MONTAGNE Ces petits glaciers appelés à disparaître sous peu

À l’instar de l’emblématique glacier des Grandes Rousses, leur retrait bouleverse les paysages. D’ici à 2100, 80 % de la surface glaciaire alpine est condamnée avec un réchauffement global de trois degrés. Ceux qui sont inférieurs à 3500 m d’altitude sont voués à disparaître à court ou moyen terme. La mort de Sarennes est annoncée dans quatre ans…
Antoine CHANDELLIER - 16 oct. 2016 à 06:05 - Temps de lecture :
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La débâcle glaciaire entraîne la formation de lacs, comme ici au pied du pan supérieur de Sarennes, sous le Pic Blanc à l’Alpe d’Huez.
La débâcle glaciaire entraîne la formation de lacs, comme ici au pied du pan supérieur de Sarennes, sous le Pic Blanc à l’Alpe d’Huez.

A l’heure des premières chutes de neige annonciatrices de l’hiver, l’Alpe d’Huez, la chic station de l’Oisans rêve éveillée à de mirifiques (ou chimériques) liaisons avec ses voisines des Deux Alpes et des Sybelles pour étoffer un plan de pistes déjà bien fourni. Mais il est un trésor qui vous classe un domaine skiable parmi les plus réputés, et que l’Alpe est en passe de perdre : son glacier.

Emmanuel Thibert, ingénieur à l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), et Xavier Ravannat, technicien de recherche, sont au chevet de ce pan de glace en état de mort clinique. Le relevé des niveaux de leurs balises, laisse peu de place au doute. Suivant un rythme annuel de perte de l’ordre de 3 m d’épaisseur, ces dernières années, Sarennes et ses 10 m de glace résiduelle maximum, sont condamnés à disparaître dans… quatre ans. Un passionné de l’Alpe et ses formidables hors-pistes ne veut croire à la funeste perspective. Autrefois, on coupait la tête aux messagers des mauvaises nouvelles.

En début d’automne, le site révélait un paysage triste comme Venise aux temps des amours mortes. Depuis 2014, le glacier s’est séparé en deux plaques de glace discontinues pour une surface totale en 2016 d’à peine 8,4 hectares, contre 160 autrefois. Et au milieu passe une piste où roulent VTT et 4X4 dans cette combe équipée en neige de culture jusqu’à 3000 m. Avant, le glacier permettait de conserver ces neiges éternelles offrant la possibilité de skier, qu’importe les précipitations.

Au temps béni des étés au ski

Christian Reverbel a veillé pendant 40 ans sur les pistes de la station. « C’était une cuvette pleine de glace. L’été les équipes venaient s’entraîner », se souvient le chef des pistes. Depuis 2000, le ski estival n’est plus qu’un vague souvenir. Reverbel a connu une ère où les anciens parlaient de Sarennes avec une épaisseur de 80 m. On skiait jusqu’en août.

En 1949, quand il fut le premier glacier français à faire l’objet d’un suivi des Eaux et Forêts, sa langue s’étirait jusqu’à la cabane, dite des glaciologues, à 2700 m où, aujourd’hui, s’étend une immense réserve de stockage d’eau, la plus haute d’Europe pour produire de la neige. Le glacier culminait à 3300 m sur l’arête qui rejoint le pic Blanc, la gare d’arrivée du téléphérique sommital.

« La cuvette s’est vidée »

En se retirant, la glace modifie la nature du terrain. C’est une illustration, révélatrice du climat, mais aussi, de la métamorphose des paysages. Pour Christian Reverbel ce « vide » risque d’être problématique pour la gestion des pistes qui nécessitera des raccords. « La cuvette s’est vidée, abaissant le point de conjonction entre la glace et le rocher. Cela provoque des cassures de parfois près de 30 m - l’épaisseur du glacier naguère - là où on traçait nos pistes ». Le professionnel de la neige pense à l’itinéraire de «Château noir» qui part sous le célèbre refuge du GUC dont le tracé pourrait être modifié pour adoucir la rupture de pente. Ce qui nécessiterait de lourds chantiers de dérochements.

Vestige du Petit âge glaciaire

Autre souci du retrait glaciaire, il cède à des moraines instables ou un terrain de glace fossilisée sur lequel reposent certaines infrastructures. Prenez le télésiège du Glacier. Bientôt, ce n’est pas seulement son nom qu’il devra changer mais aussi sa plateforme de départ. Voire son tracé. « On met en place des systèmes de rétention mais dans quelques années, il faudra trouver une solution », admet Christophe Monier, directeur général de la SATA, epxloitant le domaine. Emmanuel Thibert nous montre ces crevasses remplies d’eau : « La surface s’affaisse avec la fonte sous glaciaire ». Et l’hiver les pisteurs de la célèbre piste de Sarenne (sans «s»), délimitent un périmètre de sécurité pour que les skieurs évitent le trou.

Sarennes, formé au Petit âge glaciaire (1550-1830), n’est pas un cas isolé. Il incarne le destin des glaciers dont la zone d’accumulation est inférieure à 3500 m. À l’instar de ceux du cirque de Soreiller, dans le parc des Écrins, il devrait disparaître prématurément car plus vulnérable de par son exposition sud. Le versant occidental de la combe est le dernier englacé. D’autres petits massifs perdent leurs glaciers. Belledonne, le voisin, qui culmine à 2977 m au grand Pic, n’en compte plus que deux véritables : Freydanne et la Sitre.

Emmanuel Thibert égrène les années de fonte record à Sarennes : 2011, 2003 ou 2009 avec plus de 5 m d’eau en moins. « L’été caniculaire 2015 s’est conjugué avec un hiver sec pour donner un des bilans de masse les plus déficitaires depuis 65 ans avec une vitesse de fonte record : 7 cm par jour en juillet ».

Surface divisée par dix en 100 ans

Les températures accélèrent la fonte d’un glacier que l’enneigement, sa matière, ne permet plus de régénérer. « Au XXe siècle, il a été en déséquilibre quasi permanent avec le climat. Sa surface a été divisée par 10 et il a perdu 100 m d’épaisseur. Depuis 1985 ce déséquilibre s’accroît », précise le scientifique. En 35 ans la durée de fonte a augmenté d’un mois, 15 jours à l’automne et 15 jours au printemps. Ravage de la belle saison, « quand le glacier perd sa peau, la neige qui le protège », dixit Reverbel. Thibert conclut : « Sarennes était condamné par l’évolution naturelle du climat. L’homme n’a fait qu’accélérer les choses en ce début de siècle ».

Pourtant 2016 marque un ralentissement du déclin pour une partie des glaciers. Certains auraient même conservé leur masse comme Tête Rousse sous le mont Blanc. Dans la catégorie des « petits » en Haute-Savoie, ceux des aiguilles Rouges, à Vallorcine, côté nord ont résisté. Las une hirondelle ne fait pas le printemps et la tendance de fond est inexorable. Sarennes n’a perdu « que » 1,7 m d’épaisseur cette année - comme la mer de Glace - grâce aux précipitations du printemps. Et gagné, peut-être, un sursis de 6 mois sur sa mort programmée à l’horizon 2020.

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