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Nucléaire : l’inquiétant soupçon qui pèse sur Areva

EXCLUSIF - L’audit mené après la découverte d’une « anomalie » sur la cuve de l’EPR de Flamanville a révélé des incohérences dans les dossiers de fabrication des composants nucléaires sur le site d’Areva au Creusot. Il pourrait s’agir de falsifications.

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Le site Areva du Creusot, en Saône-et-Loire, forge et usine les plus grandes pièces métallurgiques des îlots nucléaires des centrales.

Par Véronique Le Billon

Publié le 2 mai 2016 à 19:43

« Il y aura encore des lendemains difficiles, des doutes, peut-être des accrocs », est venu dire Emmanuel Macron aux salariés de l’usine Creusot Forge d’Areva en Saône-et-Loire, lundi. Dans le grand hall de l’atelier destiné à forger les composants des centrales nucléaires, sans doute le ministre de l’Economie pensait-il aux « anomalies, en cours de caractérisation, dans le suivi des fabrications » concédées vendredi par l’équipementier public en difficulté.

Suite aux défauts trouvés sur la cuve de l’EPR en construction à Flamanville, l’audit mené sur les fabrications de Creusot Forge a détecté des incohérences dans les dossiers de fabrication. Selon une source au fait du dossier, ce seraient en réalité des falsifications sur des dossiers de fabrication sur son site de Creusot Forge que pourrait devoir reconnaître Areva. « Je ne peux pas l’exclure », a indiqué Philippe Knoche, le directeur général d’Areva aux « Echos ». « On a des procès-verbaux contradictoires. Soit il y a eu des essais complémentaires qui ne sont pas tracés, et il faut qu’on ait la conviction qu’ils existent. Sinon, il faudra en tirer les conséquences », explique-t-il. « Nous avons souhaité communiquer parce que c’est inacceptable mais nous sommes encore en train de chercher. » Du côté de Bercy, on attend les résultats complets de cet audit avant de tirer des conclusions. Areva a indiqué ce mardi sur Twitter qu’ils seront disponibles « fin mai ».

Modification des résultats

Selon l’Autorité de sûreté nucléaire et Areva, environ 400 dossiers de fabrication sont concernés par des « incohérences », sur environ 10.000 dossiers de fabrication audités sur une période remontant à une cinquantaine d’années. Tous les types de composants fabriqués chez Creusot Forge, qu’ils appartiennent à l’îlot nucléaire (viroles de générateurs de vapeur, éléments de cuve…), à l’îlot conventionnel (rotors de turbine) ou à des applications non nucléaires, sont concernés. Une grosse moitié des dysfonctionnements concernerait des pièces nucléaires, indique une source.

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Selon nos informations, un opérateur réalisant des essais sur une pièce métallurgique inscrivait sur le dossier de fabrication les résultats sur l’analyse chimique de coulée, les paramètres de forgeage, l’historique de traitement thermique, les résultats des essais mécaniques, etc. Ces résultats étaient ensuite reportés dans des procès-verbaux par des coordinateurs qualité, pour attester de la conformité des pièces forgées. Or, en cas de valeur obtenue dans les limites de la norme requise, les procès-verbaux de certains dossiers de fabrication auraient été modifiés, indique une source au fait du dossier, avec un procès-verbal « officiel » retenant une valeur « moyenne » dans le rapport de fin de fabrication. Les clients – EDF et le Commissariat à l’énergie atomique, mais aussi des électriciens étrangers – ne voyaient quant à eux que le rapport de fin de fabrication, conforme aux normes requises.

Quinze jours pour évaluer l’impact

Si l’audit a permis de mettre cela au jour, c’est parce que tous les procès-verbaux ont été conservés, dans des dossiers séparés. « C’est grave, mais cela a été la pratique de la sidérurgie, pour ne pas avoir à justifier de valeurs hautes auprès des clients », indique une source. Le site, ex-Creusot Loire, sur la période incriminée, et a été repris par Areva en 2006. « Ce que l’on sait, c’est aussi qu’il y eu des mises au rebut importantes de pièces à cette époque », tempère-t-on à Bercy. Autrement dit : seules les pièces en faible écart avec les normes auraient fait l’objet de modifications.

L’Autorité de sûreté nucléaire a donné quinze jours à Areva pour évaluer l’impact de ces « anomalies » sur la sûreté des pièces fournies à ses clients. Le comité technique mis en place par Areva, avec EDF, estime pour l’instant que « l’intégrité mécanique des pièces » n’est pas mise en cause par la découverte des « anomalies ». Les pratiques auraient cessé entre 2010 et 2012, quand les coordinateurs qualité ont été rattachés à la direction qualité, et non plus à la direction technique.

Multiples répercussions possibles

Le dossier pourrait avoir de multiples répercussions pour une filière nucléaire française qui vante son expertise et sa qualité. Les clients d’Areva pourraient être amenés à lui demander des comptes. Les résultats de cet audit pourraient aussi sévèrement compliquer la restructuration d’Areva NP, la division Réacteurs d’Areva qui doit être reprise par EDF et à laquelle appartient Creusot Forge, en faisant peser une lourde hypothèque sur la valeur d’Areva NP. Du côté de la Bourse, le titre Areva perdait plus de 6 % mardi matin après ces révélations, alors que le groupe a déjà reculé de près de 18 % depuis le début de l'année.

La crédibilité de l’ASN pourrait aussi être ébranlée, car elle n’avait manifestement pas accès à l’ensemble des procès-verbaux. « La situation a changé depuis quelques années », indique une source syndicale.

60 emplois menacés sur le site Areva du Creusot

Face aux difficultés financières, Areva a prévu de supprimer environ 6.000 emplois dans le monde, dont quelque 60 sur les 270 salariés de son usine Creusot Forge. En visite sur place lundi, Emmanuel Macron a rappelé l’importance du projet d’EPR anglais à Hinkley Point pour l’emploi local : « Le projet Hinkley Point est un projet essentiel pour cette usine et je suis aussi venu redire l’attachement du gouvernement à ce projet sans lequel il y aurait sinon des centaines de licenciements sur le site du Creusot », a déclaré le ministre de l’Economie après aune rencontre avec les syndicats du site. « S’il n’y a pas Hinkley Point, on aura un trou de plusieurs années dans le plan de charge » de l’usine, a indiqué à l’AFP le coordinateur CFDT Areva, Jean-Pierre Bara.

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