Le retour du Charbon

Le charbon fait son retour aux Etats-Unis…

Source : Financial Times, Dan Roberts

Face à la déception qu’a fait naître le gaz et à la montée des prix du pétrole, le gouvernement américain encourage la production de charbon. Au grand désespoir des écologistes.

Dans le Wyoming, à 500 kilomètres à l’est du parc national de Yellowstone, le changement du paysage énergétique mondial est visible à l’oeil nu. Arrachant 220 tonnes de pierre à chaque pelletée qu’il donne avec son godet aussi grand qu’une maison, le conducteur de l’excavatrice met au jour un filon de charbon de 25 mètres, témoignant du retour en grâce inattendu de l’un des combustibles les plus anciens et les plus polluants utilisés par l’homme. Le roi charbon est de retour, au grand dam des écologistes. Favorable à cette évolution, le gouvernement des Etats-Unis estime que la part du charbon dans la consommation énergétique mondiale va doubler d’ici à 2015 pour atteindre 50 %, sous la pression, notamment, des pays en développement, en particulier la Chine et l’Inde, qui sont elles aussi à la recherche d’une source d’énergie bon marché et plus fiable que le pétrole ou le gaz. Le soutien qu’apporte la Maison-Blanche au charbon éveille une grande méfiance, aux Etats-Unis comme à l’étranger. Les Européens craignent qu’en encourageant les centrales thermiques au charbon elle n’anéantisse tout espoir de consensus international en matière de limitation des émissions de dioxyde de carbone. Aux Etats-Unis, les adversaires de George W. Bush estiment que son engouement reflète, au mieux, sa volonté de conquérir le vote des mineurs dans certains Etats décisifs lors des prochaines élections. Au pis, il résulte de l’importance des dons faits par l’industrie charbonnière aux républicains. Quelles que soient leurs motivations, les hommes politiques des deux bords portent un intérêt au charbon pour une raison très simple : la géologie. Si les puits de pétrole et les barrages hydroélectriques symbolisent la richesse énergétique des Etats-Unis, on oublie souvent qu’ils possèdent plus de charbon que n’importe quel autre pays : la part du charbon mondial détenue par le pays de l’Oncle Sam est plus élevée que la proportion du pétrole planétaire présent dans le sol de l’Arabie Saoudite. Le potentiel énergétique de ces réserves est cinq fois supérieur à celui du brut saoudien et légèrement plus élevé que celui de l’ensemble des ressources pétrolières du Moyen-Orient. La renaissance du charbon doit beaucoup aux déceptions suscitées par l’ancien combustible miracle des Etats-Unis, le gaz naturel. Tout au long des années 90, la faiblesse des prix et l’apparente abondance du gaz sur le territoire américain ont poussé les producteurs d’énergie à abandonner les centrales au charbon au profit du gaz, plus rentable. Mais, lorsque ces nouvelles unités de production sont entrées en service, la production de gaz a commencé à ralentir, ce qui a provoqué une importante hausse des prix et des importations de gaz.

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92 centrales thermiques sont en projet dans le pays

Voilà pourquoi, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, les producteurs d’énergie se tournent à nouveau vers le charbon. Le ministère de l’Energie américain estime qu’il y a 92 nouvelles centrales en projet dans le pays, ce qui représente 69 milliards de dollars d’investissement pour une production électrique potentielle de 59 000 mégawatts. Six d’entre elles sont en construction et devraient entrer en service en 2006 ou 2007. Selon le gouvernement, il faudra en construire 148 d’ici à 2025 pour pouvoir satisfaire la demande. Cette évolution est encore plus impressionnante dans le reste du monde. En Asie, où les contraintes écologiques sont bien moindres qu’aux Etats-Unis, près d’un millier de nouvelles centrales sont prévues. Une centaine sont déjà en construction, pour la plupart en Chine. Les marchés financiers reflètent parfaitement cette tendance. Depuis mai 2003, le prix de référence du charbon a doublé aux Etats-Unis, pour atteindre près de 60 dollars la tonne. L’intérêt soudain qu’éveillent les rares producteurs américains cotés en Bourse montre également que les investisseurs sont devenus sensibles au potentiel du charbon. Depuis le début de l’année, les actions des sociétés minières ont surpassé les performances de celles des autres secteurs de l’économie. Peabody Energy, le plus gros producteur mondial de charbon, reste toutefois un acteur marginal sur le marché énergétique international. S’il assure plus de 10 % des besoins en charbon des producteurs d’électricité américains et se targue de disposer d’une réserve énergétique équivalant à 30,5 milliards de barils de pétrole, il n’a réalisé que 50 millions de dollars de bénéfices au deuxième trimestre. Quant à sa capitalisation boursière, elle n’est que de 3,3 milliards de dollars. En comparaison, avec seulement 28 milliards de barils d’équivalents pétrole en réserves gazières et pétrolières, ExxonMobil, numéro un mondial du pétrole, affiche 5,8 milliards de bénéfices trimestriels et une capitalisation de 292 milliards de dollars. Cet écart s’explique aisément lorsqu’on se rend à North Antelope Rochelle (Wyoming), la plus grande mine de Peabody. Un simple regard sur le mur de charbon haut de 25 mètres qui s’étend à perte de vue permet de comprendre la réalité économique de tout le secteur : le charbon, c’est vraiment facile et pas cher. Inutile ici de s’échiner à creuser à des centaines de mètres sous terre pour exploiter de minces veines, comme c’est fréquent en Europe ou dans les Appalaches : extraire du charbon dans le Wyoming, c’est un peu comme piocher dans un tas déjà tout prêt. North Antelope Rochelle, la plus grande mine du monde, baigne dans un calme inquiétant. Sept cents employés suffisent à extraire assez de charbon pour satisfaire les besoins en électricité de 6 millions de foyers américains. L’atmosphère irréelle est renforcée par les dimensions inhumaines du lieu : les véhicules ont des roues deux fois plus hautes qu’un homme et les trains de marchandises font plus de 2 kilomètres. Comparés aux émirs de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), les nouveaux magnats américains du charbon usent fort discrètement de leur pouvoir politique. Irl Engelhardt, directeur général de Peabody, est fier de ses origines modestes. On dit qu’il a grandi dans une ferme de l’Illinois et qu’il se souvient de sa mère en larmes dans la cuisine face à ses factures d’électricité impayées. Authentique ou non, l’anecdote explique pourquoi M. Engelhardt se plaît à répéter que les défavorisés sont les plus durement touchés quand les écologistes imposent un surcoût au secteur énergétique.

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Républicains et démocrates courtisent les mineurs

L’un des nombreux lobbys du secteur a calculé que les ménages américains les plus pauvres consacrent jusqu’au tiers de leur budget aux dépenses d’énergie. Selon M. Engelhardt, « si nous nous concentrons sur le changement climatique et si nous augmentons le prix de l’énergie dans ce pays, les gens disposant de ressources fixes verront fondre leur revenu disponible ». Bien qu’opposés au discours écologiste de certains démocrates, Peabody et les autres sociétés minières démentent qu’elles apportent systématiquement leur soutien aux républicains. Car, à l’heure où John Kerry, le candidat démocrate à la présidentielle, courtise le vote minier dans les Etats les plus disputés tels que la Virginie-Occidentale, les deux partis cherchent à s’attirer les faveurs du monde charbonnier en prônant l’augmentation des dépenses fédérales pour la mise au point de techniques de combustion propre. De leur côté, des groupes de pression comme Americans for Balanced Energy Choices ou le Center for Energy and Economic Development s’efforcent d’imposer l’idée que le remplacement du gaz d’importation par le charbon est un enjeu de sécurité intérieure qu’aucun homme politique courageux ne peut négliger.

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