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Association pour l'étude des risques du travail




Effets sur la santé des fibres de substitution à l'amiante


Un document d'expertise collective de l'INSERM, relatif aux effets sur la santé des fibres de substitution à l'amiante vient de paraître, sans apporter de réponses nettes, ni convaincues, ni convaincantes, aux questions du Ministère des Affaires Sociales et du Ministère de la Santé.

Compte tenu des demandes qui nous parviennent, tant des professionnels de la santé au travail, que des représentants des personnels exposés dans diverses entreprises, il nous a semblé nécessaire que pouvoirs publics et partenaires sociaux puissent discuter de la future réglementation en se référant à une expertise complémentaire, sachant que les employeurs sauront déposer pour leur part de volumineux dossiers.

Nous avons donc demandé un document de synthèse - présenté ci-après - à Henri PEZERAT, toxicologue qui, depuis des années préconise de nouvelles mesures de prévention face à ces fibres. Les pouvoirs publics devant prochainement mettre en conformité la réglementation française avec la directive européenne de décembre 1997, nous souhaitons que le document ci-joint figure parmi les documents de référence au même titre que ceux des employeurs, de l'INSERM et du G2SAT. Pour notre part, nous tenons à apporter notre soutien aux propositions de prévention qu'il préconise tant pour les fibres céramiques que pour les laines minérales et les microfibres.

 

Paris, septembre 1998.

 

 



Document de synthèse sur la toxicité des fibres de substitution à l'amiante et sur les mesures de prévention à engager.


Henri PEZERAT
août 1998





Les Ministères des Affaires sociales et de la Santé, dans le prolongement des mesures prises sur l'amiante, ont demandé à l'INSERM un rapport d'expertise sur les effets sur la santé des fibres de substitution, ce qui impliquait pour l'essentiel de répondre - à mon sens - aux questions suivantes :

Peut-on dire avec quelque certitude qu'il existe des effets sur la santé des fibres de substitution à l'amiante, et si oui, lesquels, suite à l'exposition à quels matériaux ? Et enfin, quelles connaissances avons-nous qui permettraient de construire une politique de prévention et sinon de précaution ?

Le document de synthèse du rapport du groupe d'experts INSERM vient de paraître. Il se présente essentiellement comme une somme d'interrogations et de conseils pour des recherches futures afin d'améliorer des connaissances qui apparaissent si partielles et insuffisantes qu'il n'est décidément pas possible de répondre aux questions ministérielles.

Globalement le document est essentiellement une énumération d'incertitudes quand ce n'est pas une condamnation d'une certaine démarche de prévention qui apparaît trop empirique aux yeux du groupe d'experts. Par exemple, dans le cadre de la démarche visant à rendre les fibres plus aisément solubles en milieu pulmonaire, et par là même moins toxiques, le document prend la peine de condamner sévèrement les différents modèles empiriques utilisés pour guider les modifications à apporter aux divers processus de fabrication !

Le titre même du communiqué de presse de l'INSERM, après un rappel des questions ministérielles, en l'occurrence : " De nombreuses questions en suspens ", illustre bien l'échec de la démarche, en tant que démarche d'expertise.

Et pourtant, malgré les incertitudes inévitables et au delà de ces incertitudes, il était possible d'avancer des convictions fondées ou des fortes probabilités et de faire des propositions de prévention… Aussi, ce mémoire s'attachera - t - il dans une première partie à présenter une expertise complémentaire fondée sur les connaissances disponibles , assortie de propositions concrètes pour une politique de prévention dans l'usage des fibres de substitution à l'amiante.

Dans une seconde partie, le document de l'INSERM étant l'illustration - pour le moins - d'un malentendu sur ce que la société attend d'une expertise scientifique, j'ai jugé nécessaire de préciser ce que l'on doit entendre sous ce vocable, la question devenant de plus en plus d'actualité au fur et à mesure que la société se heurte à des débordements scientifiques et technologiques, sans que soient toujours pris en compte les impératifs de la Santé publique.

 

I] Expertise complémentaire et propositions

Il ne s'agit ici, bien entendu que d'un document de synthèse, fruit de plusieurs années de recherches, d'études, de discussions et de propositions.

Définition des matériaux en cause

Pour l'essentiel les fibres de substitution à l'amiante sont des fibres minérales où l'on compte deux groupes importants (les laines minérales et les fibres céramiques) et des groupes mineurs. Il existe également des fibres organiques , dont il ne sera pas question ici en raison de la pauvreté des données et de leur importance secondaire sur le marché. Il s'agit en l'occurrence de fibres d'alcool polyvinylique, des fibres d'aramide, des fibres de cellulose, et des fibres obtenues à partir d'une découpe de vieux journaux.

On trouvera cependant en annexe la référence de deux documents de synthèse sur ces fibres organiques, édités en avril et en juillet 1998 par des groupes d'experts anglais. Leur conclusion est qu'il est possible d'affirmer - malgré la faiblesse des données - qu'il s'agit de matériaux nettement moins toxiques que le chrysotile.

Une définition des deux principaux groupes des fibres minérales a été avancée récemment par la Directive 97/69 de la Communauté européenne.

Au delà de ces deux grands groupes de fibres minérales, six autres matériaux sont susceptibles de générer une pollution en milieu de travail :

Les effets sur la santé des fibres céramiques

L'absence de recul historique et les temps de latence élevés des fibroses et des cancers font que l'épidémiologie a encore peu de choses à dire. Sauf à noter cependant l'apparition de plaques pleurales dans une population exposée à ces fibres, à des concentrations relativement faibles. Par analogie avec l'amiante où ce type de pathologie est celui qui apparaît le plus rapidement et avec la plus forte fréquence, on est au moins amené à considérer comme possible l'analogie des effets sur la santé des fibres de céramique et de l'amiante.

En expérimentation animale, par contre, les données sont sans ambiguïté sur plusieurs espèces animales et par diverses voies d'exposition. Les fibres céramiques entraînent, à l'égal de l'amiante, des fibroses pulmonaires, des cancers du poumon et des mésothéliomes.

Qui plus est, dans une comparaison en nombre de fibres inhalées chez le rat, la fibrose produite est plus accentuée avec les fibres céramiques qu'avec 50 fois plus de fibres de chrysotile.

En inhalation toujours, le hamster présente un nombre record de tumeurs pleurales (mésothéliomes). 40% des animaux sont atteints, ce qui pourrait, à même nombre de fibres, amener à considérer ces fibres céramiques - du moins dans ce modèle animal - comme plus cancérogènes que la crocidolite. Dans le même sens, chez le rat, mais en injection dans le péritoine, les fibres céramiques apparaissent aussi cancérogènes que la crocidolite.

Il n'y a pas d'exemple historique où de tels effets sur plusieurs espèces animales n'ont pas été retrouvés chez des humains exposés aux mêmes produits. Et on pourrait citer plusieurs cancérogènes chez l'homme (comme le chlorure de vinyle monomère) où les effets ont d'abord été observés en expérimentation animale.

On est donc en droit - dans le cadre d'une expertise et quelles que soient les questions que l'on se pose encore sur telle ou telle étude - d'affirmer sa conviction quasi absolue que les fibres céramiques réfractaires sont des matériaux à la fois cancérogènes et fibrosants chez l'homme, ce qui signifie qu'il y aura apparition de ces pathologies dans les populations les plus exposées en milieu de travail. Quantitativement, il n'est pas certain que le classement en activité cancérogène sera le même que chez l'animal, et il faut espérer que cette activité sera plus faible chez l'homme ; mais qualitativement on ne peut être que convaincu que ces expositions passées et présentes entraîneront ces pathologies chez une fraction des personnes exposées.

Pour sa part, le document INSERM n'a pas cru devoir conclure. On y trouve seulement au stade des recommandations finales les phrases suivantes :

" Si l'on regarde les conclusions des différents chapitres du rapport, une convergence d'interrogations sur la possibilité d'un risque concerne en particulier les laines de roche et les fibres céramiques. Les résultats expérimentaux désignent aussi les microfibres de verre. La poursuite des études expérimentales selon des protocoles bien définis pourrait apporter une réponse à ces interrogations. "

Heureusement, les experts européens n'en sont pas restés aux interrogations, et la directive 97/69 classe les fibres céramiques comme des cancérogènes de catégorie 2. Ceci va impliquer l'application prochaine en France de l'ensemble des mesures propres aux cancérogènes, en particulier des mesures d'étiquetage.

 

Pour une politique de prévention sévère face aux fibres céramiques

Faute d'être arrivé à un avis ferme sur les effets sur la santé imputables aux fibres céramiques le groupe d'experts INSERM n'a pas voulu s'engager sur des propositions de mesures spécifiques de prévention. Il s'est contenté d'une recommandation pour toutes les fibres de substitution à l'amiante, ce qui n'est pas admissible, car c'est les mettre toutes sur le même plan au niveau de la toxicité. Qu'on en juge :

" Compte tenu des incertitudes actuelles concernant les effets de l'exposition aux fibres de substitution à l'amiante chez l'homme, il est important de veiller à ce que les niveaux d'exposition chez les utilisateurs de produits contenant des fibres de substitution à l'amiante soient aussi faibles que possible ".

Qui plus est une telle recommandation ne permet aucune prise en charge réelle, pasplus par les CHSCT et syndicats que par les employeurs et préventeurs.

Néanmoins trois membres du groupe d'experts ont tenu à faire connaître une position différente en préconisant , dans un additif au document INSERM, " une démarche d'abaissement des valeurs limites d'exposition admissibles en milieu de travail pour les fibres céramiques réfractaires. "

" En outre - ajoutent-ils - le contrôle des utilisations et l'information des utilisateurs de produits contenant des fibres céramiques devraient être renforcés ".

Compte tenu de la pugnacité des employeurs dans leurs tentatives d'éviter les nécessaires mesures de prévention, je considère les propositions ci-dessus comme encore trop timides. Pour ma part, je préconiserai les mesures suivantes :



Les effets sur la santé des laines minérales

En matière d'épidémiologie, on ne dispose que de quelques données sur le risque de fibrose, avec des études certes imparfaites mais qui permettent de conclure que pour une exposition moyenne à forte, certaines laines minérales entraînent l'apparition d'anomalies pleurales et de fibrose pulmonaire. Mais les données ne permettent pas d'évaluer une différence de toxicité selon la nature de la laine (roche, verre ou laitier).

Les études de mortalité permettent d'évaluer l'incidence des cancers bronchopulmonaires pour des populations exposées en production, soit à des laines de roche (contenant en général 10 à 20% de laitier d'où certaines dénominations de laines de roche et laitier) soit à des laines de verre, soit enfin à des filaments continus. Il n'y a pas d'enquête équivalente valable sur les travailleurs produisant des laines de laitier. Ces enquêtes (européenne et nord-américaine) permettent de considérer qu'en production de filaments continus ce risque est très faible ou nul, et qu'en production de laine de verre le risque apparaît faible et, à la limite, discutable. Par contre, en production de laine de roche, sans être très important, le risque paraît quasi certain et nullement négligeable. Les mêmes enquêtes ne permettent pas de conclure à l'existence certaine de risque de mésothéliome pour les trois types d'exposition étudiés.

Ces résultats sur les excès de cancers du poumon correspondent à des expositions en production, relativement faibles par rapport à certaines expositions en utilisation, par exemple de fibres en vrac. Dans ce domaine, il n’y a pas d’enquête épidémiologique fiable.

Pour de plus amples développements sur les résultats de ces enquêtes, on pourra consulter le document du 20 février 1996 que j’avais rédigé pour le Groupement scientifique pour la surveillance des atmosphères de travail, groupe consultatif auprès du Ministère du travail.

Les données provenant des expérimentations animales ont fait l’objet de controverses pendant plusieurs années, les représentants de l’industrie ayant eu tendance à interpréter de façon discutable des expérimentations en inhalation chez les rats pour obtenir au profit des matériaux en cause un brevet d'innocuité. Suite aux travaux d’équipes allemandes et américaines, il est aujourd’hui de plus en plus largement admis que ces études en inhalation chez le rat n’ont pas été conduites dans des conditions permettant de tester valablement la toxicité des fibres. Elles permettent cependant de noter :

Ces expérimentations animales n’ont pas révélé un effet cancérogène des laines au niveau de la plèvre mais dans les mêmes conditions expérimentales, l’amiante ne donnait pas non plus de résultats probants.

L’apparition de fibroses avec la laine de roche laisse penser que l’apparition plus nette d’un excès de cancers du poumon pour de plus fortes doses aurait été probable, puisque pour beaucoup de matériaux, toxiques du poumon, la fibrose est plus commune et précède l ‘apparition de cancers bronchopulmonaires.

Compte tenu donc des limitations indéniables qu’entraîne le recours aux techniques d’expérimentation en inhalation chez le rat, il est apparu indispensable – au fil des années – de recourir aux expérimentations, toujours chez le rat, mais en injection directe des fibres au niveau du péritoine et de la plèvre. Ce test est beaucoup plus sensible que celui en inhalation, d’où un risque de surévaluer la capacité cancérogène d’un matériau, sauf à s’entourer de nombreuses précautions.

Cette méthode en injection intrapéritonéale (IP) a permis un classement des fibres par ordre d’efficacité décroissante pour induire une tumeur du péritoine, soit :

Si l’on considère les seules laines minérales, l’injection d’un même nombre de fibres donne chez le rat, en choisissant correctement la dose utilisée, la proportion suivante de tumeurs péritonéales :

Le même classement s'impose quand on prend en compte le temps de latence moyen nécessaire pour qu'apparaissent les tumeurs péritonéales, soit :

La formation de mésothéliome après injection directe dans les séreuses (plèvre, péritoine) ne signifie pas que les matériaux testés auront la capacité après inhalation de générer également des mésothéliomes chez l'homme. On ne doit pas ignorer en effet que ce mode d'expérimentation chez l'animal court-circuite les possibilités d'épuration dans la migration des matériaux depuis l'arbre respiratoire jusqu'à la plèvre.

Par contre, ce mode d'expérimentation permet de tester la potentialité cancérogène relative des matériaux agissant par un mécanisme voisin, dans des conditions très propices au développement de tumeurs. Conduisant à un classement de la cancérogénicité potentielle des matériaux , il fournit un outil expérimental favorisant la mise au point de matériaux non toxiques.

En première conclusion, et sur la seule base des données de l’épidémiologie et surtout des expérimentations animales, on est en droit de considérer au niveau des effets sur l’homme :

A noter que ces résultats sont également cohérents avec ceux obtenus dans des tests in vitro, classant les matériaux en fonction de leur capacité à générer des métabolites extrêmement agressifs de l’oxygène, jouant un rôle dans les mécanismes de toxicité en milieu pulmonaire.

L'ensemble des données ci-dessus a été obtenu avec des fibres relativement représentatives, et, bien qu'elles soient entachées de diverses incertitudes, on est en droit de considérer les conclusions présentées comme pertinentes en raison de la convergence des résultats des diverses approches utilisées.

Qui plus est, il est indéniable que les résultats présentés ci-dessus en épidémiologie et en expérimentation animale en inhalation, tendent à sous-estimer les risques pour des populations humaines assez fortement exposées par exemple lors de l'utilisation des laines en isolation.

En effet, en épidémiologie les résultats ont été obtenus en fabrication des laines dans des ateliers hautement mécanisés et dans l'ensemble peu pollués. Et en expérimentation chez le rat en inhalation, il est prouvé que cet animal est beaucoup moins sensible que l'homme aux effets toxiques des fibres minérales, que ses voies respiratoires sont de beaucoup plus faible diamètre et enfin qu'il bénéficie d'une capacité d'épuration de ces voies nettement supérieure à celle des humains.

 

Laines minérales : mécanisme de toxicité et prévention

Les résultats et conclusions ci-dessus permettent de s'interroger sur les différences entre les trois laines qui pourraient expliquer leur différence de toxicité. Est-ce que les paramètres aujourd'hui connus comme gouvernant la toxicité varient bien, d'un type de laine à l'autre dans un sens qui apparaît cohérent avec les conclusions ci-dessus ?

Ces paramètres ne permettraient-ils pas d'envisager des modifications susceptibles d'être apportées en particulier aux laines de roche et laines de verre ?

A ce jour, compte tenu qu'il est acquis que l'essentiel de l'activité toxique est une activité présente en surface des matériaux, c'est à dire au niveau de l'interface avec le milieu biologique, on peut avancer l'existence d'au moins cinq paramètres jouant un rôle dans l'apparition des pathologies. Deux des paramètres tiennent à la morphologie (longueur et diamètre des fibres, plus peut-être un paramètre concernant la rigidité), les trois autres étant liés à la composition chimique du verre , sans prendre en compte le rôle d'un possible gradient de concentration de certains éléments, du centre de la fibre à la périphérie.

Il est donc nécessaire de discuter de chacun de ces paramètres.

La grande majorité des équipes de recherche concernées, biologistes et médecins pour la plupart, s'est contentée pendant des années de ne prendre en compte que les deux premiers paramètres (longueur et diamètre), certes très importants mais qui par exemple n'expliquent pas la différence de toxicité observée entre les trois laines minérales.

Cependant depuis quelques années le premier des trois paramètres chimiques ci-dessus est pris en compte. Et il est indéniable par exemple que les laines de roche en général sont moins solubles en milieu biologique (moins biosolubles) ou, ce qui revient au même, plus biopersistantes que les laines de verre et de laitier. Pour juger de la biosolubilité ou de la biopersistance des fibres, plusieurs tests ont été utilisés, in vitro dans divers milieux, in vivo chez le rat après inhalation ou injection intrachéale, puis décompte des fibres persistant en milieu pulmonaire après des temps variables pouvant aller jusqu'à 200 jours.

L'hypothèse logique et élémentaire selon laquelle plus le temps de séjour en milieu pulmonaire est long (dans certaines limites, au delà desquelles il peut intervenir des mécanismes de "passivation"), plus la probabilité d'interactions génératrices d'espèces toxiques est importante, semblait donc vérifiée par l'exemple des trois laines. Ce qui conforterait la convergence des conclusions notées ci-dessus et renforcerait les conclusions désignant, parmi les laines, la laine de roche comme la plus toxique.

Pour pousser plus loin les conséquences de l'hypothèse reliant - pour partie - la toxicité et la biopersistance, il a fallu affronter un grand nombre d'incertitudes sur le meilleur mode d'appréciation de la biosolubilité, sur les tests proposés et sur les index prédictifs de cette solubilité en fonction de la composition chimique.

Pour l'essentiel et donc pour obtenir des laines moins biopersistantes, il fallait fabriquer puis tester chez l'animal des laines modifiées chimiquement en augmentant leur teneur en sodium, calcium ou magnésium et en diminuant leur teneur en aluminium.

C'est ainsi que des collègues allemands (essentiellement l'équipe de F. POTT) ont collaboré avec une firme allemande pour suivre la piste ci-dessus, et ont pu ainsi tester chez l'animal, en injection intrapéritonéale, des fibres nettement moins biopersistantes qui se sont effectivement révélées non cancérogènes dans ce test ultrasensible. Une majorité de l'industrie allemande a accepté alors de modifier la composition des laines minérales en cause. Après une période d'hésitation, St Gobain France a décidé d'explorer à son tour cette voie et les premiers résultats positifs d'expérimentation animale avec des fibres moins biopersistantes vont paraître sous peu.

Il faut dire qu'entre temps, les experts européens réunis par la Communauté européenne ont abouti aux mêmes conclusions qui se sont concrétisées par la directive 97/69, applicable en France à partir de décembre 1998.

Les laines vont devoir alors être étiquetées soit comme des cancérogènes de catégorie 3, soit seront considérées comme non cancérogènes , selon les résultats de l'un des quatre tests proposés, deux de biopersistance en milieu pulmonaire chez le rat, et deux d'expérimentation animale pour recherche soit d'effets cancérogènes soit d'effets pathologiques significatifs.

Ainsi, l'appréciation par les experts européens réunis à Bruxelles des effets des laines sur la santé a-t-elle débouché sur la reconnaissance d'une différence de toxicité entre les laines, et sur la prise en compte de l'un des mécanismes gouvernant la toxicité (la biopersistance) pour proposer une classification en deux groupes différents.

En soi la démarche est positive, mêmes si, personnellement, je considère qu'il aurait été plus judicieux, sur la base des conclusions ci-dessus, de classer la laine de roche actuelle en cancérogène catégorie 2, la laine de verre actuelle en cancérogène catégorie 3 et la laine de laitier parmi les composés non cancérogènes, cette répartition pouvant être modifiée au fur et à mesure de la mise sur le marché de fibres à faible biopersistance.

Il faut savoir en effet que le classement en cancérogène catégorie 3 n'implique qu'un étiquetage relatif aux substances dangereuses sans indication d'un risque de cancer.

Pour l'instant, on ne sait pas ce que seront les décisions des industriels quant à la modification des compositions. L'une des propositions d'application de la Directive, sera probablement un classement où la laine de roche sera étiquetée en cancérogène catégorie 3, les laines de laitier en non cancérogènes, les laines de verre, après modification de leur composition , pouvant venir également en non cancérogènes ou être classées en cancérogènes de catégorie 3 ! Mais ce ne sont que des hypothèses.

Une expertise complète sur le sujet aurait eu à se prononcer sur les protocoles précis des expérimentations prévues pour classer les fibres, après audition des divers avis qui se sont exprimés sur ces sujets à Bruxelles. Mais le groupe INSERM n'a pas pris en compte l'existence de cette directive.

Enfin, dernier point sur ce sujet, je regrette également, personnellement, la non prise en compte - dans ce classement - du contenu des fibres en fer divalent, suffisamment de données plaidant pour imposer une réduction significative de ce taux, en particulier dans les laines de roche.

A titre anecdotique notons encore l'utilisation récente par une entreprise française de laine minérale, de matières premières puisées dans une décharge "surveillée" de déchets radioactifs de faible activité. Une telle démarche - même autorisée par l'OPRI - ne semble pas compatible avec une politique de prévention, étant donné qu'une fraction des laines est inhalable et qu'en conséquence il y aura un risque de contamination interne.

 

Construire une politique de prévention pour les laines minérales

Au delà de la directive européenne qui n'impose qu'une classification, le bilan dressé ci-dessus doit permettre d'édicter un certain nombre de mesures complémentaires en matière de prévention.

Le groupe d'experts INSERM n'a rien proposé, sauf les mêmes trois membres, plus soucieux de prévention, qui dans leur additif au rapport, ont évoqué la nécessité de faire des recommandations aux industriels, d'une part de diminuer la fraction de plus faible diamètre au sein des laines, d'autre part d'éviter la commercialisation de fibres à biopersistance élevée.

Au delà des recommandations il me semble nécessaire que soient prises des mesures réglementaires, en particulier :

 

Et les autres fibres minérales ?

 

 

II] Expertise scientifique et responsabilité

 

Philippe ROQUEPLO a publié l'an dernier aux éditions de l'INRA un petit ouvrage intitulé " Entre savoir et décision, l'expertise scientifique ". Compte tenu de la qualité de cet ouvrage, j'y ferai référence explicite dans le texte qui suit.

En ce qui concerne les incertitudes, très légitimement, je dirai qu'au delà de celles évoquées par le document INSERM, je pourrais en ajouter d'autres et de poids. Mais le problème n'est pas là. Avec Philippe ROQUEPLO (p. 18) je dirai que " d'une façon générale le scientifique ne dispose pas de réponses aux questions qui lui sont posées, du moins pas de réponses qui puissent être considérées - et là est le point essentiel - comme l'expression directe de son savoir. Il ne sait que répondre "

Et Philippe ROQUEPLO d'ajouter :

" Que doit-il donc faire ? Refuser de répondre ? Cela reviendrait purement et simplement à refuser la fonction d'expert scientifique. C'est effectivement la position adoptée par un grand nombre de scientifiques, mais c'est une position que je crois intenable, surtout de la part des organismes de recherche. En effet, à qui s'adressera alors le politique pour obtenir la " connaissance de cause " dont il a besoin ? Et comment les chercheurs pourraient-ils refuser de répondre à la société qui les emploie précisément pour obtenir des réponses aux problèmes qu'elle se pose ".

Prenant des exemples positifs d'expertises réussies, Philippe ROQUEPLO poursuit (p. 20) : " Les experts, lorsqu'ils s'adressent aux politiques, ne leur disent pas : Nous savons ceci ou cela " (çà c'est le contenu des quelques 350 pages qui suivent le résumé pour décideurs). Ils disent que malgré l'insuffisance des connaissances dont ils disposent, ils sont convaincus que ", " ils estiment que " et ils moulent l'expression de ces convictions et opinions dans le langage qu'ils ont l'habitude d'utiliser, c'est à dire le langage de la science (…)

L'obligation de répondre inscrite dans la notion même d'expertise a donc pour conséquence que l'expertise scientifique transgresse alors inéluctablement les limites du savoir scientifique sur lequel elle se fonde. "

Mais cette transgression n'a valeur que parce qu'il est fait appel à des experts responsables dont la pensée, l'opinion, la conviction sont " fondées sur une compétence reconnue, sur une longue familiarité - ceci est très important - avec le domaine précis du savoir dans lequel se situe tout ou partie du problème posé ".

A ce stade il faut remarquer - dans le champ santé publique, santé au travail - que cette question de compétence n'est pas aujourd'hui sans poser problème en France, dans la mesure où les pouvoirs publics et les institutions de recherche n'ont pas œuvré au développement de la toxicologie, l'une des disciplines clefs en matière d'expertise. La toxicologie industrielle et environnementale en France n'a certes jamais été très développée, mais aujourd'hui elle se meurt, et il devient urgent que des mesures soient prises pour en refonder l'existence, tout comme il est nécessaire de créer et de développer - à l'égal de la plupart des pays de la Communauté européenne - une véritable discipline en hygiène industrielle.

Mais cette déficience n'explique pas tout. Plus important encore est le fait que la direction de l'INSERM n'a jamais - au grand jamais - demandé aux experts de transgresser les limites de leur propre savoir scientifique. Tout au contraire, elle ne les a chargé que d'une simple mise à plat des connaissances ce qui n'implique aucune prise de responsabilité, aucune affirmation d'une quelconque conviction.

Philippe ROQUEPLO avait déjà noté, à propos des expertises INSERM, que " l'élaboration collective d'une connaissance pertinente par rapport à la question posée par le politique constitue la première étape de toute expertise sérieusement conduite. (…) Cependant tout ceci ne constitue pas une expertise car il n'y a vraiment expertise que lorsque le processus de construction de connaissance est directement animé par la volonté de répondre à quelqu'un qui doit décider, que lorsque son résultat s'intègre dans un processus de décision ou du moins est conçu pour s'intégrer dans un tel processus. "

Cette frilosité de la direction de l'INSERM rejoint une attitude de la communauté scientifique qu'il faut bien qualifier, après Philippe ROQUEPLO, comme étant d'une " timidité incroyable qui frise parfois l'irresponsabilité " (p. 43).

 

En guise de conclusion

Le propre d'une expertise scientifique c'est qu'elle doit être contradictoire. Le présent texte rédigé à la demande d'associations et de certains syndicats d'entreprise, mais n'engageant que ma seule responsabilité, doit donc être considéré comme une contribution à ce débat contradictoire.

Qui dit débat contradictoire, dit possibilité de conflits, mais il n'y a pas lieu de s'en alarmer. " En matière d'expertise, le conflit vient des orientations subjectives qui sous-tendent les orientations des uns et des autres (…) car un scientifique fonctionne toujours, consciemment ou non, comme l'avocat d'une certain cause. " (Philippe ROQUEPLO).

Il est totalement illusoire de prétendre échapper à la nature conflictuelle de toute expertise… sauf à se réfugier dans des textes soi disant neutres, en fait, incolores, inodores et sans saveur qui n'apportent matière à aucune décision. Telle a été cependant jusqu'à ce jour pour l'essentiel la ligne de conduite de la Direction de l'INSERM, avec une exception, celle de l'amiante, où les pouvoirs publics ne cachaient pas qu'ils attendaient un document leur permettant de décider l'interdiction de ce matériau. Il fallait bien alors répondre aux milliers de victimes et à une forte campagne de presse.

Il est temps que l'INSERM, tout comme le CNRS, l'INRA et plus encore l'INRS, se dotent de cellules permanentes d'expertise, auxquelles seraient affectés tous les moyens de réflexion et d'enquêtes nécessaires. Les institutions scientifiques n'ont pas pour seule tâche d'accumuler des connaissances en fonction des nécessités de carrière des chercheurs et de quelques objectifs désintéressés. Elles doivent - pour une part - mettre à leur programme des tâches finalisées en fonction de besoins sociaux, tels ceux relevant de la santé publique et de la santé au travail.

 

Henri PEZERAT

toxicologue, directeur de recherche honoraire au CNRS

10, rue du Commandant Jean Duhail

94120 FONTENAY SOUS BOIS

 

 

 

Annexe :

1°) IEH report for the health and safety executive, april 98.

2°) Statement from COC for HSE on carcinogen risks of chrysotile substitutes, july 98.