Signes précurseurs de l'orage en Iran

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Par Guennadi Evstafiev, général en retraite du service de renseignements extérieur - RIA Novosti.

Les autorités iraniennes et les représentants de l'élite iranienne transfèrent précipitamment leurs dépôts des banques européennes dans des banques d'Asie et, naturellement, de Suisse où, en règle générale, les sanctions ne sont pas prises en considération. Il s'agit de plusieurs milliards de dollars.

Nombreux sont ceux qui y voient l'une des étapes préalables de la mobilisation de Téhéran avant un conflit armé éventuel avec les Etats-Unis et leurs alliés, si la tentative de règlement de la situation autour du programme nucléaire iranien ne donne rien. Les Iraniens se souviennent probablement de leurs propres leçons et de la triste expérience de l'Irak, pays voisin attaqué par la coalition américaine également sous le prétexte fallacieux de "dissimulation à la communauté mondiale de stocks d'armes de destruction massive".

Malgré la dissemblance des régimes et des potentiels politiques et économiques de ces deux Etats, le scénario mis au point à Washington contre l'Iran rappelle étrangement celui prévu pour l'Irak. Cependant, selon certains indices, les stratèges américains manquent d'assurance après les revers essuyés en Irak, ce qui veut dire que le règlement du problème par des moyens diplomatiques a une chance supplémentaire.

George Bush-junior est président sortant, donc rien ne peut, semble-t-il, le dissuader d'agir de manière hasardeuse en politique étrangère. D'autre part, chacun voudrait entrer dans l'histoire avec une image plus attrayante. Mais le problème est que le proche entourage du président américain ne cherche nullement à laisser une trace positive dans l'histoire, il est probablement hanté par le désir messianique de montrer la suprématie militaire de la superpuissance américaine et la volonté de porter une lourde croix, celle du pays propageant la seule démocratie juste: la démocratie américaine.

Ces derniers temps, l'entourage de George Bush donne le ton aux tentatives faites pour accélérer la préparation d'un coup au régime de Téhéran qui, il faut le reconnaître, est un partenaire difficile aussi bien pour les diplomates que pour les fonctionnaires internationaux qui essaient de trouver un compromis pour régler le problème nucléaire iranien.

Le but poursuivi par les Etats-Unis en Iran est évident: renverser le régime actuel, placer sous leur contrôle les ressources de pétrole et de gaz et utiliser son territoire pour transporter les hydrocarbures par la voie la plus courte: via l'Asie centrale et la Caspienne, en contournant la Russie et la Chine, et, naturellement, sous le contrôle des Américains. Sans parler de l'importance stratégique de l'Iran du point de vue militaire.

Les visées de l'Iran dont la politique est loin d'être souple ne sont pas nettes. Bien entendu, l'Iran voudrait détenir des armes nucléaires, en suivant l'exemple du Pakistan. D'ailleurs, ce sont les Etats-Unis, champions de la non-prolifération des ADM, qui ont permis au Pakistan de se doter de la bombe atomique et qui jurent maintenant fidélité à l'Inde, adversaire du Pakistan.

Selon les ayatollahs, l'arme nucléaire rendrait l'Iran invulnérable à toute pression extérieure et en ferait la principale puissance dans la région du golfe Persique. Il est vrai, l'éminent diplomate suédois Rolf Ekeus affirme que le programme nucléaire iranien ne vise pas les pays occidentaux, qu'il est apparu en réponse au programme nucléaire de Saddam Hussein. Maintenant qu'il n'est plus nécessaire de répondre aux actions de Saddam Hussein et que l'on proclame officiellement que le programme iranien a un caractère purement civil, à quoi bon déclarer avec grandiloquence qu'Israël, comme Carthage, doit être rasé de la carte, comme si Téhéran détenait déjà des armes nucléaires? Si Téhéran avait opposé une politique pacifique et raisonnable aux visées agressives de la Maison Blanche, cela aurait assuré à l'Iran bien plus d'avantages et d'alliés, ce qui aurait rendu impossible le déclenchement d'opérations militaires.

Or, puisque l'Iran n'applique pas encore une telle politique, on peut s'attendre à tout, surtout si les Américains et les Israéliens provoquent, en se servant de leurs agents, un acte terroriste sanglant au Proche-Orient et l'attribuent aux idéologues de Téhéran.

Connaissant le stéréotype de la mentalité des dirigeants actuels de l'administration américaine, on peut supposer l'existence du scénario suivant. Tout d'abord, persuader la communauté mondiale que les pourparlers avec l'Iran sont une étape dépassée et qu'il faut prendre des sanctions contre ce pays. Les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU contre ce pays sont l'élément principal du plan américain. Les sanctions du Conseil de sécurité permettront d'entreprendre des actions qui, indépendamment de l'opinion mondiale, pourraient conduire à l'emploi de la force contre Téhéran dans le but de renverser le régime en place.

Mais cela nécessite, tout d'abord, de renforcer l'alliance occidentale. Malgré toutes les déclarations publiques du ministre britannique des Affaires étrangères Jack Straw, selon lesquelles la voie militaire est "inconcevable", le premier ministre Tony Blair soutient, comme toujours, George Bush. En sa qualité de partenaire, il est chargé de s'occuper des chiites en Irak, car, à défaut d'apaiser ce groupe de population, il sera difficile d'assurer le succès d'une opération contre un Iran qui peut à tout moment actionner le levier chiite pour opposer une riposte asymétrique.

D'ailleurs, ceci montre que le problème de la "deuxième étape" - l'isolement total de l'Iran - est loin d'être réglé, et c'est la raison pour laquelle toute l'attention est actuellement accordée à la pression psychologique exercée sur l'Iran et, par la même occasion, sur les pays qui empêchent les Américains d'agir en toute liberté.

En janvier dernier, John Negroponte, directeur du renseignement national, a chargé Leslie Ireland, agent de renseignement ayant travaillé pendant plus de 20 ans au Proche-Orient, d'une mission en Iran. Il n'est pas difficile de deviner le caractère de cette mission. De plus, Joseph Cirincione, grand spécialiste de la non-prolifération des ADM, déclare qu'il s'est trompé en estimant que l'administration Bush n'a pas l'intention de porter un coup à l'Iran. A présent, il est certain, que le président George Bush a cette intention.

Quant au Pentagone, en réponse aux affirmations selon lesquelles les Iraniens ont de nombreux sites nucléaires et militaires souterrains, il annonce fièrement les essais de bombes de 700 tonnes à guidage précis, capables de détruire des cibles (bunkers et entrepôts) enfouis profondément sous la terre.

Selon une information diffusée par les Américains, les dirigeants iraniens essaient de s'entendre avec le président de la Turkménie sur leur présence sur le territoire de ce pays pendant la période des actions militaires. Le dernier faux concernant la transmission par les services secrets russes aux Irakiens de renseignements sur la préparation de l'agression américaine poursuit manifestement le but de créer un climat politique susceptible de dissuader les pays qui en auraient l'intention d'apporter un soutien à Téhéran.

On peut mentionner également la résolution soumise au début de 2006 au sénat sur l'interdiction (par qui?) des livraisons d'armes à l'Iran en provenance de Russie et de Chine. Que faire alors de l'Ukraine, cet allié "orange", qui aurait fourni 250 charges nucléaires à l'Iran?

Bref, les Américains agissent maladroitement, en répétant les erreurs commises en Irak.

Certes, Condoleezza Rice préfère la capitulation des Iraniens, mais, apparemment, c'est impossible, car Téhéran a ses propres "faucons". Il reste à miser sur une révolution, de préférence "de velours", ou sur une attaque éclaire.

On peut prévoir que l'administration américaine agira avec le minimum de pertes et qu'elle misera principalement sur les missiles de croisière, les drones et d'autres moyens de guerre efficaces. C'est la raison pour laquelle les "faucons" iraniens ont récemment fait la démonstration de leur arsenal. Mais les principaux moyens iraniens de lutte contre les Etats-Unis sont autres, ce qui crée une asymétrie qui peut coûter cher aux Etats-Unis et encore plus cher à leurs alliés.

La situation évolue par bonds, à intervalles d'un mois, et s'approche, une nouvelle fois, de l'heure de vérité. Le ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki a déclaré le 30 mars à la Conférence sur le désarmement que l'Iran était prêt à envisager la création de groupes régionaux d'enrichissement de l'uranium avec la participation de toutes les parties intéressées. Est-ce une proposition de compromis ou une tentative pour gagner du temps? Entre-temps, une nouvelle inspection de l'AIEA a commencé en Iran (les inspecteurs de l'AIEA y ont déjà travaillé 1700 jours, mais ils n'ont pas trouvé de preuves de l'existence d'un programme militaire).

Vus de l'extérieur, tous les procédés américains sont maladroits. Mais il ne faut pas négliger les résultats des efforts propagandistes de l'administration Bush: selon les sondages d'opinion, la proportion d'Américains approuvant l'emploi de la force contre l'Iran ne cesse de croître. Le 15 mars dernier, elle a atteint plus de 55%. La propagande ininterrompue des exigences les plus injustes est une force puissante. La preuve en a été administrée pendant le IIIe Reich.

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