Economie et économie: pourquoi ça bloque?

Environnement et écologie : Pourquoi nous ne faisons rien ? Malgré les nombreuses preuves de la dégradation du climat, l’opinion publique continue de ne rien faire. Comment expliquer cette apathie ?, The Ecologist

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Loin d’être poussés à accepter la réalité, les gens doivent au contraire en être arrachés », affirme Stanley Cohen dans son remarquable ouvrage States of Denial, Knowing About Atrocities and Suffering [La négation consciente face aux atrocités et à la souffrance]. Selon lui, la capacité de laisser faire et le refus de prise de conscience sont profondément implantés dans une société saturée d’informations.

Son analyse s’adapte idéalement à la réaction actuelle au réchauffement climatique. La « conscience » du problème est ancrée à tous les niveaux de la société : dans l’opinion publique (selon les sondages, 68 % des Américains y voient un problème grave) ; dans la communauté scientifique (comme le prouvent les lettres ouvertes régulièrement émises par les institutions scientifiques) ; dans les entreprises (avec des déclarations musclées de la part des PDG des compagnies pétrolières) ; chez de nombreux chefs d’Etat (discours aussi pieux que réguliers sur l’imminence du désastre).
Mais à un autre niveau, nous refusons ostensiblement d’admettre les implications de ce que nous savons. Au moment où Bill Clinton appelait à prendre des mesures urgentes, ses négociateurs s’activaient à torpiller un accord qui n’était que le pâle reflet de ses propres avertissements. Les journaux publient constamment de sinistres mises en garde quant à l’évolution du climat, tout en proposant quelques pages plus loin des articles invitant avec enthousiasme le lecteur à partir en week-end à Rio. Les gens, dont mes amis et ma famille, peuvent exprimer leur inquiétude avec gravité, puis aussitôt les oublier, acheter une nouvelle voiture, mettre la climatisation ou prendre l’avion pour partir en vacances.

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En s’appuyant sur les travaux de Cohen, il est possible de déterminer l’existence de certains processus psychologiques transposés au changement climatique. Tout d’abord, il faut s’attendre à un rejet général quand le problème est d’une telle portée et d’une telle nature que la société ne dispose d’aucun mécanisme culturel pour l’accepter. Primo Levi, s’efforçant d’expliquer le fait que de nombreux juifs d’Europe aient pu refuser d’admettre la menace de l’extermination, citait un vieil adage allemand : « Les choses dont l’existence paraît moralement impossible ne peuvent exister. »

Dans le cas du changement climatique, nous sommes intellectuellement capables d’en admettre l’évidence, tout en éprouvant les pires difficultés à accepter notre responsabilité pour un crime d’une telle proportion. De fait, la preuve la plus manifeste de notre volonté de déni réside dans notre incapacité à reconnaître que ce drame a une dimension morale, avec des coupables et des victimes identifiables. Les termes mêmes de « changement climatique », « réchauffement planétaire », « impacts humains » et « adaptation » constituent une forme de négation. Ces euphémismes sous-entendent que le changement climatique a pour origine des forces naturelles irréversibles plutôt qu’une relation directe de cause à effet ayant des implications morales pour le coupable. Ensuite, nous nous efforçons de diluer notre responsabilité. Cohen décrit en détail « l’effet de spectateur passif », qui fait qu’un crime violent peut être commis au beau milieu d’une foule sans que personne n’intervienne. Les gens attendent que quelqu’un d’autre agisse et subsument leur responsabilité dans celle du groupe. Plus les acteurs sont nombreux, moins il y aura de chance pour qu’un individu se sente capable d’agir unilatéralement. Dans le cas du changement climatique, nous sommes à la fois spectateurs et acteurs, et ce conflit interne ne peut que renforcer notre désir de négation.
Nous assistons donc à la négation de la conscience (« Je ne savais pas »), la négation de l’action (« Je n’ai rien fait »), celle de la capacité personnelle à intervenir (« Je ne pouvais rien faire », « personne ne faisait rien ») et au rejet de la faute sur les autres (« c’étaient ceux qui avaient des grosses voitures, les Américains, les entreprises »).

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Pour les militants du monde entier, il est crucial de comprendre ces mécanismes afin de préparer une stratégie de campagne.
Bref, il ne suffit pas d’informer pour contrer ces réflexes. C’est là une réalité que l’on ne soulignera jamais assez. Les mouvements écologistes agissent comme autant de fossiles vivants surgis du siècle des Lumières, avec leur foi dans la force du savoir : « Si seulement les gens savaient, ils agiraient. » Voilà pourquoi ils consacrent la majeure partie de leurs ressources à la production de rapports ou à la publication d’articles et d’éditoriaux dans les médias. Mais cette stratégie ne fonctionne pas. Les sondages révèlent un haut niveau de conscience, mais pratiquement aucun signe d’un changement de comportement. Au contraire, les indices de réactions négatives ne manquent pas, comme les appels à la baisse du prix des carburants et à davantage d’énergie.

Cette absence de réaction publique s’intègre au cercle vicieux de l’autojustification du spectateur passif. « Si c’était vraiment aussi grave, sûr que quelqu’un ferait quelque chose », se disent les gens. Quiconque se sent concerné peut échapper au cercle vicieux de la négation pour rejoindre la poignée de gens qui ont d’ores et déjà choisi de ne plus être des spectateurs passifs. Le siècle dernier a été marqué par les mensonges et la négation de masse. Un exemple que le XXIe siècle n’est pas obligé de suivre.

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George Marshall
The Ecologist

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