Les groupes de pression du secteur des transports

Groupes de pression et rapports de force entre les acteurs des transports.

Mots clés : transports, collusions, lobbies, lobbysme, Bruxelles, corporatisme, interêts financiers.

On peut sourire à l’évocation de l’initiative de deux parlementaires français qui, en 1998, créèrent l’association « Autoroute-Avenir ». Intervenant auprès de leurs pairs, MM. Oudin, sénateur RPR de Vendée et Inchauspé, ancien député des Pyrénées-Atlantiques par ailleurs administrateur des Autoroutes du Sud de la France et banquier, obtinrent sans difficulté une position claire du sénat en faveur des transports : selon son rapporteur, J. François-Poncet, « le nécessaire désenclavement des territoires ruraux suppose la construction de nouvelles routes ».

Remis dans le contexte de l’époque, il s’agissait avant tout de voter contre le projet de Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT) défendue par la ministre D.Voynet, pas vraiment de la même couleur politique que la majorité sénatoriale. Mais l’on se souvient également du savoureux rapport Brua écrivant que « les élus (…) insistent sur la nécessité d’améliorer les conditions d’accessibilité externe, vers le chef-lieu de Département, de Région ou la capitale. Cette exigence (…) correspond d’ailleurs aux besoins de déplace-ment personnels des élus (…) ».

En matière de transports, les lobbies s’agitent tant pour inciter à la réalisation de nouvelles infrastructures que pour soutenir l’usage, entre autres, de l’automobile. Ils interviennent tout au long de la chaîne de décision, faisant pression sur les institutions et l’affirmant haut et fort dans la presse.

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Il en est ainsi quand la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP) réclame à l’Etat « un effort particulier en faveur des investissements routiers ». Ou bien lorsque C. Gerondeau, tonitruant président de l’Union Routière de France, estime que « la pollution de l’air est un phénomène du passé » et que « si l’on investit raisonnablement dans la route, les encombre-ments vont diminuer ».
Les lobbies s’activent, et leur entregent s’inspire bien entendu du poids économique considérable que constitue le secteur des transports pour faire le siège des cabinets ministériels et influencer la décision publique.

C’est tout aussi manifeste auprès de la Commission Européenne, qui s’entoure de manière désormais institutionnelle (et selon elle équitable) de la présence et des conseils de lobbyeurs souvent professionnels. Ainsi, estime-t-on qu’à Bruxelles interviennent environ 3 000 groupes d’intérêts de dimension nationale ou régionale dont 400 représentations d’entrepri-ses, 750 coalitions européennes d’entreprises, 500 cabinets-conseil, 200 associations, soit environ 13 000 personnes à plein-temps.

Résultat : la Commission estimait en 1992 que sur 400 projets de textes à l’étude, 100 seulement résultaient de l’initiative de son administration. Mais attention, ces chiffres sont à manier avec précaution car ils concernent absolument tous les domaines traités à Bruxelles, y compris la lutte contre les changements climatiques et pour des transports durables !

Ne rêvons pas tout de même. On voit mal comment Transport & Environnement par exemple, le Bureau Européen de l’Environnement et le WWF-European Policy Office, entre autres ONG intervenant sur ces thématiques avec quelques dizaines de membres, peuvent rivaliser avec la puissance de la Table-Ronde Européenne des industriels (ERT). Cette « cinquième colonne », forte des représentants d’une quarantaine de firmes parmi les plus puissantes en Europe sinon au monde, et qui totalisait en 1996 un chiffre d’affaire de 550 milliards d’euros et 3 millions d’emplois, n’a jamais été avare de ses conseils. Elle intervient au plus haut niveau des instances européennes, à savoir la présidence de la Commission.

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Thuriféraire de l’ouverture des marchés et de la déréglementation économique, de l’entrée en force des fonds de pension dans l’épargne salariale et de la privatisation de l’enseignement scolaire pour ne citer que quelques-uns de ses domaines de préférence, elle ne néglige certainement pas les questions relatives à l’énergie, à la mobilité et aux transports et, bien entendu, aux changement climatiques.

Farouchement opposée à toute mesure réglementaire en faveur de la réduction des émissions des gaz à effet de serre, l’ERT s’est retrouvée au coude à coude avec ses homologues états-uniens à la conférence de La Haye de 2000 sur les changements climatiques, lorsqu’il s’est agi de défendre le principe des permis d’émission.

Au sujet des transports, on la soupçonne d’avoir fortement influé sur les décisions frileuses de Bruxelles en matière de consommations des véhicules à essence ou de normes d’émissions de CO2. On sait en revanche que l’ERT a joué un rôle central directement auprès de J. Delors, à l’époque Président de la Commission Européenne, dans l’élaboration au début des années 90 du Réseau TransEuropéen des Transports. Or, ce réseau ne prévoit pas moins que la réalisation de 12 000 km d’autoroutes supplémentaires (la France en comptait 10 771 km au début 2000), 11 lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse, une bonne dizaine de canaux de navigation à grand gabarit, un saupoudrage de nouveaux aéroports internade nouveaux aéroports interna-tionaux, le tout étalé de l’Ecosse à la Turquie et de Gibraltar à Varsovie.

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Qui retrouve-t-on parmi les membres de l’ERT? Les dirigeants de BP-Amoco, Fiat, Lufthansa, Pirelli, Renault, Royal Dutch Shell, Repsol, Mol Hungarian Oil and Gaz Company, Volvo, Total-Elf-Fina. Comme quoi l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, il n’y a qu’à choisir la bonne table !

Ce texte est extrait du rapport: Transports et changements climatiques: un carrefour à haut risque publié par le Réseau Action Climat en avril 2004.

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