La géothermie, géant oublié des énergies renouvelables, en plein réveil

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 L’annonce, mardi 19 août par Google, d’un investissement de 10 millions de dollars dans deux sociétés californiennes de forages géothermiques, notamment Altarock, aux côtés de plusieurs gros investisseurs de la Silicon Valley spécialistes du green (le fonds Kleiner Perkins, Paul Allen, Khosla), illustre le regain de faveur de cette énergie un peu oubliée, mais au potentiel gigantesque. Au total Altarock a reçu 26 millions de dollars.

La géothermie consiste à utiliser directement la chaleur des entrailles de la terre, soit tout près de la surface du sol, dans les régions de volcans ou de geysers, soit en profondeur, pour faire tourner des turbines à vapeur et ainsi produire de l’électricité. Encore marginales, les capacités installées sans le monde progressent rapidement, d’autant que les coûts sont en baisse.

Le potentiel est tel que cette source délaissée pourrait se révéler la « killer app » – la « fonction qui tue » –  des energies renouvelables, selon Google, qui jusqu’ici, dans ses grandes ambitions “vertes”, a parié sur le solaire et l’éolien, comme la plupart des investisseurs.

Pour l’instant, la géothermie n’est guère impressionnante, même si elle se développe régulièrement. Selon une étude de Earth Policy, les capacités installées actuellement dans les 24 pays producteurs représentent au total 10 Gigawatts, qui produisent assez d’électricité pour alimenter 60 millions de personnes. Elles devraient atteindre 13,5 Gigawatts en 2010, dans 46 pays, l’équivalent de 27 centrales à charbon classiques. Voici un état des lieux par pays, en MW :

Mais la chaleur du sous sol, qui provient de la désintégration d’isotopes comme l’uranium, le thorium et le potassium, représente 50.000 fois l’énergie de toutes les réserves de gaz et de pétrole, si on ne se limite pas aux sources chaudes en surface mais que l’on récupère la chaleur à plusieurs kilomètres de profondeur, une technique dite Enhanced Geothermal Systems (EGS).

Il s’agit de creuser, typiquement à 3 à 10 km du sol, deux puits parrallèles, puis d’injecter de l’eau froide dans l’un en attendant qu’elle remonte, chaude, par l’autre. Une ressource disponible en permanence, un peu partout sur terre, et très peu polluante.

Sans aller si profond, une série de pays situés sur la ceinture de feu du Pacifique — qui longe les côtes du Pacifique de l’Australie à aux Amériques – comme le Chili, le Pérou, le Mexique, les Philippines et l’Indonésie, les Etats-Unis et le Canada — mais aussi la Russie, la Chine et le Japon disposent de considérables ressources géothermiques, ainsi que ceux de la vallée du grand rift en Afrique, avec des pays comme le Kenya et l’Ethopie. Dans le monde, 39 pays ont suffisamment de ressources géothermiques disponibles pour produire toute l’électricité qu’ils consomment, soit 750 millions de personnes. Google a d’ailleurs aussi investi dans des techniques de cartographie des ressources géiothermiques, pour recenser les zones les plus chaudes accessibles.

Auparavant, il fallait disposer de poches souterraines d’eau ou de vapeur à très haute température, mais de nouveaux procédés utilisant des liquides qui peuvent bouillir à faible température permettent de profiter de sources bien moins chaudes, ce qui a permis à des pays comme l’Allemagne de développer elle aussi de la géothermie, et de prévoir un doublement de sa production pour 2010.

L’un des sites pilotes où sont développées des techniques de géothermie des roches profondes se trouve en France, à Soultz-sous-forêts, en Alsace. Et comme les Etats-Unis, la France et l’Europe redécouvrent elles aussi la géothermie; l’Ademe et le BRGM ont signé en juin dernier, en inaugurant le nouveau site de Soultz, un accord visant à relancer toutes les formes de géothermie

Premier pays producteur du monde, les Etats-Unis, avec 2,9 Gigawatts dont 2,5 GW en Californie, région qui produit davantage d’énergie géothermique que n’importe quel pays du monde. La Californie tire 5% de son énergie via la géothermie surtout dans la région des Geysers (photo ci dessus), au nord de San Francisco.

Le coût de l’électricité géothermique dans la région est similaire à celui de l’électricité classique grâce aux crédits d’impôts fédéraux. Actuellement, Earth Policy recense 97 nouveau projets de centrales, d’une capacité totale de 4 Gigawatts, avec quelques projets géants comme la centrale de 350 MW de la société Vulcan Power dans le Nevada.

Mais le potentiel fait tourner la tête : le Département américain à l’énergie a calculé que les technologies émergentes à basse température permettraient de produire 260 GW d’énergie géothermique aux Etats-Unis. Et une étude récente du Massachusetts Institute of Technology (MIT) estime qu’en investissant 1 milliard de dollars seulement dans la recherche et développement géothermique sur 15 ans (le prix d’une seule centrale au charbon), le pays pourrait installer des capacités de 100 GW pour 2050, soit 10% de sa consommation actuelle d’électricité. Il calcule aussi que la chaleur du sous sol américain permettrait de fournir potentiellement 30.000 ans de consommation énergétique mondiale actuelle…

A tel point que des terrains perdus dans le désert du Nevada se sont arrachés au prix fort ces derniers mois car leur vente était assortie d’une licence d’exploitation de la chaleur du sous-sol.

En Europe, le premier producteur est l’Italie (pionnier historique de la géothermie) avec 810 MW , suivie de l’Islande avec 420 MW. L’Italie compte doubler ses capacités d’ici 2020. L’Islande tire déjà 27% de son électricité de la chaleur terrestre, le taux le plus élevé du monde. L’Allemagne ne dispose que de 8 MW mais 150 centrales sont dans les tuyaux, surtout en Bavière, dopées par une aide gouvernementale qui fixe le prix de l’électricité achetée aux producteurs à 15 centimes d’euros.

Dix autres des plus gros producteurs d’énergie géothermiques sont des pays en développement, avec en tête les Philippines, qui tirent 23% de leur électricité de la géothermie et qui est le 2e plus gros producteur mondial après les USA. Les Philippines devraient accroître leurs capacités pour 2013 de 60%, à 3,1 GW. En 3e place, l’Indonésie, qui a des plans encore plus ambitieux et prévoit 6,8 MW dans les 10 ans, de quoi lui fournir 20% de son électricité actuelle, que développera la compagnie pétrolière nationale Pertamina.

Le potentiel de la vallée du grand rift africain est aussi énorme. Le Kenya est le plus avancé, son président Mwai Kibaki ayant annoncé en juin dernier qu’il voulait installer 1,7 GW de nouvelles capacités dans les 10 ans, plus de 13 fois le niveau actuel et 1,5 fois les besoins d’électricité du pays. Djibouti, aidé par Reykjavik Energy Invest, veut produire toute son électricité grâce à la géothermie dans quelques années. L’organisation African Rift Geothermal Development Facility (ARGeo), soutenue par la Banque mondiale, soutient les investisseurs de la région.

Les industriels également, qui consomment un tiers de l’énergie mondiale, commencent à envisager de recourir à cette énergie fiable et assez bon marché. En Papouasie Nouvelle-Guinée, la compagnie minière Lihir Gold a installé une centrale géothermique de 56 MW pour 75% de ses besoins énergétiques, et des des raffineries d’aluminium en Islande se fourniront en électricité grâce à 5 centrales géothermiques d’une capacité totale de 225 MW.

(Photo : DR)

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