Canadian Coalition
for Nuclear
Responsibility






Regroupement pour
la surveillance
du nucléaire

L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE AU QUÉBEC

préparé pour le Débat public sur l'énergie
par Gordon Edwards, président du RSN

[ for the English Version ]

automn 1995

Contexte historique

Au Québec, comme dans le reste du Canada d'ailleurs, l'énergie nucléaire s'est avérée une énorme déception.

Jadis vantée comme une source d'énergie sécuritaire, propre et bon marché, l'énergie nucléaire est perçue aujourd'hui par bien des Québécois comme dangereuse, sale et coûteuse.

Le réacteur nucléaire expérimental Gentilly-1, situé près de Bécancour, fut tout un fiasco à la fois technique et économique. Avant sa fermeture définitive, cette installation n'a fonctionné que 180 jours et ce, de façon irrégulière. Les déchets hautement radioactifs produits à Gentilly-1 sont actuellement stockés dans l'édifice abritant le réacteur. Ces matières, comprenant des dizaines de substances radioactives toxiques différentes, dont certaines existant sous forme de gaz, resteront dangereuses pendant des centaines de milliers d'années. Les matériaux de construction du coeur du réacteur ont été irradiés et resteront dangereux pendant des dizaines de milliers d'années. Il faudra un jour démanteler, empaqueter et enterrer ces matériaux. Bien que ces déchets radioactifs soient entièrement la propriété du gouvernement fédéral, il n'en reste pas moins que la résolution de ce problème pourra éventuellement être du ressort du gouvernement du Québec.

Quant au réacteur Gentilly-2, Ottawa avait promis d'assumer la moitié des coûts de construction, estimés à l'origine à moins de 400 millions de dollars. En réalité, la facture finale a été près de quatre fois plus élevée que prévu. Toutefois, Ottawa s'en est tenu à payer seulement la moitié des coûts prévus initialement. Durant ses onze ans d'exploitation, le fonctionnement du réacteur Gentilly-2 a été sans histoire -- sauf que, année après année, il produit de l'électricité à des coûts supérieurs au prix de vente. Il en résulte des pertes accumulées d'au moins un milliard de dollars. D'ailleurs, si on faisait une comptabilité de revient véritable, ces pertes seraient probablement beaucoup plus importantes.

L'usine d'eau lourde de LaPrade, située également à Bécancour, est à la portée de vue des réacteurs Gentilly-1 et Gentilly-2. Là encore, il s'agit d'un projet proposé par Ottawa. Il coûta plus de 400 millions de dollars pour la construire. Toutefois, cette usine n'a jamais été en exploitation ne fût-ce que pour un seul jour. En outre, d'année en année, il coûte des dizaines de millions de dollars simplement pour la maintenir en état de fonctionnement. Si elle n'a jamais servi c'est pour une raison toute simple: le marché des réacteurs CANDU s'est volatilisé. En effet, mise à part les fabricants d'armes nucléaires qui s'en servent dans la production de matériaux explosifs, la demande d'eau lourde provient essentiellement des centrales nucléaires équipées de réacteurs CANDU.

Une époque révolue

Après l'avènement au pouvoir du Parti Québécois, le gouvernement de René Lévesque décréta un moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires au Québec. Toutefois, du même coup le gouvernement indiqua que la construction de Gentilly-3 irait de l'avant (la dite centrale ayant reçu son autorisation avant l'entrée en vigueur du moratoire). Néanmoins, le moratoire signala tout de même que la ruée insensée vers le nucléaire avait vécu. Rappelons-nous qu'à l'époque Hydro-Québec projetait construire jusqu'à trente centrales nucléaires sur les rives du fleuve St-Laurent et avait même commencé à en choisir les sites (Ste-Croix de Lotbinière était du nombre). Toutefois, Gentilly-3 ne vit jamais le jour.

Ce moratoire sur le nucléaire, maintenant échu (le gouvernement actuel ne l'ayant pas prolongé), a sans doute évité à Hydro-Québec un gâchis semblable à celui accablant Hydro-Ontario. Ce dernier est aux prises avec un parc de centrales nucléaires de moins en moins sécuritaires tout en étant de plus en plus coûteuses en frais d'entretien. En outre, Hydro-Ontario n'a pas les moyens de financer les réparations dispendieuses préalables au renouvellement de ses autorisations. Ces centrales sont en passe de devenir si dangereuses que même la Commission de contrôle de l'énergie atomique du Canada -- pourtant habituellement peu exigeante -- n'acceptera plus une telle situation.

L'inflation des coûts

L'accumulation des déchets hautement radioactifs du réacteur Gentilly-2 a atteint un point tel que l'on construit actuellement des «silos» de stockage à sec sur terre afin de dégager quelque peu la piscine où le combustible nucléaire irradié s'accumule sans cesse.

deux images par Robert Del Tredici
(1) les silos de Gentilly-1      (2) la piscine de Gentilly-2

Au niveau fédéral, on procède actuellement à une évaluation environnementale des plans de l' ÉACL prévoyant la construction d'un site d'enfouissement où seront stockés les déchets hautement radioactifs générés par les réacteurs CANDU en opération en Ontario, au Québec et au Nouveau Brunswick. Selon les prévisions de l' ÉACL, les coûts de cette installation (qui seront partagés par les trois provinces susmentionnées) se situeront à entre huit et treize milliards de dollars.


Cependant, dans le passé, l'industrie nucléaire s'est souvent totalement trompée dans ses prévisions sur les coûts. Exemple, la centrale Gentilly-2 qui devait coûter 400 millions de dollars a fini par coûter environ 1 500 millions. Quant à la centrale Darlington en Ontario, le coût prévu était de 4 milliards de dollars alors que le coût final atteignait 17 milliards. Il se pourrait donc qu'un tel projet coûte quatre fois plus que prévu: 52 milliards plutôt que de 13 milliards. Quelle en sera la part du Québec? Même si la province n'assumait que cinq pour cent du coût global, cela impliquerait quand même des dépenses de 2,5 milliards de dollars.

En juillet 1995, Transports Canada a révélé que Hydro-Ontario n'a jamais créé de fonds destiné à défrayer les coûts qu'occasionnera l'élimination des déchets hautement radioactifs. Bien que la compagnie facture ses clients à cet effet, les fonds ainsi collectés servent plutôt à couvrir les frais courants. Par conséquent, ces argents ne génèrent pas les revenus requis pour financer la future (et incontournable) élimination des déchets. Bref, lorsque cette échéance fatidique sera arrivée, Hydro-Ontario, dont les dettes s'élèvent à 30 milliards de dollars (le même fardeau qu'Hydro-Québec, d'ailleurs), aura à EMPRUNTER ces argents. Il serait raisonnable de croire qu'il existe une situation analogue à Hydro-Québec. Bien entendu, plus le Québec produit de déchets nucléaires, plus la facture pour les transporter et les éliminer sera salée. Par ailleurs, personne ne sait si on peut réellement «éliminer» ces substances car, après tout, l'humanité n'a jamais auparavant «éliminé» quoi que ce soit.

Notre compréhension en évolution

Il y a dix ans, lorsque le Département d'énergie américain se proposait de créer un site d'enfouissement pour déchets hautement radioactifs dans le nord-est des États-Unis (les États du Vermont, du Maine et de New York comptaient parmi les sites éventuels), la population de l'Estrie s'est mobilisée pour s'y opposer. Jean Charest, le député conservateur de Sherbrooke, usait de son influence auprès de l'ambassade canadienne pour que cette dernière prévienne Washington que le Québec verrait d'un mauvais oeil l'implantation près de ses frontières de tout site d'enfouissement de déchets hautement radioactifs. De plus, le gouvernement Bourassa a annoncé son opposition à la création d'une telle installation sur le territoire du Québec ou à proximité de ses frontières. En conformité avec cette position, ce même gouvernement boycottait le processus d'évaluation environnementale du projet d'enfouissement de déchets de la ÉACL, mené par le gouvernement fédéral. Le gouvernement Bouchard n'a pas encore emboîté le pas au gouvernement Bourassa à ce propos.

Durant cette même période, il devenait de plus en plus clair que les réacteurs CANDU présentaient plus de risques que l'on croyait autrefois. D'abord, en 1978, la Commission royale d'Ontario sur la planification en matière d'énergie électrique publia un rapport intitulé A Race Against Time: Interim Report on Nuclear Energy in Ontario. On y affirma que, bien que ce soit fort peu probable, on ne pouvait exclure la possibilité d'accidents catastrophiques impliquant des réacteurs CANDU:

Si on accepte l'hypothèse que d'ici quarante ans une centaine de réacteurs nucléaires seront en opération au Canada, les probabilités d'une fusion au sein d'un réacteur sera de l'ordre d'une fois tous les quarante ans (selon les calculs les plus pessimistes).

Ensuite, en 1979, survînt l'accident de Three Mile Island. Cet incident incita le Comité de surveillance des affaires d'Hydro-Ontario (un comité permanent de l'assemblée législative d'Ontario) à tenir des audiences sur la sécurité nucléaire. Le Comité proféra l'avertissement suivant:

Il est inexact d'affirmer qu'un accident catastrophique est impossible. . . Si jamais le pire accident envisageable se produisait. . . on compterait parmi ses conséquences éventuelles: la dispersion de substances radioactives toxiques sur de vastes superficies, ce qui entraînera aussitôt des milliers de décès; une augmentation de la mortalité provoquée par une plus grande prédisposition aux cancers; des risques de défauts génétiques pouvant toucher les générations à venir; et la contamination possible de larges superficies, ce qui porterait préjudice à l'utilisation de celles-ci à des fins résidentielles et d'agriculture.

Puis, en 1983, un accident totalement imprévu est arrivé dans le réacteur numéro 2 à la centrale Pickering, située moins de 20 milles du centre-ville de Toronto. Une tube de force a éclaté sans préavis au coeur du réacteur provoquant une perte d'agent de refroidissement. (Des spécialistes de l'industrie nucléaire avaient informé le Comité de surveillance qu'une telle rupture subite ne pourrait jamais arriver car si un tube de force venait de ceder, des fuites de l'eau de refroidissement précéderaient sa rupture définitive, ce qui laisserait aux opérateurs suffisamment de temps pour fermer le réacteur et ensuite faire les réparations requises.) Il a fallu remplacer touts les tubes de force dans les réacteurs n° 1 et 2 de Pickering pour éviter une réédition de cet accident. Ces deux réacteurs ont été fermés pendant quatre ans. La facture de l'opération de remplacement des tubes de force a monté à 700 millions de dollars.

Un second regard sur les dangers posés par l'énergie nucléaire

Hydro-Québec devait effectuer des réparations semblables. Toutefois, il y a quelques années, elle changea d'idée devant la facture appréhendée et opta pour une solution plus économique. Ainsi, au lieu de remplacer les tubes de force, on reposition les supports (dits «garter springs» en anglais) dans l'espoir que les tubes de force vieillissants seront moins susceptibles d'éclater s'ils ont des supports bien placˇs dans le coeur du réacteur. La mise en place de ces ajustements a été amorcée à Gentilly-2 de même qu'à la centrale Pointe Lepreau au Nouveau Brunswick. Entre-temps, si Hydro-Ontario a décidé de fermer les réacteurs à la centrale Bruce A c'est essentiellement parce qu'elle n'a pas les moyens financiers d'y remplacer les tubes de force.

Il va sans dire que tout le monde fut bouleversé par l'accident à Tchernobyl. Toutefois, les Canadiens l'ont été plus que d'autres car les réacteurs CANDU ont en commun avec le réacteur de Tchernobyl un défaut de conception malheureux, soit un «coefficient de vide positif». Ce problème existe dans tous les modèles où l'on fait usage de tubes de force. Or, le réacteur de Tchernobyl, tout comme les réacteurs CANDU, était traversé par des tubes de force. Apparemment -- quoi que nul n'en ait la certitude -- un de ces tubes a éclaté à Tchernobyl occasionnant une énorme impulsion de courant (la tension augmenta immensément en très peu de temps) ce qui mena ensuite à une explosion qui souffla le toît de l'enceinte du réacteur. Il se peut que l'éclatement d'un tube de force ait été à l'origine de cette impulsion de puissance.

En effet, le terme «coefficient de vide positif» signifie que lorsque un tuyau ou une tube de force se rompt dans le coeur du réacteur, ou à proximité de celui-ci, il en résulte aussitôt une impulsion de puissance.

En 1952, un tel accident survînt à Chalk River, en Ontario, dans un réacteur expérimental appelé le NRX. Une perte subite de l'eau de refroidissement au coeur du NRX provoqua une grande impulsion de puissance. Des explosions en sélrie s'ensuivirent qui propulsèrent le toît de l'enceinte de confinement des gaz quatre pieds dans les airs qui demeura enfoncé dans la superstructure.

Résultat: des fuites de gaz et de vapeurs radioactifs dans l'atmosphère et le déversement d'un million de gallons d'eaux irradiées dans des tranchées peu profondes non loin de la rivière Outaouais. Le coeur du réacteur étant totalement anéanti, il fallut l'enterrer comme déchets radioactifs.

En 1969, un accident semblable arriva au réacteur Lucens en Suisse. L'éclatement d'une tube de force y provoqua une impulsion de courant et le réacteur (un petit appareil expérimental construit dans une caverne rocheuse) sauta. Il fut totalement détruit. La majeure partie des substances radioactives fut contenue dans la caverne.

Qu'en est-il de notre sûreté?

Les réacteurs CANDU modernes, comme celui de Gentilly-2, sont dotés de systèmes de sûreté sophistiqués conçus pour prévenir la perte de contrôle lors de tels accidents. N'empêche, aucune invention humaine n'est à toute preuve. En 1989, la Commission de contrôle de l'énergie atomique du Canada (l'agence chargée de l'autorisation des réacteurs nucléaires au Canada) fit rapport au Conseil du trésor. En voici des extraits:
Au moment de la conception des centrales nucléaires canadiennes, il y a deux décennies, la complexité de ces projets était admise tout comme le risque d'éventuelles conséquences catastrophiques. Leur conception répondait à des normes élevées. Des systèmes spéciaux de sûreté en furent incorporés pour prévenir les dérèglements ou en atténuer leurs conséquences. . . Concernant l'évaluation de la sécurité d'une installation, les concepteurs et propriétaires de centrales nucléaires adoptèrent un processus relativement simple.

Depuis lors, l'expérience canadienne (et internationale) a démontré que cette approche était trop simpliste. Aujourd'hui, on sait qu'une série d'erreurs communes -- et généralement sans conséquence lorsqu'elles surviennent isolément -- peut donner lieu à une multitude d'accidents différents et imprévisibles. D'ailleurs, c'est ce qui survînt avec éclat à Three Mile Island et à Tchernobyl. . .

Par conséquent, il reste bon nombre de problèmes de sécurité à résoudre. Ces préoccupations sont d'autant plus importantes que douze des réacteurs canadiens les plus importants se trouvent à proximité de Toronto. . .

De plus, le processus d'évaluation de la sécurité de la CCÉA a été trop simpliste. On croyait qu'il suffirait de faire des contrôles surprises d'un nombre assez restreint de secteurs-clés. En réalité, ces contrôles ont permis de dépister une quantité de problèmes de sécurité tellement importante que des contrôles plus approfondis s'imposent. Bref, les risques associés aux centrales nucléaires sont peut-être plus importants que l'on croyait autrefois. . .

L'ampleur de la tâche dépasse les moyens à la disposition de la CCÉA. Elle n'a pas suffisamment de ressources pour analyser les connaissances et les informations qui ne cessent de s'accumuler. . .

La facture d'un accident grave peut être très élevée. L'accident à Tchernobyl a coûté 16 milliards de dollars à l'économie soviétique (cela comprend les dépenses engagées pour remplacer l'énergie non-produite). Quant à Three Mile Island, cet accident a coûté 4,8 milliards de dollars aux USA. . .

On ne peut dire des réacteurs CANDU qu'ils sont plus sécuritaires ou, inversement, moins sécuritaires que d'autres types de réacteurs.

Ces dernières années, nombre de sérieux problèmes de sûreté ont été dépistés à Gentilly-2 alors que les officiels de la CCÉA se sont mis à faire des enquêtes plus approfondies qu'auparavant. L'été passé (1995), le public a su, par hasard, que les autorités de la région de Trois-Rivières se proposaient de réduire le rayon de la zone d'évacuation autour de Gentilly-2 et ce, même si les problèmes de sûreté non-résolus s'y multipliaient (voir l'annexe A ou on examine quelques-uns de ces problèmes). L'industrie nucléaire a toujours eu la caractéristique curieuse de mener ses affaires dans le plus grand secret. Du reste, le cas qui nous occupe ne fit pas exception à la règle: aucun des maires des treize municipalités qu'on projetait d'exclure de la zone d'évacuation n'a été consulté ni avisé, pas plus que le Conseil régional de développement (CRD-04), d'ailleurs. Il a fallu le reportage de Danny Brown à l'émission radiophonique Dimanche Magazine pour qu'ils aient vent du projet.

C'est une ironie savoureuse que les partisans du nucléaire s'acharnent tant à convaincre le public de la sûreté de l'énergie nucléaire alors que cette industrie soit la seule au Canada à jouir d'une protection légale contre toute responsabilité financière - au-delà d'une somme dérisoire - advenant un accident industriel majeur. La loi sur la responsabilité financière de l'industrie nucléaire limite les dommages-intérêts dont est passible le propriétaire d'une centrale nucléaire à 75 millions de dollars et ce, bien que les dégâts causés puissent potentiellement atteindre des dizaines de milliards de dollars. De plus, les fournisseurs d'équipements nucléaires sont, sous les dispositions de cette loi, totalement exempts de toute responsabilité financière, même dans le cas où ils auront fourni des pièces défectueuses mises en cause lors d'un accident. Qui plus est, aucune compagnie d'assurance n'offre une couverture contre les risques d'irradiation découlant d'un accident nucléaire. En effet, il existe dans toutes les polices d'assurance, sans exception, une disposition standard où il est affirmé que l'assuré ne jouit d'aucune couverture en cas de contamination radioactive. Conclusion, bien que l'industrie soit convaincue de la sûreté de ses réacteurs, elle n'est guère prête à parier là-dessus.

L'irradiation chronique

Pendant ce temps, la centrale Gentilly-2 continue à fonctionner à perte, à produire de l'énergie excédentaire et trop dispendieuse, à pâtir des problèmes de réparations et d'entretien coûteux, à accumuler des déchets nucléaires (bel héritage pour les générations à venir !), et à exposer la population environnante à des risques non-nécessaires de même qu'à une irradiation aussi routinière qu'inévitable.

Tout réacteur CANDU émet de grandes quantités d'hydrogène radioactif dans les airs et les eaux. Cet hydrogène radioactif, ou «tritium», s'incorpore aisément dans les molécules d'eau et ce, que ce soit sous forme de liquide ou de vapeur. La population environnante d'une centrale nucléaire, celle habitant les régions en vent arrière ou en aval, de même que les consommateurs de produits agricoles locaux (le lait et la viande compris), absorbent tous du tritium dans leur corps. Bref, pour s'exposer au tritium on n'a qu'à respirer de l'air contaminé, boire du lait ou de l'eau contaminés, manger des aliments contaminés ou absorber cette substance directement au travers de la peau. (Selon Hydro-Québec, la moitié du tritium en suspension dans l'air absorbé par les êtres humains passe par les poumons tandis que l'autre moitié passe directement par la peau.)

Bien que le tritium soit une substance de teneur radioactive très faible, il reste une substance dangereuse, comme c'est le cas de toute matière radioactive. Par ailleurs, le tritium pose des risques imparfaitement compris. En effet, comme il a des propriétés semblables à l'hydrogène ordinaire il peut s'incorporer aux molécules organiques du corps dont, notamment, les molécules d'ADN. Des tests sur des animaux ont démontré les impacts nuisibles du tritium au niveau génétique ainsi que sur le plan du développement des embryons. Bien entendu, les dosages administrés aux animaux en laboratoire dépassent très largement les niveaux d'irradiation subis par les populations humaines concernées. Ceci dit, les études scientifiques indiquent que lorsqu'il s'agit de «mutagènes» (substances pouvant occasionner des dommages d'ordre génétique) il n'y pas de dosage sûr car toute exposition, aussi minime soit-elle, peut endommager une cellule et, par conséquent, mener à la naissance d'un enfant endommagé sur le plan génétique.

Depuis quelques années, la Commission conjointe internationale, l'agence veillant à la réglementation et au contrôle de la pollution dans les Grands Lacs, nous met en garde contre une accumulation de tritium dans le Lac Ontario qui atteint des niveaux inacceptables en raison de l'exploitation des centrales nucléaires CANDU. La Commission conjointe internationale souhaite que le tritium soit traité comme une «substance toxique durable» et suggère l'application d'une politique ayant pour but ultime des émissions nulles en matière de substances toxiques durables. Si une telle politique était appliquée au fleuve St-Laurent cela signifierait l'arrêt de mort de Gentilly-2. Plus récemment encore, en Ontario, le Advisory Committee Regarding Environmental Standards (ACRES) (le Comité consultatif sur les normes environnementales) a souligné que si on traitait le tritium au même titre que d'autres substances toxiques (c'est-à-dire des substances toxiques chimiques), on aurait à réduire les niveaux admissibles de tritium émis dans l'environnement par environ dix mille fois. Le gouvernement ontarien n'a pas mis en application cette recommandation implicite; il trouve sans doute inconcevable l'idée de fermer l'ensemble de ses centrales nucléaires. Toutefois, il n'est pas de raison pour ne pas adopter une telle norme au Québec, même si cela implique la fermeture de Gentilly-2. Nous pourrions utiliser les 80 millions de dollars en frais d'exploitation annuels ainsi épargnés pour réduire la dette d'Hydro-Québec ou encore pour investir dans l'efficacité énergétique.

(Hydro-Québec prétend que bien que Gentilly-2 soit déficitaire, les frais d'exploitation de la centrale sont inférieurs aux revenus procurés par l'énergie produite -- donc, il ne serait pas rentable de la fermer. Cependant, cette thèse est sans fondement. L'offre d'électricité au Québec est actuellement excédentaire. D'ailleurs, cela a été le cas durant les onze ans d'exploitation de Gentilly-2. Évidemment, il y a nul besoin de remplacer de l'énergie excédentaire car on n'en a justement pas besoin. Comme les coûts d'exploitation de Gentilly-2 sont énormément plus élevés que ceux de n'importe quel barrage, oui, Hydro-Québec ferait des économies si elle fermait Gentilly-2.)

De nouveaux points d'interrogation au chapitre de la santé

Tout comme les réacteurs sont vus aujourd'hui comme plus dangereux que l'on nous menait à croire autrefois, on admet désormais que les risques pour la santé de l'irradiation chronique sont sensiblement plus élevés que l'on prétendait. En 1990, le cinquième Comité sur les effets biologiques de la radiation ionisante (BEIR-V) de l'Académie nationale des sciences des États-unis publia une analyse soigneuse indiquant que les radiations de faible intensité étaient de sept à dix fois plus susceptibles de provoquer des cancers chez les êtres humains que l'on croyait auparavant. Depuis lors, à la vue de preuves scientifiques irréfutables, la Commission internationale pour la protection radiologique (CIPR) a été contrainte de recommander une réduction des niveaux d'irradiation admissibles et ce, tant pour les travailleurs du nucléaire que pour le public. Pour sa part, la Commission de contrôle de l'énergie atomique du Canada (traditionnellement peu disposée à prôner des contrôles plus sévères) commence à imposer des normes plus strictes.

Or, le cancer n'est pas l'unique conséquence néfaste posée par l'irradiation. Les enfants à naître en sont souvent des victimes innocentes. Une étude britannique inquiétante a démontré que l'incidence de la leucémie s'accroît de façon significative chez les enfants dont les pères sont sujets à l'irradiation au travail. Le BEIR-V de même que le Comité scientifique sur les effets de l'irradiation de l'ONU (UNSCEAR) ont tous deux récemment confirmé que l'arriération mentale des enfants représente un risque réel lorsque les femmes enceintes sont sujettes à l'irradiation durant un stade critique du développement de l'embryon. Les preuves existantes indiquent qu'il n'y a peut-être aucun seuil d'irradiation prénatale sans danger de perte d'intelligence. En d'autres termes, à chaque fois qu'une femme enceinte s'expose à une dose de radiation, aussi minime soit-elle, cela pourrait entamer l'intelligence de son bébé.

Dans des études effectuées sur des animaux, il a été démontré que le tritium peut provoquer des effets tératogènes (c'est-à-dire des difformités et autres défauts prénataux). Il y a quelques années, dans la région environnante de la centrale Gentilly-2, l'incidence de difformités chez les nouveaux-nés était très au-dessus de la moyenne. On n'en a jamais déterminé la cause (pour sa part, le Département de santé communautaire a trouvé peu probable un lien entre ces difformités et l'irradiation). Cependant, il s'est produit la même chose à proximité de la centrale Pickering, près de Toronto. Ce phénomène fut signalé par le Syndicat des travailleurs atomiques (organisation pourtant partisane de l'énergie nucléaire). Par ailleurs, en Inde, on a relevé de nombreux cas d'enfants nés avec des difformités et d'autres problèmes de santé bizarres dans un village non loin de la centrale nucléaire du Rajasthan. Dans les trois cas, des réacteurs nucléaires de type CANDU étaient en opération tout près. Or, le CANDU est le type de réacteur commercial qui émet le plus de tritium dans l'environnement -- et ce, de beaucoup.

Le Regroupement pour la surveillance du nucléaire (RSN) croit que les autorités de la santé et les responsables politiques agissent d'une manière irréfléchie en prenant pour acquis, sans s'appuyer sur des preuves, qu'il n'existe pas de lien entre les problèmes sus-mentionnés et les importantes émissions de tritium associées aux réacteurs CANDU. À vrai dire, le RSN est d'avis qu'il ne faudrait tolérer aucune émission dans l'environnement de substances dangereuses connues, qu'elles soient cancérigènes, mutagènes ou tératogènes. S'agissant de sûreté, le fardeau de la preuve devrait incomber à l'industrie nucléaire et non pas au public.

Pour s'en sortir

Il est temps de tourner la page sur cette triste aventure en éliminant progressivement l'énergie nucléaire au Québec. Pour commencer, il faudra: fermer le réacteur de Gentilly-2; arrêter la construction des silos de stockage à sec de déchets hautement radioactifs; et entamer des négociations entre Hydro-Québec et Hydro-Ontario sur le transfert vers l'Ontario du combustible nucléaire irradié actuellement entreposé au Québec. (C'est dans la province voisine où on trouve les plus importants stocks de déchets radioactifs au Canada.)

De plus, le gouvernement du Québec devrait faire pression sur le gouvernement du Canada pour que ce dernier finance le démantèlement complet et définitif des structures radioactives que sont Gentilly-1 (la dite installation étant de la propriété fédérale).

On a tout intérêt à démanteler Gentilly-1. Premièrement, comme il s'agit, de toute façon, d'une besogne incontournable, on ne gagne rien à hésiter. Mettons-nous à l'oeuvre dès maintenant ! Deuxièmement, on créera de la sorte des emplois et des occasions d'affaires pour des gens possédant une expertise dans le domaine du nucléaire. Troisièmement, c'est une réalité qu'à date, dans le monde entier, personne n'a effectué un démantèlement complet d'un réacteur de taille importante affecté à la production de l'électricité. Il s'ensuit que les premiers à réaliser une telle opération seront très bien placés pour commercialiser les instruments et compétences requis sur le marché international. D'ailleurs, l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) estime qu'internationalement, une centaine de réacteurs exploités à des fins de production d'électricité doivent être mis hors service d'ici la première décennie du 21ième siècle. Chaque contrat de mise hors-service vaudra au moins 100 millions de dollars. Donc, un marché potentiel d'un milliard de dollars. Quatrièmement, comme le réacteur à Gentilly-1 n'a fonctionné que 180 jours, il est moins radioactif que tout autre réacteur d'une taille comparable. Cela aurait pour heureuse conséquence que les travailleurs puissent y développer leurs instruments et techniques dans un environnement plus sécuritaire et moins radioactif que presque partout ailleurs. Finalement, comme le démantèlement de structures radioactives nécessite l'emploi d'équipements robotisés, les perspectives sont bonnes quant aux retombées en matière de robotique applicables à d'autres secteurs non-connexes.


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