Édouard Philippe, itinéraire d'un enfant normand nommé à Matignon

VIDÉO. Le nouveau Premier ministre est un personnage assez secret et complexe. Les références, les convictions et les ambitions du juppéiste.

Par , Pierre Simon (avec , à Bordeaux)

Temps de lecture : 12 min


À 46 ans, le Premier ministre d'Emmanuel Macron reste un inconnu pour le grand public. Maire du Havre depuis 2010 et député depuis 2012, il n'a jamais été ministre. Ancien élève de l'École nationale d'administration (promotion Marc-Bloch, 1995-1997), il commence sa carrière au Conseil d'État en 1997 en se spécialisant dans le droit des marchés publics. D'abord collaborateur de Michel Rocard, il est ensuite devenu l'un des proches d'Alain Juppé. Fils de professeurs, il a quitté l'équipe de campagne de François Fillon au début du mois de mars, au moment où l'affaire Penelope battait son plein. Voici tous les petits secrets, les dadas, les références, les goûts et les manies du deuxième Premier ministre le plus jeune de la Ve République, après Laurent Fabius nommé à l'âge de 37 ans en juillet 1984.

Édouard Philippe est né à Rouen en 1970. Son enfance normande, qui se partageait entre la banlieue de sa ville natale et Le Havre, où il venait en week-end chez le frère jumeau de son père ou chez ses grands-parents, lui laisse d'heureux souvenirs. Comme ses sorties en mer avec son grand-père, un ancien docker. À la maison, ses parents, tous les deux professeurs de français, veillent tout en légèreté sur sa sœur aînée, elle-même devenue prof de français, et sur lui. « Nous avons reçu une éducation très libre », se rappelle Édouard Philippe. Ce qui n'empêchait pas quelques règles intangibles : il est interdit d'abîmer les livres, « le seul bien de luxe de la famille » ; il est interdit de critiquer les professeurs ; il est préférable de ne pas mentir. « Et il valait mieux avoir de bonnes notes à l'école. Mais une mauvaise note n'était pas synonyme de catastrophe, et j'étais plutôt bon élève », explique celui qui a fini ses études secondaires et passé son bac à Bonn, où son père avait été muté comme directeur du Lycée français. Après une année d'hypokhâgne, il entre à Sciences Po pour « trois années de rêve » durant lesquelles il découvre les charmes de la capitale. « Faire l'ENA a été moins amusant », soupire-t-il.

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Sa carrière

Professionnelle. Édouard Philippe a découvert le droit à Sciences Po. Une discipline qui le séduit instantanément : « C'est une matière qui requiert du raisonnement, de la logique, de l'éloquence et de la rigueur dans l'expression écrite. »

À sa sortie de l'ENA, il choisit de rejoindre le Conseil d'État. Pendant cinq ans, le jeune énarque y fait du droit public à haute dose. Mais l'envie de passer à l'action le taraude... La politique, « l'histoire en train de se faire », l'attire. Petit garçon, il adorait suivre avec son papa les émissions politiques, et particulièrement L'Heure de vérité, le dimanche midi sur Antenne 2. Et de se souvenir : « Sur le chemin de l'école, j'imaginais mes réponses aux questions du journaliste qui animait ce rendez-vous politique des années 80. »

Reste que le jeune homme ne sait comment s'y prendre pour se lancer dans l'arène. Il fait le tour des ténors politiques du Conseil d'État sans grands résultats. Il est juste sollicité pour rédiger des notes destinées à alimenter le candidat à la présidentielle Jacques Chirac. Une tâche bien éloignée de ses envies...

Politique. Mais le hasard fait bien les choses... En 2001, l'un de ses amis vient lui proposer un poste dans le privé, qu'il refuse. « Je savais que partir dans le privé serait synonyme de renoncement à la politique », précise le quadra. En le quittant, son ami, proche de Jacques Chirac, lui confie qu'il part voir le maire du Havre et lui demande s'il le connaît, avant de lui lancer : « Tu devrais le rencontrer... »

Deux semaines plus tard, jour pour jour, c'est Antoine Rufenacht en personne qui l'appelle en lui proposant une rencontre... Sa stupéfaction d'alors n'empêche pas le jeune homme de prendre rendez-vous avec le maire dès le samedi suivant. Une heure d'entretien au terme de laquelle l'édile havrais lui propose de figurer sur sa liste pour les municipales de 2001 ! Élu, Édouard Philippe se voit confier sans tarder une délégation : il est adjoint aux affaires juridiques. Sa première grande bataille électorale a lieu aux législatives de 2002, juste après son mariage et sa lune de miel. Le voilà à l'assaut d'une circonscription imprenable, que d'ailleurs il ne prendra pas ! « Ce mois et demi de campagne a été intense, mais je me suis éclaté », se souvient-il.

La même année, Alain Juppé lui propose de travailler avec lui à la création du « premier grand parti de droite ». Si l'alchimie entre les deux hommes fonctionne, le poste de directeur général de l'UMP, qu'il occupe alors, ne fut pas de tout repos. « Deux ans et demi de stress, de coups bas et de fortes turbulences, résume Édouard Philippe. Ce fut également une expérience très enrichissante sur le métier. »

Quand il tire sa révérence de l'UMP en 2004, son goût pour le droit le conduit à prêter serment et à rejoindre un cabinet d'avocats américain : « Je voulais avoir un métier. » Ce qui ne l'empêche pas de se faire omettre du barreau sans la moindre hésitation en 2007 pour devenir le conseiller spécial d'Alain Juppé, nommé ministre de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables. « J'ai refusé de devenir son directeur de cabinet, car je voulais continuer de remplir ma mission au Havre », précise-t-il. Le job sera éphémère : battu aux législatives en 2007, Alain Juppé démissionne de son ministère et Édouard Philippe rejoint le Conseil d'État, afin de se poser.

La pause sera de courte durée : Areva vient le chercher pour en faire son directeur des affaires publiques. Adjoint chargé des questions économiques puis de l'urbanisme d'Antoine Rufenacht, suppléant du député Jean-Yves Besselat depuis juin 2007, Édouard Philippe est devenu maire du Havre le 24 octobre 2010, prenant la succession de son mentor.

Ses références

Michel Rocard. Son premier engagement politique a été pour le PS en général et pour Michel Rocard en particulier : « J'aimais ses discours sur l'exigence de réforme. » Pendant deux ans, à Sciences Po, il milite pour soutenir l'ancien Premier ministre de François Mitterrand. Il choisit finalement de rendre sa carte après l'éviction de Michel Rocard de la tête du PS. « Je n'ai pas été emballé par ce que j'y ai vu, notamment quand François Mitterrand a décidé d'avoir la peau de son ancien chef de gouvernement », explique celui qui conserve une tendresse pour l'ancien premier secrétaire du PS, avec lequel il a eu l'occasion de travailler récemment dans le cadre de la commission du grand emprunt.

Antoine Rufenacht et Alain Juppé. Uni à ces deux hommes par une complicité intellectuelle, Édouard Philippe les considère comme ses deux pères en politique. Et leur voue une grande admiration : « Au-delà de leurs différences de style, de caractère..., ils ont de grandes similitudes. La première est d'avoir un vrai sens de l'État. Depuis que je connais Antoine Rufenacht, je ne l'ai jamais vu prendre parti contre l'État. Idem pour Alain Juppé. » Leur second point commun qui force l'admiration du jeune maire est « d'avoir transformé leur ville, et plus précisément le cadre de vie de tous les jours de leurs concitoyens. Ils ont la même énergie et la même passion pour leur cité. »

Robert Badinter. « Il est remarquablement intelligent. J'aime sa façon de s'exprimer et son sens de l'État. Son respect de la dignité humaine est impressionnant. »

Ses professeurs. « C'est grâce à mes professeurs d'histoire que j'aime cette matière. Je me souviens aussi de mon instituteur en classe de CM2, M. Pinguet, qui était également le directeur de l'école. Il venait tous les jours, été comme hiver, dans son costume trois-pièces. Un homme incroyable ! »

Ses convictions

Imprégnées de liberté. Quelles qu'elles soient. « Je suis très attaché à l'idée de liberté politique, d'expression, de pensée et d'entreprise ; aux libertés individuelles et collectives. Mais aussi aux libertés publiques, qui sont le fondement de la démocratie. » Le maire du Havre est également un partisan de la responsabilité individuelle, qui est « la contrepartie de la liberté », et du sens de l'État, parce que « les institutions structurent les sociétés ».

Européennes. « La construction européenne est la seule manière crédible d'éviter que les Européens ne s'entre-tuent. Et c'est aussi le seul moyen de peser sur les affaires du monde. Il est impératif d'aller toujours plus loin dans ce processus. »

De droite. « Manifestement, tout cela me classe à droite ! Une chose est sûre : le sectarisme n'a pas de sens. »

Religieuses. Une mère catholique, un père athée... Édouard Philippe se vit entre les deux. « Je n'ai pas la foi, explique-t-il. Mais j'ai un grand respect pour ceux qui l'ont et pour le sacré. »

Ses ambitions

« Faire en sorte que Le Havre aille au bout de son potentiel, qui est exceptionnel. Que cette ville ait le destin qu'elle mérite. Je n'hésiterai jamais à prendre les gens à contre-pied pour miser sur l'intelligence du territoire », détaille le nouveau maire, qui s'est mis dans les pas de l'ancien. Sera-t-il à la hauteur ? « La barre est placée haut, mais c'est une bonne pression... »

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Commentaires (98)

  • YMDA

    Pour nous vendre Edouard Philippe, les journalistes font référence à sa brillante carrière dans le privé.

    En fait j’ai entendu qu’il s’agit de AREVA, la plus grande faillite industrielle des dernières années…. Et du gouvernement socialiste, donc pas privée et accusée d’être frauduleuse…. La gestion énarque !

    Tout ça payé par le contribuable grugé par les incapacités d’A. Lauvergeon, le sherpa de Mitterrand, notamment dans l’affaire URAMIN, filiale d’AREVA.

    Merci de la référence.

  • hope for France

    Quel que soit votre ressentiment contre le vilain libéralisme, regardez le monde, il n'est pas socialiste ! Les allemands s'interrogent sur Macron, en se demandant s'il va leur demander de payer la facture de l'inconséquence économique et sociale française des 36 dernières années... Nos voisins connaissent, sans avoir eu besoin de l'apprendre, la morale de la Cigale et la Fourmi, ils savent que ce ne sont pas les cancres qui sont les mieux placés pour faire la leçon aux fourmis. Quant à Macron, les échos que j'ai eus de quelqu'un qui a parlé avec lui à l'étranger, c'est qu'il est bien plus libéral qu'il n'ose l'avouer, car il connait les maux de la France. Reste à savoir s'il osera annoncer la couleur, mais sa désignation d'un premier ministre issu de la droite semble illustrer la conviction que les réformes ne pourront être faites qu'avec l'appui de la droite. Souvenez-vous lors des débats avec Fillon, Macron disait sans cesse à Fillon qu'il était d'accord avec ses constats... Si Macron est obligé de cohabiter, voire de coexister avec la droite libérale, il ne s'en portera que mieux, car c'est elle et elle seule qui est susceptible de voter les réformes dont la France a besoin. Ce ne sont pas les Mélenchon, les Hamon et toute la gauche archaïque qui vont voter des réformes qui remettent en cause leur idéal... La seule gauche susceptible de voter de telles réformes est totalement minoritaire en France. Nous n'avons pas de Schröder ou de Blair, à gauche, même un Valls, beaucoup moins réformateur que les sociaux démocrates européens, a été conspué par la gauche comme étant un social-traitre.
    Fillon, avec son programme présenté comme hérétique, était bien timide à côté de ce que Schröder a fait dans son pays. Le curseur politique français est très à gauche, ce qui explique qu'aucune réforme n'ait été faite depuis 36 ans dans ce pays. Quant à la crise des subprimes, il faut beaucoup d'audace à notre gauche pour expliquer que c'est celle de l'économie capitaliste ou libérale !

  • irene 27

    Tous les Français sont d'accord sur un point (il y en a peu qui regrettent celui qui vient de partir) il faut changer les règles, changer la politique. Sauf que lorsque vient le vent du changement, personne ou peu n'est plus d'accord, c'est typiquement français. Comme d'autres ici, j'ai voté Fillon, j'ai apprécié M. Rocard en son temps mais aucun de ceux du PS qui ont fini enfin de sévir n'étaient dans sa ligne et ne méritaient de poursuivre. Alors pourquoi pas donner une chance à une équipe qui va prendre les compétences où elles se trouvent et non par vilain copinage. Ceux qui protestent donnent dans le sectarisme qui est stérile. Mes amies (s) socialistes sont catastrophées (es) à l'image de ceux qui écrivent ici. Que veulent-ils ? C'est la question à leur poser. Hamon le petit, Mélenchon, le tribun ? Pas un seul de l'ancienne équipe de Hollande ne vaut un clou. Fillonistes et socialistes sont désemparés et on peut les comprendre, portant il faut avancer. Il va falloir qu'ils s'y fassent. Cet attelage de savoirs venant de droite et de gauche, chacun gardant son socle est une expérience qui s'est faite ailleurs et avec succès. C'est bon sauf pour ceux qui pensent que d'être de gauche c'est détester celui qui se dit de droite. Qu'est-ce que cela signifie actuellement ? Plus rien du tout, ce qui va gouverner à présent c'est le parti de ceux qui veulent remettre la France au niveau qu'elle a perdu. Qu'il y ait au sein des anciennes formations des sensibilités différentes c'est tout à fait normal et même très sain, mais il faut arrêter ces clivages mortifères. Alain Juppé finement n'a pas dit autre chose hier. Il est permis à chacun de réfléchir afin d'opter pour ce qui va dans le sens du renouveau.