-produits : 20 tonnes de gaz, 80 000 litres d’eau assez pure (rejetée dans la nature) et 600 barils de pétrole (95 000 litres), d’une qualité proche du fioul utilisé pour le chauffage. Une alternative à la transformation des déchets alimentaires en farines animales.
Un procédé connu depuis les années 80
Pour les dirigeants de CWT, cette technologie a toutes les vertus, et pourrait régler "certains des plus grands problèmes de l’humanité", comme la pollution et la gestion des déchets, notamment les déchets toxiques, puisque le procédé est censé les rendre inoffensifs.
Ses inventeurs n’hésitent pas à aller plus loin et espèrent se lancer dans "la production et de distribution de pétrole" pour concurrencer l’industrie d’extraction. Avec le procédé tel qu’il est décrit par CWT, transformer la totalité des déchets agricoles des Etats-Unis permettrait de produire l’équivalent de 4 milliards de barils de pétrole par an, soit plus de 95 % des importations américaines en 2001.
Le procédé de base, découvert dans les années 80, est connu, mais les expériences menées jusqu’ici consommaient trop d’énergie par rapport à ce qu’elles permettaient de produire.
Conversion énergétique record
La nouveauté : CWT affirme gérer l’eau différemment, en s’en servant dans son procédé au lieu de consommer de l’énergie pour chercher à s’en débarrasser, comme c’était le cas par le passé.
La société annonce un taux de conversion de l’énergie de 85 %, seuls 15 % étant consommés au cours la transformation.
Robert C. Brown, un expert indépendant, professeur de sciences thermiques et d’ingénierie chimique de l’université de l’Iowa, reste prudent : "La technologie de CWT est difficile à juger car elle n’a jamais été publiée dans la littérature scientifique."
Egalement directeur du Center for Sustainable Environmental Technologies, Robert C. Brown regrette le secret industriel entourant la technologie de CWT mais souligne que ses interrogations sont surtout d’ordre économique : "A mon avis, CWT considère, dans son schéma, que les déchets sont des coûts négatifs, des denrées qu’on paye pour voir disparaître. Ce qui n’est pas forcément évident."
15 dollars le baril
Ted Aulich, chercheur à l’Energy and Environmental Research Center de l’université du Dakota du Nord, souligne aussi que les prix au baril annoncés par CWT ne prennent pas en compte l’investissement pour la construction de l’usine.
"De plus, il est très coûteux de concevoir un système capable d’ingérer des types de déchets si disparates en composition, en texture et en volume", souligne Ted Aulich, qui prévoit que le système de CWT devra être adapté pour traiter autre chose que de la dinde. Le chercheur se souvient avoir mené des recherches de dépolymérisation financées par les syndicats américains du plastique et du pétrole, sans succès économique.
CWT annonce que le pétrole produit par son usine du Missouri revient à 15 dollars le baril, environ, le prix d’un produit équivalent sur le marché traditionnel se situant entre 5 et 13 dollars. CWT compte pouvoir abaisser son prix à 10 puis 5 dollars, sur plusieurs années, si le nombre d’usines et le volume traité augmentent.
Traitement de déchets multiples en 2005
Malgré leurs réserves, Brown et Aulich se montrent enthousiastes, en espérant que CWT dise vrai. Tous deux jugent l’équipe de direction de CWT apte à mener ce genre d’entreprise. Dans le projet, on trouve des anciens de l’industrie du papier, de l’agro-alimentaire, des financiers, un ancien de la Défense américaine, le fils du milliardaire Warren Buffet et même l’ancien directeur de la CIA, James Woolsey.
Pour les deux spécialistes, le soutien d’organismes officiels est aussi un signe positif : l’Environmental Protection Agency américaine a débloqué 5 des 20 millions de dollars pour la construction de l’usine du Missouri. Et CWT bénéficie d’un partenariat avec le Gas Technology Institute, une structure de recherche industrielle privée.
Malgré l’incrédulité que sa technologie suscite, CWT confirme l’ouverture de son usine du Missouri "pour la fin mai". Interrogée par Transfert sur les raisons du retard du lancement, initialement annoncé pour l’automne 2002, CWT n’a pas souhaité répondre.
CWT annonce déjà la construction de plusieurs autres usines pilotes de même type au Nevada, en Alabama, dans le Colorado et en Italie. D’ici à 2005, la société compte avoir développé ses premiers centres de dépolymérisation capables de traiter des types de déchets multiples. On verra alors si sa technologie tient réellement ses promesses.