Coronavirus : la chloroquine est-elle vraiment un remède miracle ?

A Marseille, le professeur Didier Raoult teste ce médicament, déjà utilisé contre le paludisme, contre le Covid-19. Il affirme que son effet est spectaculaire auprès de trois quarts des patients. Prudence, répondent d’autres médecins.

 Marseille (Bouches-du-Rhône), le 26 février. L’IHU Méditerranée Infection teste l’effet de la chloroquine, un antipaludéen, contre le Covid-19.
Marseille (Bouches-du-Rhône), le 26 février. L’IHU Méditerranée Infection teste l’effet de la chloroquine, un antipaludéen, contre le Covid-19. AFP/Gérard Julien

    C'est un médicament antipaludéen utilisé depuis plusieurs décennies et bien connu des voyageurs sous le nom de Nivaquine. Ces petits comprimés, recommandés lorsqu'on prévoit de se rendre dans une zone infestée par le paludisme, seront-ils demain le remède miracle pour guérir du Covid-19?

    C'est ce qu'affirme le professeur Didier Raoult. Directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille (Bouches-du-Rhône), il affirme que l'effet de ce médicament, connu sous le nom générique de chloroquine, est spectaculaire. Il assure que 24 patients atteints par le coronavirus ont pris du Plaquenil (l'un des noms commerciaux de la chloroquine) et que six jours plus tard, seulement 25 % d'entre eux sont encore porteurs du virus alors que 90 % de ceux qui n'ont pas reçu ce traitement sont toujours positifs.

    Dans la foulée de cette annonce, le laboratoire français Sanofi s'est d'ailleurs dit prêt à offrir aux autorités françaises des millions de doses de l'anti-paludique Plaquenil, pouvant traiter potentiellement 300 000 malades.

    Le gouvernement veut étendre les essais cliniques

    Surchargé d'appel de journalistes depuis ce mardi 17 mars, l'IHU renvoie désormais à une vidéo sur YouTube dans laquelle Didier Raoult détaille les résultats de son étude. Des résultats jugés « prometteurs » par le gouvernement. Au point que les essais cliniques de la chloroquine « seront étendus ». « Le ministère a souhaité étendre ces essais cliniques, qui seront dupliqués sur un plus grand nombre de patients, a précisé la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye à l'issue du Conseil des ministres. Ces nouveaux essais seront réalisés avec une équipe indépendante du professeur Raoult ».

    Preuve que le gouvernement reste prudent, Sibeth Ndiaye a tenu à préciser qu'à ce stade, « nous n'avons pas de preuve scientifique » que ce traitement fonctionne. Plusieurs experts sont eux aussi réservés en l'absence d'études plus poussées et en raison des effets indésirables de ce médicament, possiblement graves, notamment en cas de surdosage.

    Une étude chinoise datant de février avait déjà évoqué une efficacité de la chloroquine après un test sur plus de 100 patients. « Cela avait suscité un espoir, puis cette piste était tombée aux oubliettes avant que l'équipe de Marseille ne livre ces résultats », explique le professeur François Bricaire, ancien chef du service d'infectiologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.

    « Respectons les règles scientifiques »

    « Ce ne sont que des effets d'annonce pour l'instant, et n'en faisons surtout pas le médicament miracle, implore le professeur Jean-Daniel Lelièvre, infectiologue à l'hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). Respectons les règles scientifiques : d'autres essais sont en cours sur d'autres molécules et il est exaspérant que des scientifiques fassent de grandes déclarations sur les effets d'un médicament sans même que l'on ait vu leurs résultats ou qu'ils aient été validés par leurs pairs. »

    VIDÉO. Coronavirus : un traitement contre le paludisme pourrait suffire pour guérir

    François Bricaire estime lui aussi qu'il faut « rester prudent ». « Ces résultats ont été obtenus sur un petit nombre de patients et il serait effectivement sage d'élargir les essais à davantage de malades et d'étendre ces essais à d'autres équipes de chercheurs ».

    Quant à l'efficacité de l'antipaludéen, l'infectiologue rappelle que la chloroquine est « connue pour son action antivirale en laboratoire mais que, jusqu'à maintenant, cela n'a jamais donné de résultats sur l'homme en pratique ». « Peut-être que la chloroquine est efficace sur le Covid-19 mais on sait qu'elle ne l'est pas sur d'autres infections à coronavirus, ajoute Jean-Daniel Lelièvre. C'est pourquoi il faut vraiment rester prudent ».

    Dans le doute, François Bricaire estime néanmoins qu'il ne faut pas négliger cet axe de recherche, au même titre que les autres pistes : « Quand on n'a rien d'autre à proposer, on ne doit cracher sur rien ».