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Décryptage

La cuve du réacteur nucléaire de l'EPR souffre d'un défaut de fabrication

Selon l'Autorité de sûreté nucléaire, l’acier du fond mais aussi du couvercle de la cuve dans laquelle doit être installé le combustible nucléaire de l'EPR d'Areva ne serait pas assez résistant aux chocs.
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EPR
Le chantier de l'EPR de Flamanville, dans la Manche, en 2014.
© CHARLY TRIBALLEAU / AFP

PROBLÈME. Nouveau coup dur pour l’EPR en construction à Flamanville (Manche), le réacteur dont la compagnie Areva n’a cessé d’affirmer qu’il "offre le niveau de sûreté le plus avancé, capable de faire face aux événements les plus improbables". Autrement dit, un tremblement de terre comme celui qui eut lieu le 11 mars 2011 à Fukushima, suivi d’un tsunami, ou bien une montée en température excessive due à une perte de refroidissement du combustible nucléaire pour telle ou telle raison etc. Et c’est le cœur même, pourrait-on dire, de la centrale qui est touché ! L’acier du fond mais aussi du couvercle de la cuve dans laquelle doit être installé le combustible nucléaire ne serait pas assez résistant aux chocs.

Des inhomogénéités dans l'acier sont en cause

C’est ce qu’a annoncé l’Autorité de sûreté nucléaire française ASN après qu’Areva a mené des tests – notamment de résistance aux chocs. En cause, des inhomogénéités dans l’acier, en particulier des zones où le carbone est en concentration trop élevée (rappelons que l’acier est un alliage métallique de fer et de carbone). "L'acier de la cuve et en particulier du fond et de la calotte a été forgée à Chalon", a rappelé à Sciences et Avenir Monique Sené, présidente du Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN) et membre du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire. L’usine de Chalon/Saint-Marcel constituant, rappelons-le, le plus grand site industriel du groupe Areva, qui fournit les équipements lourds des centrales nucléaires. Mais "ils n'ont pas appliqué la 'très vieille' règle qui consiste, quand on coule un lingot, à en éliminer la tête et le pied" a-t-elle expliqué. "En effet, il s'y rassemble les impuretés et la composition est alors différente de la partie centrale, d'où ce problème de carbone". Autrement dit, les pièces, rendues inhomogènes, présentent alors des zones plus fragiles que les autres. "La tache serait d'environ 1 à 1,2 m sur les 4,8". Ce qui fait beaucoup ! [NB : La cuve de l’EPR est un équipement gigantesque de 510 tonnes, d’un diamètre atteignant presque 5 mètres, et d’une épaisseur pouvant dépasser 20 cm]

En clair, ce qui est redouté, c’est que pendant le fonctionnement même du réacteur, l’acier de cette cuve, en permanence soumis à de très fortes irradiations - ce qui peut le fragiliser, mais aussi à des chocs thermiques (notamment avec l’injection d’eau froide sous pression dans ce que l’on appelle le circuit primaire du réacteur, précisément destiné à refroidir le combustible nucléaire et emporter la chaleur vers le circuit d’eau dit secondaire) ne se développent des fissures, à partir des zones plus fragiles.

Des fissures par lesquelles s’échapperait de la radioactivité, alors même que la cuve doit constituer la deuxième barrière principale contre ces rayonnements dangereux (1). Pire, à cause de la pression (150 bars), ne pourrait-on assister à une déstabilisation de l’ensemble de la cuve, si une fissure venait à grandir et qu’une fuite ne provoque une dépressurisation ? Ce qui pourrait entraîner la cassure (au niveau du couvercle) de certaines tuyauteries, voire la déformation de certaines grilles de guidage des crayons de combustible, ou affecter les dispositifs électro-mécaniques qui contrôlent les barres de contrôle (insérées dans le combustible, elles permettent de contrôler et de stopper les réactions nucléaires)…

Comment expliquer l’évolution d’un défaut vers une fissure ?

C’est loin d’être la première fois que ce genre de problèmes dû à l’acier se pose. Mais il avait été jusqu’à présent détecté après fonctionnement même du réacteur. On se souvient ainsi de la première alerte sur ce problème potentiellement majeur, alerte qui avait fait grand bruit, après examen sur la centrale de Fessenheim (2). En 1986, sur un premier réacteur démarré en 1977, un défaut métallurgique de quelques millimètres avait été découvert sur une tuyauterie importante du circuit secondaire. Or, cinq ans plus tard, ce simple "défaut" s’était transformé en une fissure longue de 11 centimètres et profonde de 3. Preuve que l’évolution du "problème" dans le matériau avait eu lieu très rapidement. Bien plus rapidement qu’aucun ingénieur ne voulait alors l’imaginer. C’est cette rapidité qui avait frappé les esprits et conduit à se poser toutes sortes de questions. À partir de quand faut-il s’inquiéter d’un défaut, et le classer comme dangereux ? Comment expliquer l’évolution d’un défaut vers une fissure ? À partir de quand faut-il redouter que la sûreté tout entière de la centrale soit mise en jeu ?

"GENDARME". Cette affaire avait conduit à une série de mesures et d’analyses du BCCN (bureau de contrôle des chaudières nucléaires) et un rapport d’environ 500 pages du gendarme nucléaire de l’époque (direction de la sûreté des installations nucléaires). On comprend que le "gendarme" actuel du nucléaire français (ASN) fasse de même et exige que toutes les précautions soient prises avant même que la cuve n’assure sa fonction majeure de barrière de sûreté, avec l’entrée en fonctionnement de la centrale. Un programme d’essais doit être entrepris par Areva auquel l’ASN doit donner son agrément en vérifiant en particulier qu’il sera assez approfondi. Pour ce faire, l’agence fera appel, annonce-t-elle, à son appui technique, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ainsi qu’au Groupe permanent d’experts dédié aux équipements sous pression nucléaires.

Mais le GSIEN, pour qui « cet événement est d’une extrême gravité » tient ici à interpeller les responsables : "Les procédures de contrôle ont-elles été respectées ? Et peut-on laisser AREVA et EDF réaliser seules les études complémentaires sur la résilience de la cuve ?" Saura-t-on jamais le détail précis du problème ? Rien de moins sûr, la composition des aciers reposant sur des formules mises au point par les fabricants et généralement couvertes par le secret industriel. Par ailleurs, il reste un point crucial à élucider : des « réparations » locales seront-elles envisageables ou bien faudra-t-il remplacer toute la cuve ? Auquel cas le coût de la centrale – les derniers chiffres qui ont circulé à l’automne sont de 8,5 milliards d’euros, trois fois le coût initial prévu, exploserait. Et son démarrage serait encore une fois reculé. Décidément, après les annonces récentes des déboires financiers d’Areva et ses presque 5 milliards de déficit, le nucléaire français, pourtant promis à un renouveau avec l’EPR, a du plomb dans l’aile. Ou plutôt trop de carbone dans l’acier.

1) La première barrière est constituée par les gaines qui entourent les barres de combustible. Une troisième barrière est le béton qui entoure la cuve.

2) Lire à ce sujet le chapitre « L’affaire de la ‘clarinette’, Fessenheim 1986, pp.220-228 in « Les dossiers noirs du nucléaire français », éd. Presses de la Cité, par D. Leglu, R. et M. Sené, 2013,

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