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"Les solutions viendront de l’extérieur du système" - L'appel de la Terre: Bertrand Piccard

Bertrand Piccard, psychiatre et aéronaute suisse, dans le cockpit de « Solar Impulse 2 », juste avant un vol d’essai.
Bertrand Piccard, psychiatre et aéronaute suisse, dans le cockpit de « Solar Impulse 2 », juste avant un vol d’essai. © Jean REVILLARD/REZO/SOLAR IMPULSE/POLARIS
Interview Romain Clergeat

A un mois de la Cop 21, le 7e volet de notre série observe une planète toujours avide de nouveaux carburants. Mais pour Bertrand Piccard, les solutions sont à portée de main. 

Paris Match. Quand vous avez commencé l’aventure de “Solar Impulse”, saviez-vous si les techniques d’énergie solaire existantes vous permettraient d’atteindre votre but ?
Bertrand Piccard . Au départ, en 2003, je voulais montrer qu’on pouvait réaliser des choses incroyables avec les énergies renouvelables. Il fallait se lancer avant de savoir ce que les techologies permettraient de faire. Il faut toujours forcer les choses pour innover.

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En tant qu’ancien psychiatre, vous ne trouvez pas que l’époque a une profonde “addiction” à l’énergie fossile ?
Absolument ! C’est un produit dangereux, cher, même s’il l’est moins en ce moment. Et plus on l’utilise, plus on en est dépendant. C’est exactement la définition de l’addiction à la drogue. Utiliser les énergies propres est donc un moyen de se désintoxiquer. La baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle car, pour fabriquer un panneau solaire et transformer le sable en silicium, il faut du pétrole. Du pétrole peu cher, ce sont des panneaux solaires moins chers.

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Les mines à ciel ouvert elles gangrènent la forêt boréale de l’Alberta où elles se succèdent le long de la rivière Athabasca, près de Fort McMurray. Les déchets toxiques sont stockés dans des étangs.
Les mines à ciel ouvert elles gangrènent la forêt boréale de l’Alberta où elles se succèdent le long de la rivière Athabasca, près de Fort McMurray. Les déchets toxiques sont stockés dans des étangs. © Todd Korol/Reuters

Avec la croissance démographique et l’émergence économique de l’Inde et de la Chine, la consommation d’énergie va augmenter de 37 % d’ici à 2040. Est-ce une situation sans issue ?
Les technologies propres permettront de consommer moins. Les énergies d’aujourd’hui ont 100 ans : les ampoules électriques, les moteurs thermiques des voitures, les isolations des maisons, nos réseaux électriques… Si on les remplaçait par des technologies propres, on économiserait 50 % d’énergie. Un moteur électrique a 97 % de rendement. Seulement 27 % pour un moteur thermique. Les ampoules électriques génèrent 5 % de lumière et 95 % de perte. Avec les ampoules à Led, c’est exactement le contraire. En remplaçant les anciennes technologies par des propres, on fait des économies, on crée des emplois et on répond aux besoins des consommateurs. Un seul exemple : les maisons et immeubles mal isolés. Des travaux d’adaptation nécessiteraient de lourds investissements, bien sûr, mais les économies réalisées permettront de les amortir en un rien de temps. Le choix est simple : isoler sa maison ou produire plus pour entretenir le gaspillage. La réponse me semble évidente.

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"Le changement climatique est une opportunité totalement rentable tout de suite"

Certains pensent que le prix à payer pour s’adapter aux énergies renouvelables, c’est la décroissance : ne plus voyager, moins rouler, etc.
Surtout pas ! C’est la grande erreur des écologistes depuis cinquante ans. Il faut dépolitiser cette histoire et découpler la question des énergies et de l’environnement. Oublions un instant le CO2, la Cop21… Le changement climatique est une opportunité totalement rentable tout de suite. La “cleantech” est une révolution techologique, au même titre que la révolution industrielle puis informatique. La Cop21 doit devenir un catalogue de solutions, pas un rassemblement anxiogène avec une philosophie de la peur et de la contrainte. Par exemple, on a trouvé une enzyme permettant de nettoyer le linge à froid, alors qu’aux Etats-Unis il est lavé à 100 °C systématiquement... On pourrait ainsi économiser 4 % de l’énergie globale. C’est extraordinaire ! C’est ça que les gens ont besoin d’entendre !

Avec “Solar Impulse”, vous avez été aux premières loges pour constater l’efficacité des nouvelles technologies. Le solaire, par exemple, est-ce vraiment applicable aujourd’hui et maintenant ?
Le prix des panneaux solaires a été divisé par 40 depuis dix ans. Et ça, c’est l’oeuvre des Chinois. Ils ont fait du tort à l’industrie photovoltaïque européenne, mais ils ont sauvé l’énergie solaire. Aujourd’hui, à Dubai, produire de l’électricité par le solaire coûte moins cher que par le gaz : 6 centimes le kilowattheure au solaire, 7 centimes avec du gaz. Ça parle, non ?

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Mais la Chine ou l’Inde, qui veulent rattraper nos niveaux de vie, optent encore pour le fossile. Comment les convaincre de faire autrement ?
Si vous présentez aux Chinois les énergies renouvelables comme la solution à adopter pour arrêter de polluer, ils se braquent. En gros, vous attaquez le gouvernement. C’est mal vu. En revanche, si vous leur dites que c’est une nouvelle technologie, rentable et efficace, ils sont enthousiastes. Aujourd’hui, certes, la Chine fait dans le charbon et le pétrole, mais c’est aussi le pays qui installe le plus de solaire et d’éolien. Quand nous sommes allés, avec “Solar Impulse”, à Chongqing, nous avons vu partout des tours de 50 étages en construction. Avec 35 millions d’habitants, c’est déjà la plus grande ville du monde. C’est impressionnant ! On ne va pas arrêter le développement économique chinois. Mais si leurs maisons sont moins consommatrices d’énergie, ils en auront moins besoin et pourront se contenter à terme du renouvelable. La solution n’est pas de les pénaliser, mais qu’ils réalisent eux-mêmes que le renouvelable est moins coûteux et plus efficace. Et ils importeront naturellement moins d’énergie fossile. Le monde est régi par la finance.

"Il y a un cadre légal pour la justice, la santé, l’éducation, l’hygiène, mais pas pour le gaspillage de l’énergie"

Comment se fait-il alors, si les technologies sont si rentables, qu’on ne bascule pas plus vite vers les énergies vertes ?
La terrible force de l’habitude ! Un mélange de paresse et de peur de l’inconnu. Ce qu’on a n’est pas parfait mais on l’a et on le maîtrise. Et on s’abrite derrière. Les solutions viendront de l’extérieur du système. En Suisse, une société commence à fabriquer des petites unités de production d’hydrogène qui pourront être installées chez des particuliers. Avec 4 petits mètres carrés de panneaux solaires, on pourra fabriquer son hydrogène, le mettre dans sa voiture, alimenter une pile à combustible et être énergétiquement indépendant. La tendance va se généraliser, c’est évident. Regardez ce que veut faire Elon Musk avec ses batteries de stockage individuel.

Vous dites que si le gouvernement américain avait “forcé” General Motors à se lancer plus tôt dans l’électrique, il serait encore là. Faut-il donc que les Etats imposent ?
Absolument. Aujourd’hui, il y a un cadre légal pour la justice, la santé, l’éducation, l’hygiène, mais pas pour le gaspillage de l’énergie. Une voiture a toujours le droit de consommer 20 litres par 100 kilomètres. C’est une aberration ! Une maison peut utiliser le chauffage électrique de manière anarchique. En Suisse, deux centrales nucléaires travaillent à plein-temps pour compenser les pertes des ampoules à incandescence et des chauffages électriques comparées aux ampoules à Led et aux pompes à chaleur. C’est cette transition qui doit être impulsée par des cadres légaux. Si on dit aux industriels et aux particuliers que l’on va légiférer pour basculer des vieilles technologies sales et coûteuses vers de nouvelles, propres et rentables, ça passera très facilement. A titre individuel, je l’ai fait dans ma maison et j’ai divisé ma facture annuelle par trois !

L’éolien en mer du Nord, près des côtes allemandes.
L’éolien en mer du Nord, près des côtes allemandes. © REUTERS/Christian Charisius

Ce monde où les économies d’énergie réalisées permettront de partir en vacances en avion solaire pour aller dans des hôtels chauffés au géothermique et de circuler dans une voiture alimentée par l’électrique, il est pour quand ?
D’ici à vingt ans, on pourrait très bien fonctionner avec des énergies renouvelables et économiser la moitié de ce qu’on utilise aujourd’hui sur Terre. Mais je ne crois pas que l’on pourra voyager en avion solaire. Pour les longues distances, le pétrole sera encore indispensable. Le transport maritime, je ne le vois pas à l’électricité tout de suite non plus. Mais s’il n’y a que ça, ce n’est pas un problème. Si les voitures, les logements et les bureaux sont neutres sur le plan énergétique, ce sera gagné.

"Ce n’est pas tant le réchauffement que la vitesse à laquelle la Terre se réchauffe qui pose problème"

Actuellement, on peut dire que vous “rechargez” les batteries de “Solar Impulse” avant de reprendre votre tour du monde en 2016. Pourquoi avez-vous dû vous interrompre ?
Ce qui est arrivé est de notre faute, pas celle de la techologie. Nous avons trop isolé les batteries, craignant que, à très haute altitude, elles ne se refroidissent trop et perdent de leur capacité. Quand nous avons traversé le Pacifque, la montée s’est faite assez vite, les batteries ne se sont jamais refroidies et, du coup, elles ont surchauffé. Mais elles ont fait le job : “Solar Impulse” est le premier avion à pouvoir voler sans carburant plus longtemps qu’aucun avion à réaction : cinq jours et cinq nuits.

Et vous avez été obligé de repousser la suite de votre tour du monde pour retrouver des conditions météo adéquates ?
Exactement. Nous avons besoin des jours ensoleillés les plus longs pour recharger les batteries en vol. Et le temps de les réparer, la fenêtre météo s’est refermée. Auparavant, nous avions pris deux mois de retard à cause des conditions météo. Tous les experts dans ce domaine sont unanimes : c’est un effet du changement climatique. Ils ne peuvent plus se fier aux statistiques des années précédentes. Il y a dix ans, on savait quand arrivait la saison des pluies au Japon, la mousson en Inde, etc. Maintenant, c’est n’importe quoi ! Il pleut pendant dix jours, puis il fait beau, puis il y a trop de vent... On parle du réchauffement climatique, mais ce n’est pas tant le réchauffement que la vitesse à laquelle la Terre se réchauffe qui pose problème. La nature n’arrive plus à s’adapter. Que la mer monte, ce n’est pas forcément un drame. Même pour les îles du Pacifique. Si le corail a le temps de pousser et de former une barrière, il protège les atolls. Le problème, c’est la vitesse à laquelle la mer se réchauffe. Le corail ne suit plus. Et tout ça, alors que nous avons les alternatives à portée de main. Il ne manque qu’une ferme volonté. L’humanité est dans une baignoire qui fuit. Au lieu de boucher le trou, elle ouvre le robinet pour rajouter de l’eau ! C’est absurde. Les solutions sont là, elles sont l’avenir au présent. 

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