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Savoirs traditionnels et biodiversité

La richesse de la vie sur Terre est le résultat de centaines de millions d'années d'évolution. Depuis le moment où l'Homo sapiens est sorti du rang des primates humanoïdes, la biodiversité et l'humanité sont inextricablement liées. Les cultures humaines se sont adaptées à de nombreux habitats différents. Elles ont employé, modifié et soigné les ressources biologiques pour faire face à d'innombrables besoins. Des milliers d'années de domestication des plantes et des animaux et de valorisation des ressources ont abouti à une interdépendance extrêmement étroite entre la biodiversité naturelle et ce qu'on pourrait appeler la biodiversité “artificielle”.

Pendant des siècles, les populations rurales ont favorisé la biodiversité et l'ont exploitée pour assurer leur subsistance. Les agriculteurs gèrent les ressources génétiques depuis qu'ils ont commencé à cultiver des végétaux. Depuis 12 000 ans environ, ils sélectionnent des variétés de plantes et des races d'animaux pour les adapter à des environnements variés et pour répondre à divers besoins nutritionnels et sociaux. L'immense diversité génétique qu'on trouve dans les systèmes agricoles traditionnels est le produit de l'innovation et de l'expérimentation passées et actuelles. La FAO a reconnu ce fait en énonçant les droits des agriculteurs, qui reconnaissent la contribution passée, présente et future des agriculteurs à la conservation, à l'amélioration et à la diffusion des ressources phytogénétiques et affirment qu'ils doivent être récompensés pour cette contribution.

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ANS UN GRAND NOMBRE de pays en développement, l'autosuffisance de la production alimentaire nécessitera l'amélioration d'une agriculture faible consommatrice d'intrants, dans un environnement difficile. La matière première qui permettra cette amélioration est constituée par les ressources biologiques conservées dans les forêts, les pâturages, les champs et les exploitations agricoles. Le savoir accumulé des agriculteurs, associé à l'accès à des techniques modernes, sera la clé d'une agriculture durable.

Dans de nombreuses parties du monde, les espèces sauvages et les habitats naturels continuent de contribuer à la sécurité alimentaire des ménages, qui correspond à une situation dans laquelle chacun a, à tout moment, accès aux aliments nécessaires pour mener une vie saine. Au Népal, par exemple, 135 espèces d'arbres sont employées comme aliments fourragers. Au Ghana, les animaux sauvages fournissent l'essentiel des protéines animales consommées par trois quarts de la population.

Les progrès de la science et de la technique contribuent à réduire la souffrance humaine et à promouvoir le développement économique. Cependant, on se rend de plus en plus compte de l'utilité des savoirs traditionnels pour résoudre les problèmes agricoles, médicaux et environnementaux de la planète. On est aussi de plus en plus conscients que la conservation et l'utilisation de la biodiversité doivent se préoccuper non seulement des gènes, génotypes, espèces et écosystèmes, mais aussi du savoir traditionnel qui a contribué à produire et à préserver cette diversité.

Médicaments traditionnels

On estime que trois quarts des médicaments extraits de plantes ont été découverts grâce à leur utilisation antérieure dans des médecines traditionnelles. Les populations forestières autochtones emploient au moins 1 300 espèces de plantes à des fins médicales ou apparentées. Dans la seule région de l'Amazone, plus de 60 espèces de plantes sont employées pour traiter des infections cutanées.

Plantes alimentaires traditionnelles

Depuis des générations, les agriculteurs de subsistance produisent ou récoltent des plantes sauvages ou semi-sauvages qui sont considérées comme des aliments recherchés. On estime qu'au moins un milliard de personnes se nourrissent en partie grâce à ces plantes traditionnelles, qui jouent un rôle indispensable dans le régime des populations rurales qui vivent de l'agriculture de subsistance dans toutes les régions en développement du monde, auxquelles elles fournissent énergie, vitamines et minéraux.

Toutefois, de nombreux pays abandonnent les aliments traditionnels, ce qui entraîne un rétrécissement de la base alimentaire. La production et la consommation de ces aliments diminuent, car ils sont insuffisamment appréciés, alors que la demande d'aliments importés augmente. Depuis 1985, la FAO, en coopération avec les gouvernements, s'efforce de lutter contre cette tendance. Associée à des institutions de recherche, elle encourage aussi l'amélioration génétique des plantes traditionnelles et la mise au point de techniques permettant de préparer, à partir de ces plantes, des aliments acceptables pour les consommateurs urbains.

La diversité des systèmes agricoles dans les pays en développement

Quatre grandes zones agro-écologiques assurent 90 pour cent de la production agricole des pays en développement: les basses terres humides, les zones irriguées, les zones de collines et de montagnes et les zones sèches ou à pluies erratiques. Dans chacune de ces zones, il existe une diversité de systèmes culturaux, mélangeant méthodes traditionnelles et méthodes de production modernes intensives.

Basses terres humidesRégions de collines et de montagnes
Population: plus d'un milliard d'habitants
Superficie: 3,1 milliards d'hectares
Caractéristiques: zones généralement couvertes de forêts; détérioration de l'environnement, principalement due à la déforestation; sécurité alimentaire raisonnable (80 pour cent de la pro- duction de racines et tubercules des pays développement).
Population: plus de 500 millions d'habitants
Superficie: 1 milliard d'hectares
Caractéristiques: Pentes souvent supérieures à 30 pour cent; zones affectées par la plupart des formes de détérioration de l'environnement, notamment l'érosion du sol; accroisseen ment de l'insécurité alimentaire.
Principaux systèmes:Principaux systèmes:
• cultures itinérantes
• plantations (caoutchouc par exemple)
• horticulture (très répandue)
• pâturages extensifs (principalement en Amérique latine)
• agriculture de montagne (par exemple dans l'Himalaya et les Andes)
• élevage laitier et pâturages (par exemple en Amérique latine)

Zones irriguées et naturellement inondéesZones sèches et zones à pluies erratiques
Population: plus d'un milliard d'habitants
Superficie: 215 millions d'hectares
Caractéristiques: les entraves à l'agriculture sont notamment le niveau élevé des coûts, la saturation par l'eau, la salinisation et la pollution des nappes phréatiques; ce sont des zones cruciales pour la sécurité alimentaire (60 pour cent de la production de céréales des pays en développement).
Population: plus de 500 millions d'habitants
Superficie: 3,4 milliards d'hectares
Caractéristiques: pluviosité inférieure à 500 mm; perte annuelle de 6 millions d'hectares environ par la désertification; insécurité alimentaire très répandue.
Principaux systèmes:Principaux systèmes
• riziculture de basses terres
• cultures irriguées (nombreuses productions)
• aquaculture (importance mineure)
• élevage intensif
• horticulture
• agriculture pastorale
• céréales d'altitude
• quelques plantations (sisal par exemple)
• horticulture (sur de petites surfaces irriguées)

Savoir-faire traditionnel et développement des pêches

Le Centre international d'aménagement des ressources bioaquatiques, aux Philippines, exploite le savoir traditionnel pour préserver et utiliser les ressources génétiques des poissons. Associé à la FAO, il est en train de constituer une grande base de données sur l'ensemble des 24 000 espèces de poissons cartilagineux et osseux qui existent dans le monde. Cette base de données contiendra, outre des informations scientifiques et techniques, les connaissances traditionnelles concernant ces poissons: noms courants, méthodes d'exploitation traditionnelles et utilisations pratiques ou symboliques de chaque espèce.

Utilisation d'une plante traditionnelle pour lutter contre un vecteur de maladie

Le Phytolacca dodecandra est une plante vivace cultivée depuis des siècles dans de nombreuses parties de l'Afrique où ses baies saponifiantes sont traditionnellement employées pour la lessive et comme shampooing. En 1964, un biologiste éthiopien, Aklilu Lemma, a observé que, dans des cours d'eau où des gens lavaient des vêtements avec ces baies, des escargots morts flottaient sur l'eau en aval. Des recherches ont montré que ces baies, séchées au soleil et broyées, étaient mortelles pour toutes les grandes espèces d'escargots mais n'étaient pas toxiques pour les animaux ou les êtres humains, et étaient complètement biodégradables.

Pour l'Afrique, où l'une des maladies les plus graves, la schistosomiase, est transmise par des escargots d'eau douce, la découverte d'un pesticide adapté, peu coûteux et biodégradable représente un progrès majeur. D'après l'OMS, la schistosomiase affecte plus de 200 millions de personnes et on estime qu'elle fait 200 000 morts par an. Avec l'aide de donateurs internationaux, des chercheurs poursuivent l'étude toxicologique de cette plante pour s'assurer qu'elle est sans danger. Pour le docteur Lemma, il s'agit là d'un produit issu du savoir traditionnel et qui peut être valorisé par et pour les communautés africaines.

Un insecticide naturel traditionnel

Depuis des siècles, les agriculteurs indiens emploient les graines du margousier (Azadirachta indica) comme insecticide naturel pour protéger les cultures et les greniers. Exploitant les connaissances et pratiques traditionnelles, des chercheurs ont isolé des composants extrêmement actifs contre les insectes, même en quantités minimes. Ces substances seraient efficaces contre plus de 200 espèces d'insectes, d'acariens et de nématodes, dont certaines sont très nuisibles, comme les sauteriaux, les foreurs du riz et du maïs et le charançon du riz. En même temps, elles ne font aucun mal aux oiseaux, mammifères et insectes utiles comme les abeilles. Contrairement à ce qui se passe avec la plupart des pesticides de synthèse, les insectes ne développent apparemment pas de résistance aux extraits de margousier, car ceux-ci contiennent plusieurs ingrédients biologiquement actifs.

Le potentiel commercial des pesticides à base de margousier a attiré l'attention de plusieurs grandes entreprises en Inde et dans les pays industriels. En 1993 s'est ouverte en Inde la première usine à l'échelle industrielle conçue et construite pour la production de biopesticides à base de margousier; cette usine peut traiter 20 tonnes de graines par jour. Les chercheurs continuent d'étudier les possibilités d'utiliser le margousier pour traiter un certain nombre de maladies et comme agent contraceptif. En outre, le margousier aurait des propriétés fongicides, antibactériennes et peut-être même antivirales.

QUELQUES DONNÉES

En Afrique, on estime que 80 pour cent de la vitamine A et plus d'un tiers de la vitamine C sont fournis par des plantes traditionnelles..

A part le noisetier d'Australie, tous les arbres fruitiers employés dans les pays occidentaux étaient à l'origine cultivés par des peuples autochtones.

Le marché mondial des produits pharmaceutiques dérivés de plantes employées en médecine traditionnelle dépasse 43 milliards de dollars, mais moins de 0,001 pour cent des bénéfices ont été reversés aux peuples autochtones qui ont fait découvrir ces plantes aux chercheurs.

Des peuples autochtones et leur savoir sont menacés de destruction imminente. Dans la seule région de l'Amazone, on pense que plus de 90 groupes d'Indiens ont disparu au cours de ce siècle.

L'Ifugao, à Luzon (Philippines), peut identifier plus de 200 variétés de patate douce; les Jivaro dans l'Amazone cultivent plus de 100 variétés de manioc; dans les Andes centrales, on peut trouver 50 à 70 variétés de pomme de terre dans une seule localité.

L'agriculture mixte, mélangeant cultures et élevage, est souvent la forme d'agriculture la plus durable dans une région.

Utilisation de l'aulne dans l'agrisylviculture traditionnelle

Les populations du Nagaland ont élaboré un système cultural centré sur l'aulne (Alnus nepalensis). Cet arbre fournit bois de feu, bois d'œuvre et paillage; les bactéries qui se développent sur des nodules dans ses racines captent l'azote atmosphérique et enrichissent le sol. Dans leurs champs, entre les aulnes, les agriculteurs cultivent le maïs, la larme de Job, le millet, la pomme de terre, l'orge et le blé et des cultures secondaires comme le piment, la citrouille et le taro.

Le cycle de l'aulne commence lorsque l'arbre a de six à dix ans. Il est alors étêté à une hauteur d'environ 2 m du sol. Il donne ensuite 50 à 150 scions qui sont tous, sauf cinq ou six, coupés après un an. Une grande partie sont alors brûlés avec des déchets de cultures et la cendre obtenue est employée comme engrais. Les champs ainsi fertilisés peuvent donner une deuxième récolte. Ensuite, les champs restent en jachère pendant deux à quatre ans, ce qui permet aux scions de pousser jusqu à atteindre 6 m de long et 15 cm de diamètre, après quoi l'arbre est de nouveau étêté.

Les grandes tiges ainsi obtenues sont surtout employées comme bois de feu et comme perches. Une plantation d'aulnes de 150 hectares environ peut fournir tout le bois de feu nécessaire pour une centaine de familles Naga.

Le rôle traditionnel des femmes

Les femmes jouent depuis toujours un rôle silencieux mais très important dans l'utilisation durable des ressources biologiques. Dans la plupart des régions en développement, elles sont les premières responsables de la sécurité alimentaire du ménage. On estime qu'elles produisent 80 pour cent des aliments en Afrique, 60 pour cent en Asie et dans le Pacifique et 40 pour cent en Amérique latine. En raison de leurs activités traditionnelles, production et récolte de produits alimentaires, de produits médicinaux et de combustibles, approvisionnement en eau, etc., elles participent quotidiennement à la gestion des ressources naturelles. Dans certaines régions en développement, les jardins familiaux cultivés par les femmes sont parmi les systèmes agrosylvipastoraux les plus complexes connus.

De par leur connaissance des forêts, des cultures, des sols, de la gestion des eaux, des plantes médicinales, des techniques de culture et des variétés de semences, les femmes ont une responsabilité considérable dans les systèmes d'agriculture durable. Jusqu' à récemment, leur rôle de conservatrices et d'utilisatrices de la diversité génétiques et de gestionnaires des ressources naturelles était en grande partie ignoré. Aujourd'hui, on se rend de plus en plus compte que la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique ne seront possibles que si les femmes sont associées à la prise de décisions et à la gestion des ressources et à la production.

Aulne étêté


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