Wuwei (philosophie chinoise)

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Wuwei, wu wei ou wou wei (chinois simplifié :  ; chinois traditionnel :  ; pinyin : wúwéi) est une notion taoïste qui peut être traduite par « non-agir[1] » ou « non-intervention[2] ». Pour autant, ce n'est pas une attitude d'inaction ou de passivité, mais le fait d'agir en conformité avec « l'ordre cosmique originaire[3] », le mouvement de la nature et de la Voie (Tao)[1].

L'expression paradoxale wei-wu-wei, « agir sans agir », est centrale dans le taoïsme et reste l'objet de nombreuses interprétations ; elle est notamment utilisée par Lao Tseu tout au long du Tao Tö King[4].

Lao Tseu a fait de wuwei un principe politique de gouvernement idéal ; son influence se traduit par le fait que le trône de plusieurs empereurs (comme Kangxi) était surmonté d'un panneau de laque qui portait l'inscription wuwei, en tant que devise nationale, et ce jusqu'à la fin de la Chine impériale en 1911. Plusieurs entrepreneurs chinois ont également une plaque avec cette inscription dans leur bureau[5].

Définitions[modifier | modifier le code]

Lao Tseu, Mythes et Légendes de Chine, 1922 par E. T. C. Werner

Wuwei est, dans le taoïsme, le fait de « suivre le flux naturel des choses et l'ordre cosmique originaire, sans le perturber ni tenter de le modifier[3] ». C'est agir en conformité avec le mouvement de la nature et de la Voie (Tao)[1].

Wuwei est souvent traduit par « non-agir », toutefois, selon l'anthropologue François Laplantine « elle désigne ou plutôt suggère une attitude de réceptivité et de disponibilité extrême aux évènements et aux situations dans lesquels nous nous trouvons inclus et impliqués sans en avoir la maîtrise[6]. » C'est, dans la pensée taoïste, une « notion empirique qui s’expérimente dans un processus de dessaisissement et de non affirmation de soi[6] ».

Wu, le non-être[modifier | modifier le code]

Wu en chinois (mu en japonais) peut se traduire par « rien, non-être, néant, vide ». Les langues européennes, pour la plupart, désignent une réalité lorsqu'elles emploient le mot être. Le non-être, quant à lui, désigne donc une non-réalité. Ce dualisme n'est pas partagé pour la langue, voire la culture chinoise, pour lesquelles le néant n'est pas un vide absolu : « ce n’est pas grand-chose, mais ce n’est pas rien. C’est très proche de ce que Jankélévitch (1981[7]) appelle « le presque rien[6]. » Le non-être chinois est comme un lieu de possibilités de genèse qui ressemblerait à une graine qui germerait, pour ensuite entrer en maturation, éclore et disparaître[6].

Politique[modifier | modifier le code]

Lao Tseu a fait de wuwei un principe politique de gouvernement idéal[8] ; son influence se traduit par le fait que le trône de plusieurs empereurs (comme Kangxi[5]) était surmonté d'un panneau de laque qui portait l'inscription wuwei, en tant que devise nationale, et ce jusqu'à la fin de la Chine impériale en 1911[9]

Outre le taoïsme, la posture non-interventionniste du souverain est aussi abordée dans le confucianisme et le légisme[10].

Éthique[modifier | modifier le code]

Au niveau éthique, le wuwei se manifeste chez celui ou celle qui a cessé les actions égoïstes et passionnelles et les a remplacées par l'humilité, l'altruisme, la tolérance, la douceur, et ceci sans aucune prétention à la sagesse[3].

Le wuwei peut être compris comme une éthique comportementale. C'est là un modèle nécessitant, de la part de l'individu qui le pratique, « une attention diffuse non focalisée, non précipitée, non arrêtée et bloquée sur une perception particulière, ce qui risquerait d’anticiper une position et de contrarier le flux d’un processus en cours[6]. »

Wuwei peut être rapproché, dans la philosophie indienne, du terme sanskrit Naishkarmya (नैष्कर्म्य)[11] (IAST : naiṣkarmya), traduit également par « non-agir[12] » et qui est l'attitude qui permet la libération de tout karma grâce au non-attachement à l’action et à ses fruits. Il est par exemple utilisé dans la Bhagavad-Gita (chapitre III « Karma-yoga », verset 4)[13].

Neurosciences[modifier | modifier le code]

Le professeur Edward Slingerland a écrit, en 2014, Trying Not to Try (littéralement « Essayer de ne pas essayer ») dans lequel il fait un parallèle entre la philosophie chinoise ancienne et les neurosciences cognitives, concernant le fonctionnement de wuwei en tant qu'attitude spontanée qui fait que « l'acte que vous êtes en train d’accomplir vous réussit par enchantement, sans effort, ni volonté : votre tâche se remplit d’elle-même, pour ainsi dire, presque sans vous[14] ». Il indique dans une entrevue : « Dans l’état de wu wei, les régions du contrôle cognitif sont partiellement régulées à la baisse dans votre cerveau : vous n’êtes pas en train d’exercer un contrôle actif. C’est également le cas lorsque vous êtes en état d’ivresse. [Par exemple] il existe une étude réalisée en observant, à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), le cerveau des pianistes de jazz en train d’improviser. On observe alors, comme sous l’effet de l’alcool, que les régions cérébrales responsables du contrôle conscient sont partiellement désactivées. Mais une autre région, appelée « cortex cingulaire antérieur » (CAA) reste active : c’est la partie du cerveau qui surveille les situations de contradiction, de conflit entre les processus mentaux[14]. »

Psychologie[modifier | modifier le code]

En psychologie, wuwei est comparée à l'état mental flow[15] ou encore à la méthode de l'imagination active[16].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Pierre Marsone, « Zhuangzi », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  2. Marcel Granet, La pensée chinoise (1934), Albin Michel, (lire en ligne).
  3. a b et c Gerhard J. Bellinger, Encyclopédie des religions, Librairie Générale Française, (ISBN 9782253131113), p. 731.
  4. (en) David Loy, « Wei-wu-wei: Nondual action », Philosophy East and West, vol. 35, no 1,‎ , p. 73-87 (lire en ligne).
  5. a et b (en) Nick Obolensky, Complex Adaptive Leadership, Ashgate Publishing, (lire en ligne), p. 196.
  6. a b c d et e François Laplantine (2016) "Wu wei", in Anthropen.org, Paris, Éditions des archives contemporaines.
  7. Jankélévitch, Vladimir, (1903-1985), Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien. 2, La méconnaissance, le malentendu, Paris, Éd. du Seuil, , 247 p. (ISBN 2-02-006001-9, 9782020060011 et 2020057980, OCLC 489294009, lire en ligne)
  8. (en) Herrlee Glessner Creel, What Is Taoism?, University of Chicago Press, (lire en ligne), p. 52
  9. Claude Grégory, « La pensée chinoise », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  10. Rémi Mathieu, « La Lumière dans les ténèbres : le taoïsme originel dans la Chine antique », Rue Descartes, vol. 84, no 1,‎ , p. 11 (ISSN 1144-0821 et 2102-5819, DOI 10.3917/rdes.084.0011, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Georg Feuerstein, The Deeper Dimension of Yoga : Theory and Practice, Shambhala Publications, (lire en ligne), p. 47.
  12. Gérard Huet, Dictionnaire Héritage du Sanscrit, version dico en ligne entrée « naiṣkarmya », lire: [1]. Consulté le .
  13. (en) Jeaneane D. Fowler, The Bhagavad Gita : A Text and Commentary for Students, Sussex Academic Press, (lire en ligne), p. 52.
  14. a et b « «Wu wei», l’art de réussir sans essayer », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  15. Barrett, Nathaniel. (2011). Wuwei and Flow: Comparative Reflections on Spirituality, Transcendence, and Skill in the Zhuangzi. Philosophy East and West. 61. 679-706. 10.1353/pew.2011.0051.
  16. Bou-Yong Rhi, « Comme les rivières de Lao Tseu », Cahiers jungiens de psychanalyse, vol. 133, no 1,‎ , p. 141 (ISSN 0984-8207 et 2262-4783, DOI 10.3917/cjung.133.0141, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]