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Non, le réchauffement climatique ne s’est pas arrêté en 1998

La « pause » observée entre 1998 et 2012 était liée à l’introduction d’une nouvelle technique de mesure. N’en déplaise aux climatosceptiques.

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Publié le 06 janvier 2017 à 05h31, modifié le 06 janvier 2017 à 15h14

Temps de Lecture 4 min.

Un iceberg dans la péninsule antarctique.

Sans l’arrivée imminente de Donald Trump à la Maison Blanche et l’installation d’une administration américaine dominée par les climatosceptiques, l’information n’aurait sans doute pas été autant commentée. Dans l’édition du mercredi 4 janvier de la revue Science Advances, des chercheurs américains conduits par Zeke Hausfather (université de Californie, à Berkeley) montrent, réanalyse de l’ensemble des données à l’appui, que le réchauffement ne s’est nullement arrêté en 1998 – contrairement à une légende entretenue par les réseaux climatosceptiques.

Le fait n’est pas nouveau : en juin 2015, dans la revue Science, des chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) avaient déjà montré que cette fameuse « pause du réchauffement », entre 1998 et 2012, était surtout le fait d’un biais de mesure, plutôt que d’un ralentissement substantiel de la cadence du changement climatique en cours. Mais remettre en cause l’argument de la « pause » systématiquement mis en avant par les dénégateurs du réchauffement anthropique n’a pas été du goût de tous. De fait, certains parlementaires républicains accusent, depuis, les chercheurs de la NOAA de fraude scientifique et de manipulation de données.

C’est ce qui fait tout le sel des résultats publiés par M. Hausfather et ses coauteurs : ils montrent que non seulement le réchauffement n’a pas cessé en 1998, mais aussi que les chercheurs de la NOAA n’ont commis aucune distorsion des données scientifiques. Ils ont simplement corrigé un biais instrumental – une opération de routine qui a pris, du fait de la polarisation idéologique et politique autour du climat, une ampleur médiatique démesurée.

Biais instrumental

Pour comprendre, il faut savoir que la température moyenne de la Terre est calculée à partir de millions de points de mesure sur les terres émergées, mais aussi des températures des eaux de surface des océans. Celles-ci étaient principalement relevées par des bateaux, après simple prélèvement d’eau de mer. Mais, au tournant du siècle, sous l’impulsion de l’Unesco et de l’Organisation météorologique mondiale, une flottille de bouées dérivantes – dites « Argo » – a commencé à être déployée pour mesurer directement et en temps réel la température de l’océan. Des milliers de telles bouées quadrillent aujourd’hui les mers du globe et fournissent la grande majorité des données utilisées par les chercheurs.

L’introduction d’une nouvelle technique de mesure a donc créé un biais instrumental systématique. En effet, puiser l’eau avant d’en prendre la température « réchauffait » très légèrement les mesures. La montée en puissance des bouées Argo a donc artificiellement « refroidi » la température moyenne terrestre… Les chercheurs de la NOAA ont identifié ce biais et corrigé leurs données. Légèrement, mais suffisamment pour que le « hiatus », la fameuse « pause du réchauffement » soit beaucoup moins évidente.

Zeke Hausfather et ses collègues ont entrepris de réévaluer la température des océans en se fondant uniquement sur les données des engins flottants ou dérivants, et en comparant le résultat avec des données obtenues par satellite. Dans tous les cas, les courbes de réchauffement qu’ils obtiennent sont presque parfaitement concordantes avec celles publiées en juin 2015 par les chercheurs de la NOAA. « Nos résultats signifient essentiellement qu’ils ont raison, qu’ils n’ont pas truqué les comptes », a déclaré M. Hausfather.

La précision est utile. Car, dès juillet 2015, le député républicain du Texas Lamar Smith, par ailleurs président de la commission de la Chambre des représentants sur la science, l’espace et la technologie, demandait l’accès aux correspondances des climatologues de la NOAA, ainsi qu’à toutes les données fondant leur publication. « La NOAA doit dire clairement pourquoi elle a altéré les données afin d’obtenir les résultats dont elle avait besoin, pour soutenir la politique extrême de l’administration [Obama] sur le changement climatique », avait déclaré M. Smith, en octobre 2015, à la revue Nature. La NOAA a fourni l’ensemble des données mais a refusé l’exigence du parlementaire de livrer les correspondances internes de ses scientifiques. M. Smith n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.

La communauté américaine des sciences climatiques redoute que de telles situations deviennent fréquentes sous l’administration Trump. Le poste de secrétaire d’Etat devrait par exemple échoir à Rex Tillerson, le patron du pétrolier ExxonMobil – qui fut longtemps le principal bailleur de fonds du mouvement climatosceptique. L’Environmental Protection Agency – équivalent du ministère de l’environnement – devrait pour sa part revenir à Scott Pruitt, également climatosceptique.

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En sciences du climat, cependant, rien n’est simple. Sans parler de « pause », ou d’arrêt du réchauffement, un très léger ralentissement demeure visible sur les courbes entre 1998 et 2012. Et certains climatologues réputés pour leur sérieux estiment que les corrections apportées par la NOAA, bien que confirmées par M. Hausfather et ses coauteurs, ne permettent pas de l’expliquer en totalité. Ils invoquent des facteurs de variabilité interne de la machine climatique, en particulier l’entrée dans un cycle froid du Pacifique…

Tempête dans un verre d’eau

D’autres chercheurs estiment de leur côté que l’affaire est, en réalité, une tempête dans un verre d’eau. « Un ajustement de moins de 0,1 °C n’a, quoi qu’il en soit, pas d’implications majeures et cela n’a certainement rien à voir avec un supposé hiatus, commente le climatologue Stefan Rahmstorf (Potsdam Institute for Climate Impact Research). Il n’y a jamais eu de hiatus statistiquement significatif, comme plusieurs études l’ont clairement montré, et ce, quelle que soit la version des données que l’on utilise. » Correction des données ou non, le ralentissement observé aurait de toute façon duré trop peu de temps pour remettre en cause la tendance globale à la hausse…

Surtout, quels que soient les ajustements apportés aux données de températures relevées à la surface terrestre entre 1998 et 2012, la réalité a, depuis, rattrapé les climatosceptiques. « Le ralentissement du réchauffement était temporaire, comme nous le pensions, et il est clairement fini, dit de son côté Michael Mann, directeur de l’Earth System Science Center de l’université de Pennsylvanie. L’année 2016 sera le troisième record de chaleur consécutif et nous n’avons jamais vu trois records être consécutivement battus. »

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