Agnès Buzyn : «Pourquoi je dérembourse l’homéopathie»

La ministre de la Santé a tranché. L’homéopathie sera totalement déremboursée au 1er janvier 2021. Agnès Buzyn explique sa décision au Parisien - Aujourd’hui en France.

    L'épais dossier bleu est posé sur sa table de travail. Il est rempli des chiffres, des schémas et des documents qui ont aidé la ministre de la Santé à mûrir sa décision : à partir du 1er janvier 2021, l'homéopathie sera totalement déremboursée (contre un remboursement à 30 % aujourd'hui). Agnès Buzyn nous explique son choix en exclusivité.

    Maintenir, ou non, le remboursement de l'homéopathie : quelle est votre décision ?

    AGNÈS BUZYN. J'ai toujours dit que je suivrais l'avis de la Haute Autorité de santé (HAS), j'ai donc décidé d'engager la procédure de déremboursement total. Il sera effectif au 1er janvier 2021. Mais pour se laisser le temps de la pédagogie et accompagner les patients, j'ai souhaité organiser une période de transition. À partir du 1er janvier 2020, nous mettons donc en place une année de remboursement intermédiaire à 15 %, contre 30 % aujourd'hui. Cela laissera aussi le temps aux industriels de s'organiser.

    Pourquoi ce choix ?

    La règle est que tout ce qui est financé par la solidarité nationale est d'abord évalué par la HAS, qui renouvelle son avis sur le service médical rendu tous les cinq à dix ans pour la grande majorité des traitements. Seuls les médicaments homéopathiques y ont échappé. En 1984, la ministre des Affaires sociales de l'époque ( NDLR : Georgina Dufoix, PS ), a décidé de son remboursement sans passer par cette procédure. C'était un choix pour développer l'industrie. Face à l'actuelle controverse dans l'opinion publique, j'ai saisi la HAS le 1er août 2018. Elle vient de rendre une évaluation indépendante et estime, après analyse de 800 études sur le bénéfice pour les patients, que ces granules ont une efficacité équivalente à un placebo. Je suis donc son avis qui recommande le déremboursement.

    Plus d'un million de Français ont exprimé leur désaccord dans une pétition. Ce sera une mesure impopulaire. Vous serez « la » ministre qui dérembourse…

    Oui, je l'assume. Car, déjà, une grande partie de ces médicaments (NDLR : dont les célèbres Oscillococcinum et Arnigel) ne sont pas remboursés. Pour les 1200 autres, consommés par environ 7 millions de Français en 2018, la somme moyenne remboursée est de 18 euros par an, soit moins de 1,5 euro par mois. L'an passé, les plus grands consommateurs n'ont reçu que 25 euros de l'Assurance maladie. Ils représentent moins de 1 % des Français. Je ne pense donc pas que cette mesure freinera le recours à l'homéopathie.

    Mais faut-il arrêter de la prescrire ?

    Je ne dis pas cela. Ma décision concerne uniquement le déremboursement. Je comprends l'attachement des Français à ce type de traitements. Mais ils n'ont ni prouvé leur intérêt en santé publique ni dans le soin des pathologies courantes. Il faudrait peut-être travailler à l'idée qu'il n'est pas toujours nécessaire de prendre un médicament.

    VIDÉO. Agnès Buzyn : «Le déremboursement sera effectif au 1er janvier 2021»

    Récemment, une sage-femme de Trappes, ville défavorisée des Yvelines, nous confiait l'utiliser tous les jours pour calmer les douleurs post-accouchement. Faute de remboursement, elle craint que ses patientes s'en privent. Que lui répondez-vous ?

    Que l'homéopathie n'est pas jugée suffisamment efficace et qu'il faudra accompagner les professionnels de santé qui en prescrivent. D'où ma décision de l'année transitoire à 15 %. Elle nous permettra de voir si d'autres moyens de prise en charge sont possibles. Je pense à plus de temps passé avec les patients ou à de la prévention. Profitons du débat sur l'homéopathie pour mener une réflexion plus globale sur le médicament. L'objectif est d'arriver à en consommer moins. Il est possible de sortir d'une consultation médicale sans prescription !

    Au départ, vous pensiez que l'homéopathie permettait d'éviter d'utiliser des médicaments « toxiques ». Vous avez donc changé d'avis ?

    Oui, car cette phrase que j'ai dite (NDLR : le 12 avril 2018 sur BFMTV) reposait sur une intuition. Depuis, les études ont parlé. Ne pas prendre d'homéopathie n'entraîne pas un report vers plus de médicaments ou d'examens. Les deux ne sont pas liés. Au contraire, les gros consommateurs d'homéopathie ont tendance à utiliser plus de soins en général.

    Finalement, qui a tranché : vous ou le président Macron ?

    Nous avons travaillé tous ensemble. Il s'agit d'une décision gouvernementale.

    Pourquoi ne pas avoir fait un compromis en déremboursant à 15 %, comme le demandait votre prédécesseur Xavier Bertrand ?

    Cela n'aurait pas de sens. Et signifierait que des médicaments dont l'efficacité clinique n'est pas prouvée pourraient quand même être remboursés. Dans ce cas-là, pourquoi ceux-là et pas d'autres ? Quand on est un homme ou une femme politique, on doit être prudent et ne pas aller contre un avis scientifique parce qu'on met alors à mal tout notre système d'évaluation du médicament. Nous devons être rigoureux pour que l'argent public, celui des Français, soit dépensé à bon escient.

    C'est donc une mesure d'économie ? 126,8 millions d'euros sont à récupérer…

    En aucun cas. Si l'homéopathie était utile, nous continuerions à la rembourser. Nous le faisons pour de nouveaux médicaments innovants, très chers, mais que nous assumons car ils sont efficaces. Globalement, le coût des soins augmente d'année en année.

    Les laboratoires, notamment Boiron, assurent que 1300 salariés sont menacés. Ne craignez-vous pas qu'ils perdent leur emploi ?

    Je suis la ministre de la Sécurité sociale, dont l'argent n'a pas vocation à soutenir des entreprises même si elles sont françaises. En revanche, tout le gouvernement est très mobilisé sur les questions d'emploi. Je ne crois pas pour autant que l'économie des trois laboratoires sera déstabilisée car les Français continueront à utiliser l'homéopathie. Sans compter que des marchés à l'international, notamment en Asie, sont en pleine expansion.

    Déremboursés, les prix des tubes risquent d'augmenter. Quel message adressez-vous aux laboratoires ?

    Certes, leur TVA va augmenter de 2,1 % à 10 %. S'ils souhaitent conserver leur marché, ils auront tout intérêt à garder des prix abordables.

    La faculté de médecine de Lille a déjà suspendu son diplôme d'homéopathie. Faut-il arrêter de l'enseigner ?

    Ce sont aux doyens des universités de trancher. Ce qui est sûr, c'est que nous avons le nombre de médecins homéopathes le plus important au monde : plus de 20 000, principalement des généralistes. Bien plus que l'Allemagne qui en compte 7 000. Mais la question qui se pose aujourd'hui est bien celle du remboursement : ni l'homéopathie, ni son enseignement n'ont vocation à être interdits.

    Les médecins pro et anti se sont beaucoup affrontés sur les réseaux sociaux. Ce débat passionné sur la toile vous a-t-il influencé ?

    Je ne passe pas tout mon temps sur Twitter où le débat s'est progressivement radicalisé. Je pense qu'il ne faut pas culpabiliser les Français qui croient en l'homéopathie. La décision de la rembourser en 1984 a favorisé leur engouement. Aujourd'hui, certains de nos concitoyens ont le sentiment que ce type de médecine complémentaire les soulage. Mon souhait est d'aller vers un usage plus raisonné, grâce à de la pédagogie.

    Tout cela a commencé par une tribune de 124 médecins contre ces granules, à laquelle les homéopathes ont répondu par des plaintes pour non-confraternité. Le débat clos, faut-il les retirer ?

    C'est au conseil de l'Ordre des médecins de statuer. Je n'ai pas à m'immiscer dans une décision ordinale ou de justice.

    Vous-même, utilisez-vous l'homéopathie ?

    Non ! Je donnais d'ailleurs le moins de médicaments possible à mes enfants. Cela les énervait beaucoup quand je leur disais que la majorité des maladies se guérissent toutes seules. En cas de fièvre, ils avaient le droit à de l'aspirine ou du paracétamol, un point c'est tout.