Faire tomber le masque

Les limites physiques à la croissance sont-elles pertinentes ?

Les limites physiques à la croissance [1] sont-elles pertinentes ?

Depuis la fameuse phrase de K.E. Boulding [2] ainsi que la publication du rapport du Club de Rome, cette limite physique est devenue un lieu commun : raison de plus pour s’en méfier et de s’interroger sur la validité de l’affirmation, puisqu’avec le réchauffement climatique, ce sont les deux piliers d’une molle critique « écologique » du fonctionnement de nos sociétés. Si je qualifie de « molle » ce type de critique, c’est parce qu’elle est aveugle à d’autres phénomènes et, si elle l’est, c’est parce qu’au fond, elle agrée complètement à notre mode de fonctionnement et ne fait que déplorer que des obstacles matériels n’entrave sa marche triomphale.

Bien sûr, il serait vain de nier la réalité de ces obstacles, cependant, si l’on tient compte de ce que la dynamique du capitalisme consiste à créer de l’abondance tarifée à partir de la destruction d’une abondance gratuite [3], ces limitations pourraient, jusqu’à un certain point, lui fournir de nouveaux aliments. Le fonctionnement du cycle de la marchandise se lit de deux façons complémentaires : tantôt il est hyper-rationalisé, considéré dans son métabolisme interne aux entreprises, lors de la phase de production, tantôt c’est l’inverse si l’on examine le travail de consommation [4] qui s’effectue de manière aussi irrationnelle que possible (i.e., avec un maximum de gaspillage).

De ce point de vue particulier, rien n’interdit de penser que la raréfaction des matières premières, comme l’augmentation des effets indésirables ne constituent de nouvelles sources de profit : après tout le but d’une entreprise n’est pas de vendre le maximum de marchandises (ce n’est vrai que dans certaines circonstances, mais jamais pour ce seul objectif), mais bien de réaliser le maximum de profit. Il est possible d’imaginer (les mots se laissent écrire !) des technologies subtiles qui recycleraient de façon autonome nos moindre déchets, une énergie solaire qui produirait de quoi continuer à détruire les conditions de notre existence et en même temps de quoi y apporter de coûteux palliatifs (Cf. transhumanisme)…

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Ainsi, superficiellement, les limites de la croissance apparaîtraient plutôt comme une limite d’un raisonnement qui s’enferme dans un cadre qui ne correspond qu’à la réalité connue jusqu’ici (présentisme) et néglige d’autres possibilités. C’est pourquoi la seule limite externe du capitalisme ne suffit pas à produire une analyse cohérente de son évolution, que l’on en conclue, comme c’est le cas généralement, à de nécessaires réformes ou au contraire, dans le cas de quelques courants scientistes (influents), par un désir d’accélérer un processus redouté par les autres…

Ces deux approches sont toutes aussi fausses l’une que l’autre du fait qu’elles reposent sur une vision tronquée des données initiales du problème. La limite externe s’accompagne en effet d’une limite interne et d’une limite logique, et c’est cette ensemble qu’il importe de considérer. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, l’ayant déjà abondamment abordé, mais je rappelle que la borne interne résulte de la combinaison de la baisse des prix unitaire des marchandises et de la part toujours moindre du travail humain dans leur production => baisse du taux de profit. La limite logique est apparue plus récemment, du fait du caractère intenable de la borne interne et cela à conduit, à l’inverse du fonctionnement habituel, à accumuler la valeur abstraite à partir d’un travail putatif qui ne pourrait se réaliser que dans un futur plus qu’improbable… Je mentionne ce dernier phénomène pour des raisons méthodologiques et également parce qu’il éclaire (pour peu que l’on s’y penche sérieusement) une zone habituelle de grande confusion sur le rôle de la dette et de l’industrie financière.

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Ainsi, alors que le débat politique est centré sur la forme de la redistribution des ressources, il ressort que le seul point critique de fond qui soit apparu sur le devant de la scène, parfois de façon théâtrale (« la maison brûle! »), ne permet pas de produire une analyse cohérente du métabolisme socio-économique actuel et de sa crise. Seule une analyse tenant compte de la totalité des mécanismes sous-jacents permet de comprendre que le capitalisme, comme tout système, tend à aller jusqu’au bout de sa logique : c’est ce qu’il fait lorsqu’il emploie des palliatifs de plus en plus improbables afin d’ajourner encore un peu son inévitable effondrement.

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Notes et références:
[1] Ce qui est examiné ici, c’est la croissance de l’accumulation de la valeur abstraite, ce qui est grosso modo assimilable à la croissance de la marchandise…
[2] « Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
[3] Ce qui est une autre façon de dire qu’il crée de la rareté…
[4] Ce concept explicite la fonction symétrique de la destruction de la marchandise qui, seule, permet au cycle de la marchandise de se perpétuer; en tant que la marchandise correspond moins à la satisfaction d’un besoin humain authentique qu’à une nécessité de la circulation du capital en vue de son augmentation, il n’est pas inadéquat d’intégrer la consommation dans ce cycle sous forme de travail , même s’il n’est jamais perçu sous cette forme.

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