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Ecriture inclusive : non, l’Académie française ne décide pas seule du « bon usage » de la langue

Les « Immortels » se sont élevés jeudi contre l’écriture inclusive. Une position qui n’a pas forcément vocation à faire autorité. Explications.

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Publié le 27 octobre 2017 à 17h38, modifié le 27 octobre 2017 à 17h38

Temps de Lecture 3 min.

L’Académie française a adopté à l’unanimité de ses membres jeudi 26 octobre une déclaration très critique sur l’écriture inclusive. Cette « solennelle mise en garde » dénonce la « démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques » engendrée par cette graphie, qui « aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité », selon l’institution.

Ce verdict des « Immortels » met-il pour autant un terme au débat ? Place-t-il de fait tout recours à l’écriture inclusive en dehors des bons usages de la langue ? Pas forcément.

Une institution consacrée au « perfectionnement » et au « rayonnement » des lettres

L’Académie française a été fondée en 1635 par Richelieu et a depuis traversé les âges. Selon la loi de programme pour la recherche de 2006, elle est une personne morale de droit public à statut particulier, placée sous la protection du président de la République. C’est également le cas de l’Institut de France, l’Académie des sciences, l’Académie des beaux-arts et l’Académie des sciences morales et politiques. La mission de toutes ces instances est, selon ce texte, de « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres, des sciences et des arts ».

Les 40 membres de l’Académie française se réunissent les jeudis après-midi et débattent des sujets prévus à l’ordre du jour, établi par le secrétaire perpétuel. Parmi les 34 membres de l’institution qui siègent actuellement (six fauteuils sont vacants pour cause de décès), on trouve des profils divers comme l’écrivain et chroniqueur Jean d’Ormesson, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse (qui est également secrétaire perpétuelle de l’Académie), l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing ou le philosophe Michel Serres.

En 2017, on ne compte que cinq membres de sexe féminin. En quatre siècles, il n’y a eu que huit femmes sur 729 académiciens. Certaines critiques estiment d’ailleurs que cet état de fait biaise quelque peu le regard de l’institution au sujet des questions de genre.

Une autorité avant tout morale

Selon ses statuts (article XXIV), la « principale fonction » de l’Académie française est de « travailler (…) à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».

A ce titre, elle rédige son propre dictionnaire, qui respecte le « bon usage de la langue » et indique des niveaux de langages ainsi que les emplois déconseillés et les constructions fautives.

Si l’institution française tire une certaine légitimité de son histoire et du prestige de ses membres, elle ne fait pas figure d’autorité suprême et indiscutable de la langue française pour autant. Elle possède certes un droit de regard sur la publication au Journal officiel des termes et expressions nouveaux, comme le prévoit le décret de 1996 relatif à l’enrichissement de la langue française. Mais pour le reste, rien n’oblige à partager toutes ses positions, tout comme l’Académie des beaux-arts ne définit pas à elle seule ce qui serait « beau » ou non.

Des positions parfois contestées

Plusieurs exemples récents rappellent cet état de fait. Ainsi, l’Académie française s’oppose à la féminisation des fonctions et des titres lorsque ce serait contraire « aux règles ordinaires de dérivation ». Position qui s’est retrouvée au centre d’un débat houleux à l’Assemblée nationale en 2014. Le député UMP Julien Aubert, se fondant sur le verdict des académiciens, refusait d’appeler la socialiste Sandrine Mazetier « madame la présidente », préférant dire (contre la volonté de l’intéressée), « madame le président ». Se prévaloir de l’Académie française n’a pas empêché le député de se voir infliger une sanction financière.

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La polémique autour de la prétendue « mort de l’accent circonflexe » en 2016 illustre également les contradictions de l’Académie en elle-même. A l’origine, on trouve des rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées par l’Académie française en 1990. Parmi les possibilités, toutes facultatives, prévues dans ces dispositions, il y a le fait que l’accent circonflexe peut ne plus être employé sur les « i » et les « u » dans la plupart des cas.

Le ministère de l’éducation nationale a rappelé en 2008 dans son bulletin officiel puis dans la réforme des programmes de 2015 l’existence de ces révisions facultatives, avant qu’elles ne soient appliquées par les éditeurs de manuels scolaires à la rentrée de 2016, suscitant alors une polémique… Jusqu’à la colère même de l’Académie française, qui n’y était pourtant pas hostile vingt-six ans plus tôt.

Au-delà de ces deux exemples, d’autres références de la langue française se sont fréquemment opposées à certaines positions des académiciens, depuis des décennies. Ce que souligne la quatorzième édition du Bon usage de Grevisse et Goosse :

« Le Dictionnaire de l’Académie française (…) donne une certaine image de la langue soignée, et la caution de ce juge sévère suffit à rendre légitimes des tours que l’on avait critiqués. En revanche, ses mises en garde sont plus d’une fois discutables, parfois même oubliées par les académiciens aussitôt quitté le quai de Conti. »

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